Last Train Home, les légionnaires tchécoslovaques à la conquête du monde du jeu vidéo

'Last Train Home'

Sorti fin novembre, le jeu vidéo Last Train Home sur l’épopée des légionnaires tchécoslovaques en Russie pendant la Première Guerre mondiale, est déjà dans le TOP 10 des jeux les plus vendus au monde – et à la première place en termes de ventes en Tchéquie. Un joli succès public qui illustre le dynamisme et la réputation des studios tchèques à l’international. Radio Prague Int. revient sur ce chapitre de l’histoire tchèque à portée de clavier, et a demandé son avis à un joueur français.

Les légionnaires tchécoslovaques en Russie | Photo: public domain

L’épopée des légions tchécoslovaques coincés dans la Russie en proie à la guerre civile pendant la Première Guerre mondiale, et qui n’ont pu rentrer chez eux qu’après un périple de trois ans à travers la Sibérie et au-delà, a clairement un fort potentiel dramaturgique. Certains ne s’y sont pas trompés puisqu’il y a quelques années, un auteur français, Kris, s’était attelé à faire revivre cet épisode méconnu en France notamment, avec les deux volumes de la BD Svoboda.

Le réalisateur tchèque, Petr Nikolaev, a longtemps caressé l’idée de porter cette histoire à l’écran, un film malheureusement mis au rencard pour l’instant, faute des moyens financiers nécessaires à l’ampleur d’un tel projet.

'Last Train Home' | Source: Ashborne Games

En attendant, il y a une autre façon de découvrir cette histoire et ce, via le jeu vidéo Last Train Home conçu par le studio tchèque Ashborne Games, sis à Brno, une ville connue pour être une sorte de hub technologique en Tchéquie. Créé à l’automne 2020, « pendant la deuxième vague de Covid-19 », comme le précisent ses fondateurs, ce nouveau studio rassemble des développeurs expérimentés qui ont déjà travaillé sur des références de la scène vidéoludique, comme les jeux Arma ou Mafia.

'Last Train Home' | Source: Ashborne Games

Jeu de stratégie, Last Train Home emmène le joueur à travers la Russie bolchévique, en incarnant un commandant qui a pour mission de ramener en train blindé ses hommes dans le nouvel Etat tchécoslovaque né des cendres de l’empire austro-hongrois et pour lequel ils se sont battus. Pour plus d’authenticité, les concepteurs ont fait appel à des historiens de l’Association des légionnaires tchécoslovaques, sans pour autant sacrifier au plaisir du jeu, comme l’explique Petr Kolář :

Petr Kolář | Source: YouTube

« Nous sommes toujours partis du principe qu’avant toute chose, nous voulions créer un jeu. La question de l’historicité était importante pour nous, mais secondaire. Mais nous avons étudié ce chapitre historique quand même : nous avons été en contact avec l’Association des anciens légionnaires, qui nous a fait savoir quels types d’uniformes étaient portés, nous a transmis du matériel photo montrant des équipements ou des journaux de soldats. Nous avons essayé d’intégrer tout cela dans le jeu. Mais au final, dans notre jeu, toutes ces péripéties durent six mois alors qu’en réalité, cela a duré cinq ans. Donc le joueur fait l’expérience des événements importants de cette épopée, jusqu’à la création de la Tchécoslovaquie. »

Et pour découvrir plus en détails ce jeu inspiré d’une aventure humaine exceptionnelle, rien de mieux que de s’adresser à quelqu’un qui en a fait l’expérience directe.

Ludwig Merenne est un joueur français qui s’était déjà plongé dans une grande partie de Last Train Home avant même sa sortie. Il nous donne son appréciation :

'Last Train Home' | Source: Ashborne Games

« Les premières informations sur le jeu sont arrivées à l’occasion d’un salon, le PC Gaming Show, au mois de juin. C’est là qu’on a vu les premières images et notamment une vidéo de présentation avec des acteurs, qu’on retrouve dans toute la communication autour du jeu. Elle expliquait un peu le système du jeu et le fonctionnement. Un mois avant sa sortie, il y a eu une démo qui permettait de jouer tout le premier chapitre du jeu qui était mis en ligne sur Steam. Souvent, dans le jeu vidéo, on met une démo en ligne sept, huit mois avant la sortie officielle. Ça n’a pas toujours à voir avec la version finale, mais là, je pense que c’était une version définitive sortie 15 jours avant, donc sans possibilité de retravailler énormément. C’était une vraie démo, pas quelque chose où le joueur sert de testeur. »

Quel temps de jeu représente ce premier chapitre de Last Train Home ?

« Le jeu est fait de telle manière qu’on peut passer trois heures sur ce premier chapitre, comme vingt heures. Le mécanisme de jeu est assez simple, mais on prendre le temps de s’intéresser à pas mal de choses : il y a une encyclopédie, donc on peut aller y lire des rappels historiques, aller explorer la carte. Moi j’ai dû y passer une vingtaine d’heures. »

'Last Train Home' | Source: Ashborne Games

Et pour le jeu complet ?

