Les femmes, toujours grandes absentes de la politique tchèque
Les femmes demeurent remarquablement absentes de la plupart des postes de pouvoir en Tchéquie. Le pays n’a jamais eu de femme Premier ministre ou de présidente, et des ONG ont à maintes reprises souligné le manque de représentation des femmes dans la politique nationale. De plus, les femmes politiciennes sont souvent la cible d’agressions verbales simplement en raison de leur sexe. Radio Prague Int. a parlé avec la politologue Lenka Hrbková, de l’Université Masaryk, à Brno pour en savoir plus sur les défis auxquels sont confrontées les femmes politiciennes tchèques.
« Typiquement, les attaques contre les politiciennes consistent en des remarques sur leur apparence, leur intelligence, mais ce qui est également assez courant, c’est une forme de violence sexualisée, de harcèlement pornographique, des menaces de viol, des menaces de violence sexuelle, des attaques qui sont toujours genrées. »
Je suppose que nous parlons d’attaques sur les réseaux sociaux de la part du grand public. Si tel est le cas, quelle est l’attitude des hommes politiques tchèques envers leurs collègues féminines ? Ne les rabaissent-ils pas occasionnellement de la même manière et n’attisent-ils pas le feu, pour ainsi dire ?
« Par le passé, certaines femmes politiciennes ont vraiment signalé que certains de leurs homologues masculins agissaient parfois avec irrespect. Nous n’avons pas de données systématiques à ce sujet, mais nous pouvons toutefois constater certains comportements inappropriés liés au genre. Par exemple, le chef du parti Liberté et Démocratie directe (SPD), dans l’opposition, Tomio Okamura, a récemment critiqué la présidente de la Chambre des Députés en disant que, étant donné qu’elle n’a elle-même pas d’enfants, elle n’est pas suffisamment compétente pour parler de questions politiques liées à ce sujet. Mais, en règle générale, je pense que la plupart des hommes en politique condamnent généralement un tel comportement inapproprié dans leur communication avec leurs collègues féminines. Cependant, ils argumentent très souvent qu’ils sont eux aussi confrontés à de nombreuses menaces et attaques. Mais, comme je l’ai dit, il y a un aspect genré à tout ce problème et les menaces et attaques auxquelles les femmes font face sont qualitativement différentes. »
Les médias sont-ils irréprochables à cet égard ?
« Les médias contribuent certainement à perpétuer certains biais à l’encontre des femmes politiciennes en reproduisant certains stéréotypes genrés. De cette manière, ils jouent aussi un rôle dans les difficultés auxquelles les femmes font face en politique. »
Pouvez-vous être plus spécifique ?
« Les médias ont souvent tendance à présenter les femmes politiciennes en tant que femmes plutôt que comme des politiciennes. Ils commentent leur apparence, leur façon de s’habiller, leur coiffure et ainsi de suite. Il existe également des études qui suggèrent que les médias sont plus critiques envers les femmes politiciennes qu’envers les hommes politiques. Tous ces petits biais peuvent créer des obstacles et des barrières pour les femmes en politique. »
Donc, les femmes en politique doivent se comporter comme les hommes pour survivre, est-ce le cas ?
« C’est quelque chose que nous avons tendance à croire. Nous avons cette image de la politique comme quelque chose de sale et difficile où il faut être dur pour survivre, c’est le récit dominant. Mais nous avons vu dans d’autres pays, comme la Finlande, la Nouvelle Zélande ou même la Slovaquie, que cela peut être différent, que les femmes peuvent apporter un style de politique différent, en étant authentiquement plus gentilles et attentionnées. Je ne dirais donc pas que c’est une nécessité d’accepter cette façon plus masculine et dure de faire de la politique. »
Comment les femmes politiciennes tchèques se défendent-elles contre ces attaques ? Olga Richterová du Parti Pirate a récemment remporté un procès en diffamation. Est-ce que cela a envoyé un bon signal à d’autres ?
« Oui, je pense que ce procès était extrêmement important. Il a envoyé un signal important que ce type de comportement est à l’encontre des normes de la société et il donne un signal à leurs auteurs que ce n’est pas acceptable et que c’est un comportement criminel. Cependant, il n’est pas très courant que les politiciens en République tchèque se tournent vers les autorités chargées de l’application des lois. Je pense qu’ils devraient le faire plus souvent. Il y a eu un autre procès très important dans lequel la Cour constitutionnelle a statué en faveur de Klára Kalibová, une militante des droits de l’homme bien connue, en déclarant que ces attaques nuisibles constituaient un délit pénal et qu’à ce titre, elles devraient être traitées par les tribunaux pénaux, qu’il ne s’agit pas seulement d’une infraction mineure. Je pense que cela nous envoie le signal que l’État prend ce problème au sérieux et qu’il pourrait être plus souvent pris en compte par les hommes politiques. »
Alors pourquoi les femmes politiciennes ne le font-elles pas plus souvent ? Pourquoi ne se tournent-elles pas vers la police et n’intentent-elles pas de procès ?
