Au Cambodge, les Tchèques luttent contre la mortalité infantile et les inondations
La République tchèque occupe une position privilégiée au Cambodge. Et pour cause : des centaines de diplômés des universités tchèques, parmi lesquels l’actuel roi du Cambodge, vivent encore aujourd’hui dans le pays. Les spécialistes tchèques, notamment les professionnels de la santé, y jouissent, quant à eux, d’une excellente réputation.
« Je m’appelle Alžběta Němcová, j’ai 28 ans et suis sage-femme. Je possède cinq ans d’expérience à la maternité Apolinář à Prague, où je travaille en salle d’accouchement et m’occupe essentiellement des grossesses à risque élevé. Sinon, j’aime voyager, je trouve que c’est important et intéressant pour mon développement personnel. »
Alžběta vient de rentrer de sa deuxième mission de deux semaines au Cambodge. Ces voyages, qu’elle et ses collègues ont effectués en Asie du Sud-Est en janvier 2022 puis au début de cette année, s’inscrivaient dans le cadre du projet appelé « Les mains périnatologiques tchèques volent au Cambodge ». Son objectif est de réduire la mortalité maternelle, périnatale et des enfants âgés de moins de 5 ans. Le projet est mis en œuvre par l’Agence tchèque de développement en coopération avec la Fondation Vita et futura. Alžběta raconte :
« Notre premier voyage relevait davantage de la reconnaissance et de l’inspection. Il s’agissait d’une petite équipe d’obstétriciens de notre clinique. Le deuxième voyage, que nous avons effectué en janvier, était de nature différente. Il s’agissait en fait d’un atelier éducatif. Nous étions accompagnés d’anesthésistes, de néonatologues, de bio-ingénieurs et d’informaticiens. »
« Nous formons des médecins et des sages-femmes cambodgiens, pour qui nos informations sont très précieuses. Compte tenu de l’histoire du pays, l’accès à l’éducation est très compliqué au Cambodge. Nous leur fournissons donc des vidéos et d’autres matériels éducatifs, nous organisons des conférences d’apprentissage en ligne. Lors de l’une d’entre elles, nous leur avons montré comment utiliser les ultrasons et autres appareils qu’ils reçoivent souvent de donateurs mais dont ils ne savent pas se servir. Ce que nous voulons surtout, c’est que les professionnels de la santé que nous avons formés diffusent les informations autour d’eux, qu’ils apprennent les uns des autres. »
Dans l’équipe, Ratanak remplit un rôle particulièrement important. Bio-ingénieur cambodgien qui vit en République tchèque depuis plusieurs années, c’est lui qui traduit tous les documents et les conférences en khmer.
« La langue est peut-être bien l’aspect le plus important pour la réussite de ce projet. Si nous leur présentions tout en anglais, les professionnels de la santé cambodgiens ne retiendraient que 5 % des informations, tout simplement parce que la plupart d’entre eux ne parlent pas anglais », précise Alžběta. Quant au français, ajoute-t-elle, sa pratique dans cet ancien protectorat de l’Indochine appartient désormais à l’histoire.
Le roi du Cambodge parle tchèque
Comparée à la France, à l’Allemagne, ou encore par exemple à la Chine et à la Corée du Sud, la République tchèque fait partie des plus petits donateurs impliqués dans la reconstruction du Royaume du Cambodge, qui compte 17 millions d’habitants. Le pays souffre encore des effets de la terreur brutale des Khmers rouges. Après le renversement du régime génocidaire en 1979, les Tchèques ont largement contribué à la restauration des soins médicaux dans le pays.
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Il faut toutefois rembobiner le temps un peu plus encore pour remonter jusqu’à la source de l’histoire tchéco-cambodgienne. Plus précisément jusqu’en 1962, année de l’arrivée à Prague de Norodom Sihamoni, alors âgé de neuf ans. L’actuel roi du Cambodge est resté douze ans dans la capitale tchèque, où il a étudié la danse et, encore aujourd’hui, il se dit qu’il s’exprime mieux en tchèque qu’en khmer.
