Manipulation, racket, torture, elfes et enfer : la secte de Kutná Hora mise à nu au tribunal
Le 5 octobre 2022, le corps d’un homme est retrouvé inerte dans un appartement de Prague 4. Cet homme, c’est Richard : un pseudo-guérisseur et le gourou d’une secte qui a fonctionné dans l’ombre pendant plus de vingt ans. L’affaire, actuellement étudiée par le tribunal municipal de Prague, lève le voile sur le fonctionnement et les méthodes de la secte de Kutná Hora, née au milieu des forêts et châteaux médiévaux de Bohême.
« Pendant toute la période où nous l’avons côtoyé, Richard nous a dit - et menacé d’une certaine façon - que si on ne lui créait pas un environnement favorable, alors il devrait rentrer chez lui, dans son monde [...]. Nous avions peur qu’il nous quitte. Il disait que s’il partait, on ne le retrouverait pas, qu’il disparaîtrait physiquement. À cette époque, nous avions tous confiance en lui. »
Richard a grandi dans la campagne de Bohême centrale, dans les environs de la ville de Kutná Hora. Fils de guérisseur, il est persuadé dès son plus jeune âge qu’il a hérité des dons de son père. C’est dans ces circonstances qu’il commence à prodiguer ses premiers soins, gratuitement alors, auprès d’une famille des alentours. Richard propose ses dons d’abord pour soulager une jeune fille de ses problèmes de peau. Puis il s’occupe de la mère et même du grand-père, pourtant dubitatif quant à l’efficacité de ses méthodes. Interrogée au tribunal en qualité de témoin, la mère de la jeune fille s’est souvenue du comportement déplacé de Richard dès cette époque :
« Il a commencé par me dire que mon mari ne m’aimait pas, que j’allais divorcer, trouver quelqu’un d’autre et être heureuse avec lui. Petit à petit, il m’a fait comprendre que l’heureux élu, ce serait lui. Je n’y croyais pas au début, je ne voulais pas divorcer et je n’avais même jamais pensé à rien de tout cela. Malgré cela, je suis progressivement tombée amoureuse de lui. »
La femme finira par quitter son mari pour vivre aux côtés de Richard pendant près de vingt ans.
Dans le même temps, le bouche-à-oreille produit son effet et l’écho des pouvoirs de Ríša, comme Richard se laisse appeler en privé, commence à se propager autour de lui. En échange de ses soins, le guérisseur exige désormais une petite somme d’argent, autour de 500 couronnes (20 euros) pour une séance d’une heure. Toutefois, pour bénéficier des précieux dons de Richard, la recommandation personnelle d’un ancien patient ou, au moins, une photo de la personne à guérir doivent lui être présentées.
La dérive mystique
Progressivement, les pratiques du thérapeute évoluent. Il ne se contente plus de soigner les douleurs physiques de ses patients. Doté d’un véritable charisme, il développe des théories sur le fonctionnement du monde. Attirés par son discours, les curieux viennent écouter les enseignements du maître à penser. De nouveaux membres se joignent à la communauté. Tantôt minés par la solitude, la peur, un sentiment de culpabilité, des questionnements sur le sens de leur vie ou l’absence de réponses à leurs questions existentielles, tous semblent habités par le même désarroi. Richard, lui, propose des réponses et les rassure. Contrairement aux idées reçues, ceux qui rejoignent le mouvement sont tout sauf des simples d’esprit, et ce comme le souligne Jitka Schlichtsová, de la Société pour l’étude des sectes et des nouveaux mouvements religieux :
« C'est un stéréotype répandu de penser que seuls les niais ou les ignares puissent croire à ce qui apparaît comme des délires évidents, un non-sens et un déni de toute éducation aux yeux du plus grand nombre. Même des personnes éduquées, qui sont plus réfléchies, plus sensibles et sont davantage conscientes que d’autres de l'incertitude à laquelle nous sommes quotidiennement confrontés, de la relativité et de la complexité du monde, peuvent aspirer à une forme de simplicité et espérer que quelqu’un les aide à trouver leur voie face à tant d’options et de chemins possibles. Elles peuvent ainsi être conduites à se rapprocher de quelqu’un qui leur donnera la solution et les aidera à se libérer de leurs angoisses existentielles. »
Alors que le nombre de ses adeptes et fidèles ne cesse de croître, Richard leur propose de nouveaux rituels pour les délivrer des souffrances et remords qui les rongent :
« On écrivait des lettres dans lesquelles nous exprimions nos problèmes. Nous écrivions deux lettres, une personnelle et une autre tous ensemble. Pour chacune de ces lettres, Richard demandait 66 000 couronnes. »
Au fil des années, le guérisseur développe un discours toujours plus empreint de surnaturel et de mysticisme. Il organise des rituels obscurs la nuit au château de Houska, dans la région de Liberec, là où, selon la légende, se trouve la porte des Enfers. Toutes les nuits, prétend-il, il partirait dans une autre dimension d’où est originaire l’elfe qui vit en lui et lui confère ses pouvoirs thaumaturgiques. Le pseudo-thérapeute joue de son autorité et des peurs de ses patients. Un homme âgé qui a appartenu à la communauté témoigne lors de l’audience :
« Il utilisait beaucoup de paroles tirées de l’Enfer de Dante comme ‘Abandonnez toute espérance[, vous qui entrez ici]’. Il disait aussi, par exemple : ‘Celui qui me désobéira sera perdu dans l’Enfer de Dante, dans cette horreur sans fin et sans espoir.’ Je sais que cela semble banal, mais à cette époque, je lui accordais une confiance sans limite. »
Au fur et à mesure, Richard construit sa légende. Dans d’autres vies, il aurait par intermittence incarné Jésus, le Vizir égyptien Imhotep, Léonard de Vinci, le bourreau médiéval de Prague Jan Mydlář ou encore Adolf Hitler. Dans tous les cas, sa mission était toujours la même : mettre fin aux violences. Un objectif qu’il ne serait pas parvenu à atteindre en raison, selon ses dires, de la nature profondément mauvaise de l’homme.
