Tanec Praha : quand la danse sort de la salle de spectacle
Le festival de danse contemporaine Tanec Praha continue et présente deux nouveaux spectacles à Prague ce vendredi 15 juin, en coopération avec le Landscape Festival. Intitulés « Neboj » et « Origami », ils présentent tous les deux la particularité d’être joués en plein air : le premier se tiendra dans le tunnel de Žižkov, tandis que le second aura lieu sur le site du mémorial national de Vítkov. Radio Prague a rencontré les artistes à l’origine de ces créations.
« Les spectateurs ont rendez-vous face au mur du tunnel sur lequel le grapheur Timo, originaire de Brno, a écrit ‘Neboj’. C’est ce mot, qui sonne déjà magnifique quand on n’en comprend pas le sens, et encore plus quand on le comprend puisqu’il signifie ‘n’aie pas peur’, qui a donné le titre à la performance. »
Ce spectacle, les danseurs l’ont déjà joué dans les sous-sols du château de Špilberk à Brno, qui servaient autrefois de prison. Entre les deux lieux, c’est toute une histoire différente qui se joue, comme l’explique Nicole Moussoux :
« Dans le tunnel de la prison de Brno, le lieu a influencé la gestuelle et la façon de réagir des étudiants. On a imaginé que le spectacle était l’histoire de personnes qui, après une catastrophe, ont dû se réfugier dans ces caves et sont donc obligés de vivre ensemble, tandis que l’âme des prisonniers est toujours là. Ici le tunnel de Žižkov est un lieu de passage, il représente donc peut-être plutôt le tunnel de la naissance à la mort. »
Née à la suite d’un atelier animé par Nicole Mossoux en avril dernier à l’Académie Janáček des arts musicaux, cette collaboration est le résultat des échanges entre la danseuse, son partenaire dramaturge et metteur en scène Patrick Bonté, et les étudiants tchèques. Pour communiquer, les artistes se servent majoritairement de l’anglais, mais ils font aussi occasionnellement appel à des traductions, pour que les étudiants comprennent dans leur langue maternelle la poétique de la performance.
Si les organisateurs de Tanec Praha ont choisi de coproduire ce spectacle, c’est notamment en raison de leur attachement à la compagnie bruxelloise, qui participe pour la quatrième fois au festival. Les deux artistes partagent ainsi une relation particulière avec la République tchèque selon Patrick Bonté :
« Nous avons une histoire assez longue avec Tanec Praha, et peut-être aussi quelque chose à partager avec la culture tchèque : une forme d’humour noir, de retrait, de distance étonnée devant certaines évidences. La Belgique et la Tchéquie sont deux pays qui ont été constamment envahis dans l’Histoire et qui ont développé un certain recul vis-à-vis de la façon qu’ont les autres pays, qui viennent avec de grandes cultures, de les écraser ou de vouloir leur imposer des attitudes et une façon de vivre. »
Le deuxième spectacle, Origami, qui se jouera au mémorial national de Vítkov, est une création de la danseuse et circassienne franco-japonaise Satchie Noro et du constructeur-scénographe français Silvain Ohl. Satchie Noro évolue sur l’énorme masse d’un container en tôle, au fur et à mesure que celui-ci se plie et se déplie, à la manière d’un origami. Un objet qui porte en lui une importante symbolique pour Silvain Ohl :« Le container est aujourd’hui un vecteur catastrophique de mondialisation culturelle. En partant d’un objet mondialisateur et donc normatif, qui donne un standard commun, nous proposons une véritable résistance visuelle et de mouvement. Ce container, on en fait autre chose, on l’exploite dans une autre dimension. »
Le mouvement de l’origami accompagne celui de la danseuse, et ils deviennent alors comme deux partenaires dans cette chorégraphie. La performance mêle ainsi la danse classique, qui est la formation de base de Satchie Noro, avec la danse contemporaine mais aussi le nouveau cirque, grande passion de la danseuse depuis une quinzaine d’années. C’est notamment cette diversité des techniques qui a permis la création du spectacle :
« C’est une nécessité de passer de l’une à l’autre, de ne pas avoir de frontières, de rester très ouverte aux possibles et de développer de nouveaux vocabulaires, de nouvelles façons d’appréhender l’objet et l’espace. Il y a quinze ans, je n’aurais jamais pu danser sur un origami parce que je n’aurais pas eu la force dans les bras pour me suspendre d’un bras ! »Avec Tanec Praha, l’origami de Satchie Noro et Silvain Ohl voyage depuis le 4 juin autour de la République tchèque. En découvrant chaque jour une nouvelle ville, Satchie Noro s’est délectée de nombreux paysages.
« Quand je suis sur le container, c’est pour moi un spectacle dans le spectacle. Quand j’ai la tête renversée, je vois tous ces clochers, le ciel nuageux… Je rêve en même temps. »
Finalement, c’est peut-être en sortant la danse de la salle de spectacle que Tanec Praha réussit le mieux son objectif de rendre accessible à tous la danse contemporaine. Markéta Perroud, organisatrice du festival, en témoigne :
« Il y a une rencontre plus proche avec le public. C’est plus simple pour le spectateur de se rendre compte que la danse fait partie de notre vie, et qu’on peut l’avoir autour de soi, pas seulement au théâtre. »