Mikulov et Znojmo, deux perles de la plus belle région viticole du pays
Au milieu des vignes, tout au sud de la Moravie, se trouvent Mikulov et Znojmo, deux charmantes villes à la riche histoire. Au fil de notre balade dans ces deux cités emblématiques de la région la plus ensoleillée de Tchéquie, à un jet de pierre de la frontière avec l’Autriche, nous découvrirons le deuxième plus grand cimetière juif du pays, une rotonde aux fresques romanes uniques, les beautés naturelles de la région ou encore des vins dont la qualité a même surpris les soldats de Napoléon.
Mikulov, qui en temps normal ne compte pas plus de 7 500 habitants, est une des villes les plus visitées de la Moravie du Sud. 250 000 touristes tchèques et étrangers au bas mot s’y rendent chaque année, notamment pour les fêtes de vendanges organisées début septembre. Maire-adjointe chargée de la culture et du tourisme, Petra Korlaar aime dire, dans un excellent français, que, s’il existe un vrai cœur de l’Europe, c’est ici précisément, à Mikulov, au cœur du triangle Brno-Vienne-Bratislava, qu’il se trouve.
« Nous sommes sur la place centrale de la ville, connue pour ses belles maisons de style Renaissance. Au centre se trouve la colonne baroque de la Sainte-Trinité, puis, derrière elle, la chapelle funéraire de la famille noble des Dietrichstein, les derniers propriétaires du domaine de Mikulov. La place offre également une belle vue sur la Sainte-Colline avec sa chapelle Saint-Sébastien, qui domine la ville. C’est un haut lieu de pèlerinage très prisé des habitants de Mikulov, qui aiment venir s’y promener, surtout au coucher du soleil… », raconte Petra Korlaar.
Depuis la place, nous prenons la direction du château, un édifice monumental situé, comme toute la ville, sur un rocher calcaire. Nous entrons d’abord dans son magnifique jardin baroque, point de vue panoramique sur toute la campagne environnante.
Le château et le quartier juif
« L’histoire de Mikulov remonte au XIIe siècle. À l’époque, c’était un hameau forain. La ville a d’abord appartenu pendant trois cents ans à la famille des Liechtenstein, puis, à partir du XVIe siècle, à la dynastie des Dietrichstein. Celle-ci a quitté la ville d’Olomouc, qui était alors bien plus importante qu’elle ne l’est aujourd’hui, pour faire installer son siège à Mikulov. Les Dietrichstein ont transformé le château, qui est devenu le principal monument historique de Mikulov, dans un style baroque qui a été conservé jusqu’à aujourd’hui. Grâce à la proximité de Vienne, Mikulov est à cette époque devenu une ville d’une certaine importance, tant d’un point de vue économique, politique, diplomatique que culturel. »
« Et puis, cela intéressera sans doute vos auditeurs français, c’est dans ce château que les négociations de paix après la bataille d’Austerlitz ont été entamées. Pour sa part, Napoléon a passé une nuit à Mikulov, en 1809, après la bataille de Wagram. »
« Au cours des siècles, le château a été endommagé par plusieurs incendies. En 1945 notamment, il a été ravagé par le feu, dans des circonstances qui n’ont jamais été vraiment élucidées. Rénové dans les années 1960, le monument abrite actuellement les collections du musée régional. Nous y organisons chaque année un symposium d’art contemporain, ainsi que différents événements liés à la viticulture. »
Que visiter dans les environs de Mikulov ?
La zone naturelle protégée de Pálava : une crête allongée entre Pavlov et Mikulov, avec ses falaises blanches de calcaire très attrayantes
Le parc archéologique de Pavlov
Le domaine de Lednice-Valtice, inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO
L’ancien quartier juif, dont on voit les restes depuis la terrasse du château, est l’une des attractions touristiques de Mikulov. C’est ici qu’a vécu l’une des plus grandes communautés juives du pays, n’est-ce pas ?