« Je pense que c’est parce que nous avons cette idée que la politique est sale et difficile, et que tout cela fait partie du travail. Je pense qu’il est important de préciser ici que les hommes en politique sont également souvent ciblés par de telles attaques et nous avons fini par accepter cela faisait naturellement partie de la politique, que vous devez y faire face si vous voulez faire votre travail. Je pense que c’est la principale raison pour laquelle les femmes politiciennes ne traitent pas davantage le problème et ne transmettent plus souvent pas ces cas aux autorités chargées de l’application des lois. »
Est-ce que cette situation décourage les jeunes femmes à entrer en politique ?
« Il y a plus de facteurs en jeu. Il y a un aspect générationnel, nous savons que les jeunes participent généralement moins à cette forme de politique institutionnelle à travers les partis et les élections que les générations plus âgées. Il y a aussi un aspect genré à cela, nous savons que les femmes ont des niveaux plus bas d’ambitions politiques. Ce n’est pas spécifiquement une situation tchèque, cela s’applique également à d’autres pays. Par exemple, les femmes ont besoin de beaucoup plus d’encouragement de la part des responsables des partis politiques pour se présenter aux élections que les hommes, et nous savons que cet écart dans l’ambition politique n’est pas quelque chose de naturel. Nous savons que pendant l’enfance et le début de l’adolescence, les filles et les garçons ont une vision du monde plus équilibrée en termes de genre. Mais plus le temps passe, plus les filles ont tendance à avoir beaucoup moins d’ambitions pour participer à la vie politique que les hommes. Nous savons donc que c’est le résultat de la socialisation. Donc oui, je pense que toutes ces choses dont nous parlons peuvent décourager les femmes de participer à la politique. »
Sont-elles plus susceptibles de s’engager en politique à un niveau inférieur et de participer au gouvernement local ?
« Plus susceptibles qu’au niveau national, oui, mais même au niveau local, elles sont en minorité par rapport au nombre d’hommes. »
Les femmes politiques tchèques ont-elles une chance d’atteindre les hautes sphères du pouvoir, de prétendre à un poste comme celui de Premier Ministre ou de présidente ? Ou leur est-il seulement permis d’aller jusqu’à un certain point et de servir le parti comme une manifestation de « l’égalité des genres » et de bonne image médiatique ?
« Lorsque nous examinons les chiffres, la réponse est claire : non, elles n’ont pas beaucoup de chances d’atteindre les sommets. Dans l’histoire de la République tchèque, il n’y a eu aucune femme Premier ministre, aucune présidente, aucun chef de parti politique majeur à l’exception de Miroslava Nĕmcová qui a brièvement dirigé le Parti civique démocratique (ODS). Nous n’avons pas un gouvernement équilibré en termes de genre, seuls 26 % de nos députés sont actuellement des femmes, c’est le nombre le plus élevé que nous ayons jamais eu. Donc je ne pense pas que les partis politiques tchèques puissent parler d’égalité des sexes dans la politique tchèque. Bien sûr, les défenseurs du statu quo soutiennent que les hommes et les femmes ont des opportunités égales et que n’importe qui peut se lancer en politique et participer au gouvernement s’ils le souhaitent. Cependant, nous savons que ce n’est tout simplement pas vrai, que c’est beaucoup plus compliqué et que les femmes font face à des obstacles systématiques et informels dans leur carrière politique, de sorte que les opportunités pour les femmes sont vraiment beaucoup plus limitées. »
Qu’en est-il de l’opinion publique ?
« Il semble que le public n’ait pas de préjugés ou de biais explicites à l’encontre des femmes occupant des postes politiques. Nous pouvons constater dans les enquêtes d’opinion publique que les gens ont tendance à approuver les femmes en tant que dirigeantes politiques. Mais il existe de nombreux obstacles implicites et moins visibles, tels que les stéréotypes dont j’ai parlé précédemment. Les femmes ne sont pas naturellement associées aux fonctions publiques et aux rôles de leadership, et donc elles doivent essayer plus fort. Et nous savons que les femmes ont généralement besoin d’être plus qualifiées et d’avoir de meilleures carrières antérieures pour pouvoir bénéficier des mêmes opportunités politiques que leurs homologues masculins. Donc je dirais qu’il n’y a pas de préjugé explicite à l’encontre des femmes en politique, mais les femmes se heurtent à plus d’obstacles dans ces petits biais implicites qu'elles doivent surmonter. »
Quand pouvons-nous espérer un changement pour le mieux ? Quand est-ce que ce pays aura une femme Premier ministre ou présidente ?
« Les progrès sont très lents, étant donné qu’il s’est écoulé plus de 100 ans depuis que les femmes ont obtenu le droit de vote et que seulement 26 % de nos députés sont des femmes. Je dirais que cela prendra vraiment des décennies, à moins qu’une sorte de mesure visant à soutenir les femmes en politique ne soit adoptée par les institutions politiques de ce pays, et actuellement, je ne pense pas que cela se produise. »
Un tel changement peut-il vraiment être imposé ? Est-ce que cela fonctionnerait ?
« Cela dépend. Vous pouvez imposer des quotas au sein des partis politiques et nous savons à partir d’exemples étrangers que si le système de quotas est bien conçu, il peut fonctionner. Les quotas ne sont pas une recette universelle pour résoudre le problème de la sous-représentation des femmes en politique, mais il peut certainement être un stimulant positif pour un changement plus global dans notre société et notre politique. »