La vie nocturne dans la Tchécoslovaquie d'après-guerre : « La nuit procure de la liberté »
La chercheuse tchèque Lucie Dušková a rédigé une thèse intitulée « Nuit en Tchécoslovaquie : 1945-1960, représentations et pratiques sociales » dans le cadre de son doctorat en histoire économique et sociale à l’Université Charles.
Comment vous est venue l’idée de travailler sur ce sujet ?
Lucie Dušková : « Cela découle en partie de mon parcours précédent. Dans le cadre de mes études d’histoire économique et sociale en France, j’ai remarqué que le sujet de la nuit n’avait pas encore été étudié et qu’il était donc d’une certaine manière original. De plus ce sujet a une double perspective, nous avons d’une part la dimension symbolique de la nuit et d’autre part l’environnement de pratiques quotidiennes que représente la nuit.
Je me suis beaucoup intéressée à la vie quotidienne de personnes ordinaires qui autrement seraient tombées dans l’oubli et dans ce cadre-là, il y a une influence française dans le choix de ce sujet. »
« La nuit est l’environnement naturel des personnes ordinaires mais aussi des marginaux. Je porte donc aussi un grand intérêt à la vie des personnes en marge de la société et j’ai vraiment été influencée par l’École des Annales, les travaux de Marc Bloch et les publications de Jacques Le Goff.
Je me suis dit que si eux avaient réussi à trouver des sources médiévales et à reconstruire la vie des gens grâce à des sources très fragmentaires, pourquoi ne réussirais-je pas à mener mes recherches à partir de sources très accessibles sur la période contemporaine ? »
Les films représentent une des sources majeures dans vos recherches. En quoi ce support vous a été utile ?
« Le film est une source assez spécifique et assez riche si on arrive à l’appréhender de manière indirecte. Les films ne racontent pas seulement l’histoire au premier plan mais aussi les coulisses, toutes les professions, les caractéristiques des personnages. Le film reflète aussi la vie et les valeurs de la société. Les réalisateurs ont réalisé des films dans l’attente que le public soit au rendez-vous. Même dans un contexte autoritaire, il y a toujours cette recherche du public. Ils font l’effort de communiquer avec le public. Le cinéma est donc comme un miroir de la société. »
La nuit comme espace de liberté
Considérez-vous la nuit différemment depuis vos recherches?
« Oui et non. J’ai toujours aimé la nuit car je pense que c’est un espace de liberté mais je suis consciente du fait que beaucoup de monde a peur de la nuit. Je dirais que j’aime d’autant plus la nuit après avoir écrit ma thèse. J'insiste sur le fait que c’est un environnement qui pour moi procure de la liberté. »
Est-ce que vous continuez à faire des recherches sur la nuit en Tchécoslovaquie aujourd’hui ?
« Non, je ne fais plus de recherches sur la nuit car c’est un sujet assez difficile, je souhaite me reposer. Mais peut-être à l’avenir, sait-on jamais. Mes sujets de recherches ne sont pas pour autant plus simples car mes recherches portent désormais sur le travail. »
Est-ce que vous souhaitez nous en dire plus sur le sujet ?
« C’est le sujet par lequel je me qualifie pour le titre de Maître de conférences et je réalise à l’Institut pour les études de l’Europe Centrale et Orientale qui est basé à Leipzig en Allemagne. C’est un sujet qui est appréhendé ou approché de la même manière que la nuit. C'est-à-dire, à quel point la notion de travail valable ou du moins utile pour la société reflète ses valeurs mais aussi, comment elle est vécue au quotidien. Cela sera mon projet pour les prochaines années. »
« Il faut préciser, pour le contexte, que je travaille sur le régime autoritaire en Tchécoslovaquie. Ce nouveau sujet porte sur les Trente glorieuses, ce boom économique qui a suivi la Seconde Guerre mondiale entre 1945 et 1975. Mon ambition est de comparer le régime socialiste et capitaliste et en tirer des différences ainsi que des points communs dans la construction de la notion de travail dans la vie quotidienne. Mes cas d’études sont la Tchécoslovaquie et la France. »
En quoi travailler au sein de l’équipe de l’Institut d’histoire économique et sociale de l’université Charles vous a aidée dans vos recherches ?
« C’est un milieu très accueillant, très innovateur. Je pense que je n’aurais pas pu traiter ma thèse autre part qu’à cet institut. De manière générale, les personnes qui y travaillent et étudient sont très ouvertes d’esprit. C’est aussi un institut qui est très orienté sur les méthodes, les approches et théories historiques qui sont très utiles si l’on veut analyser en profondeur les matériaux qu’on a à notre disposition. »
Enfin, est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur la publication de votre thèse?
« Le livre qui va être publié pourrait être traduit comme : Créer la nuit socialiste : société, idées et vie quotidienne en Tchécoslovaquie 1945-1960. Il est basé sur ma thèse, même s'il est plus lisible et acccessible que celle-ci. Des dernières corrections doivent encore y être apportées mais en automne vous pourrez le trouver en librairie. J'espère qu’il aura du succès. »