« Effectivement, encore au début du XXe siècle, Mikulov était habité presque exclusivement par une population germanophone. Et au sein de celle-ci, les Juifs occupaient, depuis le XVe siècle, une place très importante. Pendant 300 ans, Mikulov a été le siège des rabbins moraves. Ce qui reste de cette histoire aujourd’hui, ce sont surtout une synagogue baroque et le cimetière juif, dont les quelque 4 000 pierres tombales s’étendent sur deux hectares, ce qui en fait le deuxième le plus grand en Tchéquie après celui de Prague. »
« La population juive de Mikulov a disparu pendant la Seconde Guerre mondiale et ses habitants germanophones, dont les Dietrichstein, ont dû quitter la ville. Celle-ci a été complètement repeuplée par des Tchèques arrivés des quatre coins du pays. Mercedes Dietrichstein, la fille des propriétaires du château, avait douze ans quand elle a quitté la Tchécoslovaquie. Elle vit en Argentine, mais chaque année, elle revient à Mikulov, qui reste la ville de son enfance. (…) La ville a été de nouveau traumatisée après l’invasion soviétique de 1968. Du fait de sa proximité avec l’Autriche, elle était hautement surveillée. Elle comptait près de 3 000 soldats soviétiques qui n’ont quitté Mikulov qu’après la chute du rideau de fer ! »
Pálava, un cépage 100 % local
Petra Korlaar, avant de nous déplacer un peu plus à l’ouest, à Znojmo, on ne va pas quitter Mikulov sans déguster ne serait-ce qu’un petit verre de vin. Pourriez-vous nous dire quels sont les meilleurs vins de la région ?
« Sur les 18 000 hectares de vignobles que compte la Tchéquie, la région de Mikulov en possède 5 000 à elle seule. C’est le plus important domaine viticole du pays ! On produit notamment les cépages Riesling de Valachie, Müller Thurgau et le Grüner Veltliner. Ces vins blancs sont typiques pour notre région tchéco-autrichienne. Ils ne sont pas très connus en France, mais ils sont très appréciés dans les concours internationaux. Enfin, je conseille vivement aux auditeurs de déguster le Pálava. C’est un cépage 100 % local qui donne un vin assez fort et très aromatique, vraiment typique de la région de Mikulov. »
Znojmo et sa célèbre rotonde vieille de 800 ans
Nous voici à Znojmo, qui est une autre petite merveille de la Moravie du Sud située à une soixantaine de kilomètres de Mikulov, toujours dans la région limitrophe à l’Autriche. Nous sommes en compagnie d’Ivan Foletti, historien spécialisé dans l’art du haut Moyen-Âge et fasciné par cette ville qui surplombe la vallée de la rivière Dyje.
Ivan Folletti, vous avez publié avec vos étudiants de l’Université Masaryk un guide pas comme les autres de la ville de Znojmo, intitulé « Průvodce rozvášněným Znojmem ». Pourquoi cette ville et pas une autre ?
« Nous cherchions un endroit où travailler sur la durée, nous voulions commencer par le Moyen-Âge et finir par le monde contemporain. Znojmo était la ville idéale puisqu’il y a la rotonde de Sainte-Catherine qui date du XIIe siècle. En la découvrant, nous sommes tombés amoureux de cette ville. Nous voulions la raconter, présenter ses objets, sa mémoire, ses monuments, tout en faisant quelque chose de vivant et d’actuel. »
Quels sont les monuments à voir absolument à Znojmo ? Faut-il commencer précisément par la rotonde ?