« Tout dépend de l’approche du joueur, mais je pense que pour bien faire le jeu il faut compter une bonne quarantaine d’heures. Si l’on a vraiment envie d’explorer le jeu au maximum de ce qu’il propose. »

Le jeu est produit par un studio assez récent, Ashborne Games, composé de développeurs issus de grands studios tchèques qui ont fait leurs preuves. Qu’est-ce que cela dit sur le marché du jeu vidéo local ?

'Last Train Home' | Source: Ashborne Games

« Il y a des anciens d’Altar Games, un autre studio tchèque qui avait produit les jeux X.COM, donc déjà un peu dans le même fonctionnement de jeu. Last Train Home est très bien, mais il ne révolutionne pas le mécanisme de base. C’est difficile sur des jeux assez convenus avec des codes précis comme des jeux de stratégie de révolutionner la façon de jouer ou les approches. C’est un jeu assez convenu mais qui fonctionne très bien. Il y a certaines contraintes dans l’industrie du jeu vidéo et je ne suis pas sûr qu’un jeu comme celui-là puisse intéresser un gros studio américain. C’est la petite histoire dans la grande histoire. Ensuite, il y a très peu de jeux sur la Première Guerre mondiale. Il y en a eu quelques-uns, avec un Battlefield sur la Grande guerre, mais très américain, très hollywoodien. Par contre sur cette période, des petits studios commencent à se lancer dessus avec des résultats plus ou moins réussis. C’est peut-être la force des jeux qui nous viennent d’Europe centrale et orientale : il suffit de penser à l’autres succès tchèque, Kingdom Come : Deliverance qui se passe dans une région et une période bien précises. Quand c’est bien fait, bien documenté, assez fidèle, je pense que ça permet à ce genre de jeux d’exister aujourd’hui. »

'Last Train Home' | Source: Ashborne Games

En effet, pas mal de jeux vidéo produits en Tchéquie s’inspirent d’épisodes de l’histoire tchèque. Kingdom Come : Deliverance par exemple se passe au Moyen Age, pendant les guerres hussites. Les studios tchèques ne font pas que cela, mais on sent l’envie de faire connaître aussi une histoire spécifique…

'Last Train Home' | Source: Ashborne Games

« C’est ça. Il faut dire qu’on en a parfois un peu marre, en tant que joueur, de voir toujours la même chose : la Seconde Guerre mondiale vue du côté des Américains, parfois du côté des Soviétiques… Le monde du jeu vidéo est assez formaté. On ne connaît pas forcément l’histoire des légionnaires tchécoslovaques si on n’est pas tchèque, mais là, ils arrivent à l’insérer dans un contexte global et plutôt dans la grande histoire, ce qui donne envie de s’y intéresser et de faire des recherches à côté. C’est vraiment bien qu’on laisse une chance à des produits innovants au niveau de l’histoire plutôt que de rester sur des choses convenues. Last Train Home est un jeu qui est bien fait parce qu’on doit gérer un groupe de légionnaires : chacun a son caractère, ses idées politiques, et il n’y a pas de gentil, de méchant, il n'y a pas ce côté noir et blanc. Il n’y a pas non plus de bonne décision dans le jeu : les décisions qu’on prend, dans l’objectif d’emmener le groupe prendre un bateau à Vladivostok, peuvent consister à sacrifier des gens, abandonner des blessés, à ne pas sauver des villageois. Le jeu n’est pas manichéen et permet plutôt de voir la réalité de ces hommes. Ça n’a rien d’hollywoodien. »

'Last Train Home' | Source: Ashborne Games

C’est cela qui fait l’attrait principal du jeu selon vous ?

'Last Train Home' | Source: Ashborne Games

« Oui, et aussi le fait de reprendre des mécanismes de jeu de type 'survie' : il faut gérer son train, son équipe… Au début du jeu, on se trouve dans une zone tempérée de la Russie où il n’est pas trop difficile de trouver des ressources. Le train fait office de village : il faut l’améliorer, que ce soit la locomotive, les wagons, rajouter de quoi les protéger du froid, améliorer une infirmerie, créer des ateliers pour que les soldats réparent leurs armes… Il faut donc récolter un certain nombre de ressources, de la nourriture, des munitions, soit tout ce dont a besoin une armée pour fonctionner. Et plus on se rapproche de la Sibérie, plus les choix sont difficiles. Il n’y a pas de bonne décision, c’est vraiment de la survie. En ce qui concerne la stratégie, les gens du studio ont fait X.COM donc Last Train Home reprend les mêmes mécanismes sans ce côté ‘pourcentage de réussite d’action’. Avec Last Train Home, on est plus en temps réel. Ils ont fait un jeu efficace, tout en donnant un cadre et une authenticité au jeu qui fait qu’il se démarque d’un énième jeu de stratégie. »

'Last Train Home' | Source: Ashborne Games