La Galerie nationale célèbre le centenaire de sa collection d’art moderne français
La Galerie nationale de Prague commémore le centenaire de l’acquisition, par l’Etat tchèque et sous la houlette de Tomáš G. Masaryk, de la grande collection d’art moderne français. Une collection qui a permis au public tchécoslovaque de découvrir dans l’entre-deux-guerres des œuvres importantes de Braque, Cézanne, Courbet, Matisse, Monet, Picasso, Renoir ou encore Van Gogh. Pour évoquer cet anniversaire, Radio Prague Int. a interrogé l’historienne de l’art Anna Pravdová qui est également responsable de la collection à la Galerie nationale.
« On a cette collection grâce aux très riches relations franco-tchèques entre les deux guerres, mais déjà avant la Première Guerre mondiale, au niveau artistique. L’association des artistes plasticiens Mánes cultivait ces relations franco-tchèques dès avant la guerre : ils ont été les premiers, dès 1902, à organiser une exposition personnelle d’Auguste Rodin à Prague, ils ont invité dès 1909 Emile-Antoine Bourdelle à exposer à Prague. Cette tradition a continué après la Première Guerre mondiale : ils ont organisé plusieurs expositions d’art français du XIXe et XXe siècle à Prague, dont celle de 1923. C’est là que cette passion pour l’art français s’est combinée avec un besoin politique de renforcer les relations franco-tchèques suite à l’échec de la venue du maréchal Foch. La diplomatie tchécoslovaque avait besoin de faire un geste vers la France. Le concours de ces deux choses a permis à cette exposition de 1923 de servir de base à l’acquisition d’œuvres françaises pour les collections de la future Galerie nationale – car celle-ci n’existait pas encore. Une importante sélection a été faite a été faite à l’occasion de cette exposition et une commission a été envoyée à Paris pour choisir d’autres œuvres chez des galeristes parisiens. C’est ce centenaire-là que l’on célèbre cette année. »
On parle de combien d’œuvres en tout à l’époque ?
« On a acheté autour d’une quarantaine de tableaux, un ensemble important de gravures, d’œuvres sur papier et une dizaine de sculptures. »
Est-ce que ça a été complété par la suite ?
« C’est pour cela que l’on parle de ‘naissance de la collection française’, mais pas de la collection française dans son ensemble : cet ensemble a été complété par des achats, par des dons. Et bien sûr par l’acquisition de la collection de Vincenc Kramář, qui est le deuxième volet de cet ensemble d’œuvres. Il s’agit d’œuvres d’art qu’il a acquises lui-même et dont il a ensuite fait don à l’Etat. »
Quelles sont les personnalités liées à l’acquisition de cette collection ? Comment se sont déroulées les négociations ?
« A l’origine de cette collection, il faut signaler l’association des artistes plasticiens Mánes et la personnalité de Vincenc Kramář qui, grâce à ses relations à Paris, avec Kahnweiler notamment et d’autres galeristes, ont permis sa constitution. On se trouve dans une petite exposition consacrée à cette acquisition : on peut y voir une lettre du ministère de l’Education et de la Culture donne les pleins-pouvoirs à Vincenc Kramář pour acheter en son nom des œuvres à Paris. »
Peut-on signaler quelques œuvres françaises emblématiques de la collection ?
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« Il y a bien sûr des œuvres de Picasso, de Braque, d’André Derain, un magnifique tableau grand format de Bonnard, le portrait-paysage du Douanier Rousseau : ici c’est intéressant de dire que Vincenc Kramář qui était alors directeur de la collection d’art ancien de ce qu’on appelait la Pinacothèque des amis patriotiques des arts. Or il a décidé d’utiliser le budget alloué à l’art ancien pour faire l’acquisition l’autoportrait d’Henri Rousseau et de deux Picasso qui ne passaient pas par le comité d’acquisition officiel pour cet achat, un comité plus conservateur et qui n’était pas d’accord… C’est donc Vincenc Kramář qui a permis à la Tchécoslovaquie d’accueillir ces tableaux, parmi les plus modernes à l’époque et qui sont, jusqu’à ce jour, appréciés des musées du monde entier. Tout ceci grâce à son audace de passer outre sa fonction. »
Où étaient exposées ces œuvres puisque la Galerie nationale telle que nous la connaissons n’existait pas à l’époque ?
« Son prédécesseur principal était ce qu’on appelait la Galerie moderne, fondée dès 1902 par l’empereur François Joseph et qui avait un pavillon à Výstavistě où étaient exposées des œuvres des Allemands de Bohême, des artistes tchèques et après cette grande acquisition une section française où ces œuvres ont été déposées et exposées, certaines à partir de 1924 et d’autres à partir de 1926. Le portrait de Rousseau ne l’a été qu’à partir de 1929 : ils n’ont pas osé le montrer au public plus tôt… »
Qu’est-ce que découvrir ces œuvres a représenté pour le grand public tchécoslovaque à l’époque, mais aussi pour les artistes tchèques qui avaient ainsi la possibilité de découvrir une telle collection d’œuvres d’art moderne ?
« Le choix de cet ensemble, avec des œuvres du XIXe et XXe siècle, s’est fait avec l’idée que toutes les étapes de l’art français soient représentées. La fonction était aussi pédagogique : les artistes locaux qui ne pouvaient pas voyager avaient ainsi sous les yeux un échantillon important d’art français. C’était très important car cela a marqué toute la génération d’artistes du groupe Devětsil. Rousseau était par exemple le peintre préféré de Toyen. Et la présence de toutes les œuvres de Picasso a sûrement joué un grand rôle pour les artistes tchèques. »
Y a-t-il eu un équivalent dans l’autre sens avec un achat d’œuvres tchécoslovaques en France ?
« Je ne sais pas si on peut appeler ça équivalent mais il y a eu un achat d’art tchécoslovaque à Paris pour le Musée des écoles étrangères en 1934, où André Dezarroi a inauguré avec le ministre tchécoslovaque de l’époque une salle tchécoslovaque où se trouvait un échantillon varié d’artistes avec des artistes plutôt classiques jusqu’à des œuvres d’Emil Filla ou Josef Čapek – mais uniquement des artistes vivants à l’époque. Cette salle a été inaugurée en 1934 et une partie de ces œuvres ont été acquises et se trouvent aujourd’hui dans les collections du Centre Pompidou. »
Quels événements vont rappeler ce centenaire ?
« Pour rappeler cet anniversaire nous avons installé une petite exposition documentaire où nous avons sorti de nos archives des documents qu’on ne montre pas d’habitude, qui retracent l’histoire de cette acquisition au niveau officiel, avec les correspondances avec le ministère etc. On a préparé un audioguide où les visiteurs peuvent se promener et voir les œuvres acquises en 1923. Aujourd’hui ces œuvres sont réparties entre l’exposition liée aux années de la Première République au troisième étage du Palais des foires et le quatrième consacré à l’art du XIXe siècle. L’audioguide permet donc de faire une balade ciblée. On organise une grande conférence internationale avec des spécialistes qui vont comparer cet achat avec ce qui a pu se faire ailleurs, dans d’autres pays d’Europe centrale ou en France. Un film documentaire a été réalisé par Petr Záruba et co-produit par la Galerie nationale et la Télévision tchèque. Différents événements, conférences, ateliers, visites commentées sont prévus jusqu’en février 2024. »