« Effectivement, mais le problème est qu’il y a des règles très strictes pour visiter cet édifice. Il ne faut pas que l’humidité soit supérieure à un certain seuil, ce qui fait qu’il est souvent fermé. Cependant, dès que les conditions météorologiques le permettent, le monument est accessible aux touristes. On y trouve des peintures murales absolument éblouissantes, pas tellement pour leur qualité, c’est quand même assez provincial, mais le contenu est incroyable ! On y représente la dynastie des Premyslides, donc les rois de Bohême et les princes de Moravie, sur trois étages, et cela commence par la légende de Přemysl Oráč, qui est le fondateur légendaire de la dynastie. C’est une œuvre relativement unique dans son genre, parce qu’aucune autre de cette qualité et de cette époque n’a été conservée en Europe. »
Et c’est un petit miracle que les fresques soient restées au moins dans cet état puisqu’il y avait, au XIXe siècle, un dépôt de la brasserie qui se trouve juste à côté.
« Oui, à l’époque, les bourgeois de Znojmo ont ouvert la brasserie de la ville et ont utilisé cet édifice comme un dépôt. C’est un petit miracle d’autant plus que, dans les années 1940, Znojmo faisait partie du IIIe Reich, comme toute la Bohême et la Moravie, et les nazis avaient décidé de restaurer l’édifice avec l’idée d’y trouver des traces du véritable esprit germanique. On a donc commencé à restaurer les peintures murales, mais il se veut qu’au milieu de l’élaboration, les nazis aient compris que c’étaient vraiment les Premyslides qui étaient représentés. Les attributs étaient tels qu’on ne pouvait pas douter que c’était bien la fondation des princes tchèques. À ce moment, ils auraient peut-être pu décider d’effacer les peintures ou de les modifier, mais ils ont abandonné tout simplement, ce qui a fait que les peintures ont survécu et sont encore là aujourd’hui. »
Une ville où se brisent les relations tchéco-allemandes
Les tensions entre Tchèques et Allemands sont quelque chose de très présent à Znojmo, jusqu’à il n’y a pas très longtemps. Comment ont-elles marqué la ville, son architecture, son art, son esprit ?
« Znojmo, c’est d’abord une ville où vivent des gens qui parlent un dialecte slave et des gens qui parlent un dialecte allemand de manière relativement tranquille pendant des siècles. On sait que Znojmo est une fondation vraisemblablement du XIe siècle et ça devient un château important des Premyslides, et puis il y a une ville, sur l’autre colline, Sainte-Hyppolite qui est dominée par des gens qui parlent un dialecte slave. D’ailleurs, on vient de découvrir une église étonnante à Sainte-Hyppolite, qui est là probablement depuis le XIe siècle. »
« À un moment donné, on appelle des colonisateurs venant de la Bavière. C’est quelque chose qu’on connaît très bien en Europe centrale. On a besoin de fonder une ville commerciale, donc on a besoin de capital et de gens qui savent administrer une ville moderne. On invite alors des colons qui viennent de l’Empire parlant allemand, ils vont s’installer à Znojmo et ils vont construire une ville médiévale classique, avec deux grandes places. À ce moment-là, on coexiste ensemble comme à Brno par exemple, et ceci va durer jusqu'au XIXe siècle. C’est avec la naissance du nationalisme que, tout d’un coup, on vit une série de tensions de plus en plus importantes. (…) Au XXe siècle, Znojmo vit trois moments traumatisants : 1918, lorsque la ville gouvernée par des Allemands, est désormais gouvernée par les Tchèques. Et ce n’est pas beau, il y vraiment une rivalité que l’on voit très clairement, même dans l’architecture de la ville. Il y a évidemment le moment des accords de Munich : les Allemands prennent leur revanche et ils le font, en général, de manière fort peu élégante. Ensuite, il y a l’année 1945 et le départ forcé de la population allemande. Ces trois étapes vont faire de Znojmo un des endroits où se brisent les relations tchéco-allemandes, et il a fallu des décennies pour arriver au moment de réconciliation. »
« À Znojmo, on trouve des édifices civils plutôt intéressants, ce sont des petites villas modernistes des années 1920, 1930, qui montrent que cette ville est tchécoslovaque, qu’elle se veut tchécoslovaque. Par exemple, sur la place principale, on a construit à cette époque le centre commercial Baťa, dans le pur style moderniste qui représente clairement cette rupture avec le passé. (…) Dans l’autre angle de la place, il y a un autre centre commercial qui a été construit en réaction par la minorité allemande pour montrer la nouvelle modernité cette fois non pas tchèque, celle de Baťa, mais allemande. »
En face du château de Znojmo et de la rotonde, se trouve la belle église Saint-Nicolas, l’une des nombreuses églises de Znojmo, mais probablement la plus importante. Que peut-on dire à son sujet ?