Ríša a désormais plusieurs dizaines de membres sous contrôle et peut se permettre les extravagances les plus éhontées. Il exige, par exemple, une commission de 100 000 couronnes pour la vente d’une maison au motif que sans ses dons surnaturels la vente n’aurait pas pu se réaliser. Il force certains fidèles à emménager ensemble alors qu’ils ne se connaissent pas, en pousse d’autres à se mutiler pour montrer leur dévouement envers leur guide ou encore les convainc d’acheter des voitures de sport hors de prix immatriculées « 666 NINJA » et dont le bénéficiaire n’est personne autre que... Richard. Pour l’ex-compagne du guérisseur, qui a vécu dix-neuf ans avec lui avant de le quitter, Ríša ne faisait pas lui-même l’acquisition de voiture non pas parce que « des voisins qui ne l’aimaient pas auraient pu la dégrader » comme il le prétendait, mais parce que « c’était un radin ». Selon les récits des témoins au tribunal, Richard réalisait ainsi, par le biais de ses proches et sans avoir à investir le moindre argent, ses rêves les plus fous.
Une fuite et deux décès
Cependant, en décembre 2021, le monde bâti par Richard connaît ses premiers vacillements. Sa partenaire et sa belle-fille fuient en cachette, grâce à la complicité de parents, alors que Richard est absent. Au tribunal, son ex-compagne parle de « vingt années d’une vie difficile remplie de souffrances et d’abus ». Richard est furieux. Il comble ce vide en se rapprochant de Magdalena, une dentiste, membre de la secte. Une femme qu’il torturera, battra et violera.
En août 2022, la situation se complique plus sérieusement encore pour Richard. En compagnie de fidèles, le guérisseur organise un rituel de “purification” à proximité du château de Český Šternberk, à quarante kilomètres à l’ouest de Kutná Hora. Ensemble, ils passent plusieurs jours dans les bois durant lesquels Ríša diagnostique les « problèmes sexuels » de ses patients. Deux d’entre eux ne reviendront pas vivants de cette retraite dans la forêt : František J. et Jiří H., âgés de 56 et 59 ans. Si les conditions exactes de leur mort restent mystérieuses, il semble que ce soit à partir de ce moment-là que le guérisseur a commencé à manifester une grande anxiété. Probablement de peur que l’affaire ne s’ébruite et n’attire l’attention des autorités.
Et le miracle ne fut pas
Pour Richard, la situation devient insoutenable. Il convainc finalement Magdalena, la dentiste, et Irena, une institutrice à la retraite, de le tuer. Richard leur fait croire qu’une fois mort, son corps disparaîtra miraculeusement. Les deux femmes suivent ses instructions. L’homme est coupé au scalpel et empoisonné avec un anesthésiant. Le lendemain matin, le 5 octobre 2022, alors que le cadavre gît toujours dans son appartement de Prague 4, Magdalena et Irena se résolvent à avertir la police.
Au domicile du guérisseur, les enquêteurs retrouvent l’équivalent de 90 millions de couronnes (près de 4 millions d’euros), dont la vocation reste inconnue. Il semblerait que Richard ait, un temps, envisagé de faire l’acquisition de parcelles dans les environs de Kutná Hora pour y construire des maisons dans lesquelles il aurait installé les plus fidèles de ses adeptes.
L’affaire est à présent devant les tribunaux. Les détails les plus sordides de la secte sont dévoilés au grand jour. Selon les psychologues et psychothérapeutes interviewés par iRozhlas.cz, le site d’information de la Radio tchèque, beaucoup de temps sera nécessaire aux anciens membres de la secte pour se défaire de l’emprise que Richard exerçait sur eux. Certains pourraient même ne jamais y parvenir. Seul un fort soutien de la famille et des proches peut constituer un puissant antidote.