Barbora Žák Vlasová, de l’Agence tchèque de développement, évoque les autres traces laissées par les Tchèques au Cambodge :
« L’ancienne Tchécoslovaquie a été l’un des vingt pays qui ont reconnu le régime pro-vietnamien du Cambodge dans les années 1980. La coopération au développement a commencé à cette époque, précisément dans le domaine de la santé. C’est d’ailleurs pourquoi, si vous allez au Cambodge aujourd’hui, vous trouverez encore des hôpitaux de l’amitié tchéco-slovaco-cambodgienne. La Tchéquie a depuis longtemps d’excellents résultats dans le domaine des soins maternels et infantiles, et c’est pourquoi c’est l’un des thèmes clés auquel nous nous consacrons au Cambodge. »
Des femmes dont l’accouchement était potentiellement compliqué étaient renvoyées chez elles
Ces dernières années, le Cambodge connaît un rapide développement économique. Mais si le taux de pauvreté est passé de 50 % en 2009 à environ 15 % aujourd’hui, 8 millions de Cambodgiens vivent toutefois encore sous le seuil de pauvreté et la mortalité infantile y reste élevée, constate Barbora Žák Vlasová :
« Notre étude menée en 2018 montre que 6 000 nouveau-nés meurent chaque année au Cambodge. Sachant que les statistiques au niveau local ne sont pas très bien tenues, le taux de mortalité réel est probablement plus élevé. J’ai moi-même voyagé au Cambodge en 2018 et j’avais alors essayé de vérifier les chiffres officiels. J’ai découvert que de nombreux cas ne sont pas du tout recensés par les hôpitaux. Parfois, des femmes dont l’accouchement était potentiellement compliqué étaient renvoyées chez elles pour ne pas être incluses dans les statistiques comme des accouchements qui ne se sont pas bien passés. »
Le Cambodge ne dispose pas de système d’assurance maladie. L’accessibilité et la qualité des soins de santé, notamment pour les femmes enceintes et les nouveau-nés, dépendent donc de la situation financière des familles et de l’endroit où elles vivent. Si les soins dispensés à l’hôpital pédiatrique national de la capitale Phnom Penh sont d’excellente qualité, dans les régions plus reculées du pays, on ne trouve souvent que des centres de santé, sans médecins ni ambulances, décrit la sage-femme Alžběta Němcová :
« Dans le cadre de notre projet, nous œuvrons à l’amélioration des soins dans la province de Kampong Chhnang et à l’hôpital pédiatrique national de Phnom Penh. Dans cette province, qui est à peu près de la taille de la Bohême centrale, il existe un seul hôpital où il est possible de pratiquer une césarienne. Ensuite, il n’y a plus que des infirmières dans ce que l’on appelle des centres de santé. »
« Nous voulions visiter ces endroits pour voir comment ils fonctionnent, comment les patients sont pris en charge en cas de complications. Il n’y a qu’une seule ambulance dans notre province et environ deux personnes qui peuvent la conduire. Sinon, les gens se déplacent en tuk-tuk ou en scooter. Presque tous ceux qui viennent à l’hôpital reçoivent une perfusion. Et ils repartent avec. Il n’est pas rare de voir un homme en train de conduire un scooter avec derrière lui une femme qui tient la poche de perfusion. Et ils rentrent chez eux comme ça... »
Des applications pour les femmes enceintes et les médecins
La République tchèque a rénové la maternité provinciale de Kampong Chhnang et a également équipé le service de néonatologie de l’hôpital pédiatrique national dans la capitale. Actuellement, il s’agit du seul établissement cambodgien équipé d’incubateurs pour les nouveau-nés prématurés. Des médecins tchèques y travaillent depuis longtemps dans le cadre du projet « Les mains périnatologiques tchèques volent au Cambodge ». Ce programme vise à encourager les mères présentant des grossesses à risque à se rendre dans cet établissement spécialisé avant d’accoucher.
Dans le cadre de cette coopération, un groupe de professionnels de la santé cambodgiens se rendra à Prague en mars et l’ensemble du projet prendra fin à l’automne avec la dernière mission d’experts tchèques au Cambodge. Celle-ci devrait porter, entre autres, sur l’utilisation de la télémédecine, explique Alžběta Němcová :
« Nous, experts, élaborons des supports pédagogiques, qui sont ensuite traduits en khmer, tandis que nos informaticiens développent trois types d’applications. La première est destinée au grand public, c’est-à-dire aux femmes, qui l’utiliseront en quelque sorte comme un guide de la grossesse. La deuxième est destinée aux professionnels de la santé et contiendra des informations techniques et des vidéos. La troisième, enfin, servira à collecter des données. Au Cambodge, il est courant que les gens pauvres disposent des meilleurs smartphones, la diffusion d’informations par le biais d’applications a donc sans aucun doute un potentiel ici. »
Les Tchèques ont développé un système d’alerte pour prévenir les crues au Cambodge
Un autre projet à succès mis en œuvre par la Tchéquie au Cambodge est également basé sur l'utilisation de nouvelles technologies. Il s’agit du système d’alerte précoce permettant la réduction des risques liées aux catastrophes naturelles. L’instrument s’appelle EWS (Early Warning System) 1294 du nom de la ligne téléphonique gratuite via laquelle les Cambodgiens peuvent se connecter au système.
