Festival Bazaar : lâcher prise, à Prague, avec un spectacle de danseurs indépendants
Du 23 au 26 mars, le Festival Bazaar donne rendez-vous à son public pragois. Quatre jours durant, jusqu’à dimanche, des artistes indépendants d’Europe centrale et orientale se rassemblent pour donner des représentations de théâtre et de danse.
Projet européen à l’origine, le Festival Bazaar a pour objectif de montrer que la culture intervient elle aussi pour évoquer les enjeux socio-politiques actuels. Pourquoi à travers des artistes indépendants ? Co-fondateur de l’événement, Ewan McLaren explique la volonté de créer une scène leur permettant de laisser libre court à leurs performances :
« Il apparaît important que les artistes tchèques et des pays voisins travaillent ensemble. Pendant des années, il y a eu une fascination pour les courants artistiques allemands, ou même pour la scène française ou britannique. Puis les acteurs de cette région, en République tchèque, en Hongrie ou en Pologne, ont progressivement réalisé qu’une coopération commune était nécessaire. De nombreux enjeux doivent être discutés par les acteurs de cette région. Ce sont les idées qui se cachent derrière l’organisation du Festival Bazaar afin que des artistes indépendants d’Europe centrale et orientale travaillent et partagent la culture ensemble. »
« L’idée de ce festival européen était aussi de rassembler des performances créées en réaction à des enjeux politiques et sociaux. Par le passé, nous avons pu traiter des questions d’identité, de genre. Ces dernières années, les enjeux climatiques ont beaucoup influencé le travail des artistes. Le Festival Bazaar permet de rassembler des artistes qui, à travers leur art, partagent et défendent des thèmes communs. C’est également le moment pour partager ces thèmes avec le public tchèque et international. »
« Prendre soin de quelque chose, c’est être dans le contrôle »
Pour cette 9e édition, les performances artistiques ont un thème commun : « Care ».
« Nous avons choisi ce thème, car le mot ‘care’ peut signifier beaucoup de choses : se sentir concerner, prendre soin des autres ou de soi. Selon les contextes, prendre soin de quelque chose peut devenir une forme de contrôle. Nous souhaitions questionner tous ces équilibres autour de la liberté et du contrôle. Ce thème nous permettait de réunir toutes ces réflexions. Cette année, les performances des artistes entrent dans cet éventail de questionnements. Certaines performances s’imprègnent de ce type de sujet : trouver sa propre voix ou possiblement la perdre par le contrôle des autres. »
« Certaines performances évoquent aussi la cause climatique et la manière dont nous pouvons nous sentir concerner. Par exemple, une des représentations, ‘Tectoparty’, est une sorte d’excursion géologique pour prêter attention à la Terre. Une autre plutôt expérimentale, appelée « Spider, turtle, we », se concentre sur l’existence des insectes par rapport à l’homme. »
Kristina Norman, une artiste estonienne, présente la performance d’ouverture du festival afin de représenter les femmes, notamment les femmes ukrainiennes :
« Kristina Norman nous livre une performance purement poétique. Elle est à la fois une artiste visuelle, une écrivaine qui a trouvé le moyen de mêler plusieurs supports : vidéo, dessin et danse. Elle voulait mettre en avant sa solidarité avec les femmes ukrainiennes. Elle raconte notamment l’histoire de ces femmes qui ont tout abandonné pour partir vivre en Italie et s’occuper des personnes âgées. Elles envoient de l’argent tous les mois à leurs familles, mais, le plus souvent, elles travaillent clandestinement. »
« Sa performance, ‘Lighter than a woman’, est si poétique, elle ne se concentre pas uniquement sur la vie difficile de ces femmes. Elle est parvenue à transposer la manière dont ces femmes s’occupent de leurs patients. Elle souhaite montrer que le travail des femmes peut être lourd. »
« Un autre aspect de son travail est l’intérêt qu’elle porte aux différentes perspectives des féminismes à travers les régions d’Europe. Elle se questionne, par exemple, sur la manière dont les mouvements féministes peuvent être fortement influencés par les pays occidentaux s’opposant aux mouvements qui existent déjà. »
« Lâcher prise »
Un riche programme attend le public pendant ces quatre jours. Des performances d’artistes venus d’Estonie, de Slovaquie ou encore d’Israël ont pour but d’amener les spectateurs à se questionner sur des thèmes variés :
« Le vendredi soir, deux performances solos de danse sont à retrouver. Un contraste opéré par une danseuse slovaque et une danse israélienne. Ces deux solos posent des questions davantage sur le corps et le contrôle que l’on peut opérer sur soi-même. Ce n’est pas directement lié au thème, mais elles s’interrogent sur l’identité féminine. »
« Le samedi soir, un trio de danseurs estoniens, qui sont probablement les seuls hommes présents, remettra en question sur scène les codes de la masculinité : je suis un homme, je sais tout, je peux ordonner tout à tout le monde. Une performance ironique et absurde pour prendre en considération les avis des autres, et non plus uniquement ceux des hommes. Un trio surprenant composé d’un chorégraphe, d’un acteur et d’un dramaturge. »
« Enfin, le dimanche est le jour où on lâche prise. Au lieu de réfléchir sur comment prendre soin des autres, le contrôle, nous prêtons plutôt attention à l’écoute et à l’observation. »
« Mettre en avant des artistes innovants »
Bazaar n’offre pas seulement au public des performances d’artistes professionnels, mais il laisse l’opportunité aux jeunes talents de donner une représentation. Donner une voix à la nouvelle génération de danseurs est l’autre facette du festival :
« Nous avons un programme ‘Live Performance Bazaar Residencies’ qui rassemble à Prague pendant une à deux semaines de répétitions des groupes de danseurs tchèques mais d’autres venus d’Estonie, de Hongrie par exemple. Nous leur laissons la possibilité de donner une représentation au public le samedi après-midi. C’est l’esprit du Bazaar Festival. Nous rassemblons des artistes afin d’inspirer le public autour d’un thème commun, mais nous montrons aussi au public ces jeunes artistes qui innovent sur la scène de danse contemporaine. Pour montrer à ce public ce que la nouvelle génération de danseurs peut apporter. »
Le festival Bazaar est international, la plupart des représentations seront en anglais. Mais pas de panique pour celles et ceux qui ne « don’t speak English », des sous-titres tchèques seront également disponibles.