« C’est l’église paroissiale, construite à la fin du Moyen-Âge. C’est une basilique en fait, qui a la même hauteur au niveau des trois nefs. On voit vraiment qu’elle a été bâtie par des gens qui connaissaient leur boulot, ils ont fait des colonnes sublimement construites et conçues, et l’élévation est remarquable. L’église était administrée par les moines de Louka, donc du monastère qui était juste à côté de Znojmo, et c’est aussi l’église qui va devenir l’un des lieux de la résistance catholique vis-à-vis des hussites puis des protestants. Au moment de la victoire des Habsbourgeois et la recatholisation de tout le pays, ce sera le lieu clef de cette identité catholique qui s’impose sur toutes les autres confessions au XVIIe siècle. C’est aussi une église qui, pour moi, est tout à fait étonnante parce qu’on y voit les traces de la manière dont pouvait fonctionner l’espace à la fin du Moyen-Âge. Par exemple, on trouve une ouverture absolument incroyable dans le plafond par laquelle, visiblement, on faisait entrer dans l’espace des marionnettes, peut-être Jésus qui montait dans les cieux… Il faut vraiment imaginer cet espace comme un théâtre. »
Quand le vin morave arrête l’avancée de l’armée de Napoléon
Vous avez évoqué le monastère de Louka, qui est, entre autres, lié à l’histoire napoléonienne. C'est une histoire très intéressante, très drôle, puisqu’il s’agit du vin, de la qualité du vin morave.
« De la qualité du vin morave, ou du vin tout court ! Déjà Znojmo est une capitale du vin morave, il faut dire que le vin y est plutôt bon, voire même très bon. Alors, l’histoire, c’est que Napoléon passe à côté de Znojmo et ses soldats prennent Louka. Et il s’avère que, comme tout bon monastère, on y trouve de grandes cantines, et dans le sous-sol, sous les regards indécents, il y a des tonneaux qui sont remplis d’un vin plutôt très bon. Ce qui fait que l’armée française va passer un moment intéressant à boire du vin, et visiblement elle ne sera plus motivée pour aller combattre. Et Napoléon aurait dit qu’il y a eu assez de sang, ça suffit, on ne va plus aller se battre à Znojmo. L’une des hypothèses est que son armée était tellement bourrée qu’elle n’était plus en état de se battre. Certes, c’est plutôt une légende, mais l’idée que le vin de Louka puisse arrêter l’avancée napoléonienne, est quand même assez fascinante. »
Y a-t-il un autre monument ou un autre endroit à Znojmo qui vous tient particulièrement à cœur ?
« En face de Znojmo, il y a une colline, on l’appelle la Colline des vaches, Kraví hora, connue pour sa faune et sa flore absolument uniques. C’est un microcosme qui est là depuis l’époque médiévale. En plus, depuis cette petite Colline des vaches, on a une vue sur Znojmo qui est absolument sublime. Cela vaut donc la peine de descendre jusqu’à la rivière Dyje, de remonter, puis d’admirer Znojmo. Il y a tout un dialogue entre le paysage et la culture. »
Que visiter dans les environs de Znojmo ?
L’ancien monastère des Prémontrés de Louka, avec des expositions consacrées au vin
À Přímětice, le Musée Prokop Diviš, inventeur du paratonnerre
Le Parc national de la vallée de la Dyje (Podyjí en tchèque)
La commune de Vranov nad Dyjí avec son château baroque et son lac de barrage
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