Sin Seouli a 23 ans. Le système d’alerte lui a sauvé la vie : « J’ai vécu plusieurs inondations », raconte-t-il. « La dernière fois, j’ai été prévenu par le système. J’ai reçu un message sur le risque d’inondation et les conseils d’évacuation. Quand je suis sorti de la maison, j’ai vu que la rivière avait déjà monté. J’ai donc pris nos affaires personnelles, puis ma femme, moi et les enfants sommes montés sur la colline. »
L’enseignante Davy Tith vit dans un petit village de pêcheurs de la province de Kampot, dans le sud du Cambodge, au bord du golfe de Thaïlande, où l’on cultive le célèbre poivre de Kampot. Ce village situé sur les rives de la rivière Praek Tuek Chhu a également été frappé à de nombreuses reprises par de sévères inondations.
« Je me suis inscrite au système d’alerte précoce en 2017, sur les conseils de ma voisine », témoigne la jeune femme. « Le 16 juillet 2018, j'ai reçu un message audio sur mon téléphone concernant le risque d’inondation. J’ai préparé mes affaires et nous sommes allés chez ma mère, qui habite plus loin de la rivière. J’ai également prévenu les voisins. »
Le Cambodge fait partie des 15 pays présentant le risque le plus élevé de catastrophes naturelles dans le monde. Durant la saison des pluies, c’est-à-dire entre mai et octobre, les inondations y touchent régulièrement plus de 25 % de la population. Pour renforcer la résilience de la population face à ce danger, l’organisation humanitaire tchèque People in Need (Člověk v tísni) qui opère dans le pays depuis 2008, a développé ce système d’alerte basé sur une technologie de pointe.
La Française Anouk Chaptal, qui travaille pour People in Need au Cambodge depuis plusieurs années, est la responsable de ce projet, soutenu par de nombreux donateurs internationaux. Elle explique le fonctionnement du système :
« C’est un système qui a été développé il y a dix ans. People in Need a commencé à travailler sur la gestion du risque de catastrophes, avec les autorités compétentes. Car en 2010-2011 il y a eu des inondations très importantes au Cambodge. Après avoir piloté le système dans les communes d’une province particulièrement affectée qui s’appelle Pursat, le système a été étendu à l’intégralité des provinces au Cambodge. Il est opéré par le Comité national pour la gestion des catastrophes. »
« Il y a plusieurs capteurs installés un peu partout dans le pays, sur des ponts au-dessus des rivières qui sont sujettes à causer des inondations. Ces capteurs sont alimentés par l’énergie solaire et mesurent le niveau d’eau en temps réel. Lorsque la nappe s’approche d’un niveau dangereux, le capteur va informer les autorités provinciales compétentes via le site web du système. Une fois les autorités averties, le système permet de diffuser directement des alertes aux communautés à risque. »
Le système d’alerte précoce peut être utilisé dans d’autres situations de crise également. Au Cambodge, il a par exemple servi à communiquer des informations lors de la pandémie de Covid-19. L’ONG tchèque travaille constamment sur l’augmentation de sa portée, comme l’explique Anouk Chaptal :
« Nous utilisons plusieurs canaux de communication. Les personnes peuvent s’inscrire au système via un numéro de téléphone, le 1294. Elles sont appelées par le système lorsqu’il y a une alerte. Actuellement, nous avons environ 140 000 abonnés. Nous avons également développé d’autres canaux de communication, tels que la diffusion radio, avec la radio la plus importante au Cambodge. Nous avons installé des haut-parleurs dans une des villes particulièrement affectées par les inondations. »
« Nous sommes en train de développer d’autres canaux de diffusion qui permettront de toucher plus de personnes : c’est le cas de la chaîne Telegram qui est un réseau social particulièrement utilisé au Cambodge. Nous développons une nouvelle modalité qui permettrait d’envoyer des messages SMS aux personnes localisées dans une zone à risque, sans avoir besoin de s’inscrire. Pour mettre en place cette modalité, nous collaborons avec l’opérateur téléphonique le plus important au Cambodge qui a plus de 8 millions d’abonnés. »
Les phénomènes météorologiques extrêmes et les inondations associées ont fait plus de 400 morts au Cambodge entre 2011 et 2013, avant le lancement du système EWS 1294. Lorsque de fortes pluies ont frappé 14 provinces du nord-ouest du pays en 2022, le système a envoyé pas moins de 275 000 messages d’alerte.
People in Need et l’Agence tchèque de développement mettent en œuvre de nombreux autres projets au Cambodge, consacrés à l’éducation des jeunes, à l’inclusion des personnes handicapées, au soutien aux agriculteurs ou encore au développement de la biomédecine.
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