A Marseille, une stèle rend hommage au consul tchécoslovaque Vladimír Vochoč, « Juste parmi les nations »
Ce vendredi est inaugurée à Marseille une stèle rendant hommage à Vladimír Vochoč, ce consul tchécoslovaque qui aida nombreux réfugiés fuyant le nazisme à trouver refuge de l’autre côté de l’Atlantique. En ayant recours à ce qu’il savait faire : délivrer des passeports tchécoslovaques, et ce malgré la disparition effective du pays, occupé par l’armée d’Hitler. Un important mémoire universitaire défendu par Adam Hájek avait retracé son parcours en 2009, le roman de Lenka Horňáková-Civade La Symphonie du Nouveau Monde rappelle également sa mémoire. Aujourd’hui, huit ans après avoir été reconnu « Juste parmi les nations », Vladimír Vochoč est également honoré en France. Pour en parler, notre ancienne collaboratrice Anne-Claire Veluire, employée au service communication de la Ville de Marseille et auteure de plusieurs articles sur Vladimír Vochoč, évoque pour nous cet hommage :
« Je ne sais pas précisément qui est à l’origine de cette initiative mais je sais que ce sont les consulats tchèque et slovaque qui ont fait la demande à la ville de Marseille d’une plaque rendant hommage à Vladimír Vochoč. Il y avait déjà une plaque dédiée à Varian Fry (ce jeune Américain a contribué à aider de nombreuses personnes à fuir aux Etats-Unis, ndlr) devant le consulat général des Etats-Unis. C’est vrai que ces dernières années, Vladimír Vochoč commence à être plus connu. Son nom apparaît plus dans les recherches historiques sur la Résistance en France et à Marseille. C’est également lié à sa reconnaissance, en 2016, comme Juste parmi les nations. »
Où va se trouver la stèle ?
« Elle est posée à côté de celle dédiée à Varian Fry, devant le consulat général des Etats-Unis. On aurait pu penser qu’une plaque aurait pu être posée à l’endroit de l’ancien consulat tchécoslovaque qui se trouvait au numéro 57 de la rue de la République. Finalement le choix a été fait de lier en quelque sorte les destins de Varian Fry et Vladimír Vochoč qui ont collaboré ensemble pour sauver des milliers de personnes. »
Hors micro, vous disiez que leurs destins étaient assez similaires en réalité, notamment dans les années qui ont suivi ces activités. En quoi ?
« C’est vrai que cela donne l’impression de deux destins qui se sont noués et liés à Marseille, en travaillant ensemble au sauvetage de milliers de Juifs et de personnes qui étaient menacées par les nazis. Il y a donc cet effet de miroir qui apparaît quand on regarde leur parcours. Il y a le contexte historique qui veut cela, mais leurs activités commencent à être sous pression du régime de Vichy au même moment. Varian Fry est finalement reconduit à la frontière espagnole, Vladimír Vochoč est mis placé en liberté surveillée dans une petite ville de Corrèze. Il va réussir à s’enfuir, à prendre un train et à passer la frontière espagnole qui était le trajet privilégié pour sortir d’Europe. Mais après la guerre, leurs deux destins sont tragiques également. Aux Etats-Unis, Varian Fry va essayer d’alerter l’opinion publique sur ce qui se passe en Europe, il écrira même un article sur le massacre des Juifs en Europe et ses prises de position vont déranger. Il sera licencié et se retrouvera tout seul. Sa reconnaissance est très tardive, tout juste avant sa mort. Il sera même embêté par la commission McCarthy, soupçonné de connivence avec les communistes. Par un effet de miroir, on a Vladimír Vochoč qui va vouloir rester dans son pays, il va même demander à retravailler pour le ministère des Affaires étrangères. Finalement c’est d’un procès politique qu’il va écoper en 1954 et il va être condamné 13 ans de prison. Au bout de six ans, il est relâché mais il va être mis en retraite anticipée. Il va mourir dans l’anonymat le plus total. »
On remarquera que la plaque qui est inaugurée ce vendredi à Marseille relate en effet le fait qu’il ait sauvé des milliers de personnes, dont des Juifs, en délivrant ces fameux passeports roses, mais aussi la deuxième partie, tragique, de sa vie… Les deux sont en pris compte sur cette plaque.
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« Oui. C’est vrai qu’à Marseille on s’intéresse beaucoup aux activités de ces deux personnalités, de ces résistants, aux liens entre les noyaux de résistance qui sont en train de se former. Mais évidemment, les autorités tchèques et slovaques avaient envie de souligner aussi en quoi la vie de Vochoč après la guerre, sous le régime communiste, a été tragique, sa reconnaissance inexistante. Il a même été puni pour ce qu’il avait fait, accusé d’avoir travaillé avec les ‘forces impérialistes’, alors qu’il a sauvé des milliers de personnes. »
Un passeport tchécoslovaque pour Jean Moulin
Dans un article que vous avez écrit pour la ville de Marseille, vous racontez que Vladimír Vochoč a même délivré un passeport tchécoslovaque à Jean Moulin qui, finalement, ne l’a pas utilisé. Sait-on combien de personnes il a pu sauver ? Y a-t-il d’autres grands noms parmi ces personnes ?
« J’ai contacté l’association Jean Moulin pour savoir s’ils avaient une trace de ce passeport parce que c’est sur leur site que j’avais trouvé cette mention d’un passeport tchécoslovaque ayant appartenu à Jean Moulin. Ils savent qu’il est sorti du pays avec un passeport tchécoslovaque sur lui, sans le présenter aux autorités, mais ils n’ont pas d’archives et pas le passeport. C’est un peu le drame de cette histoire : tout le monde a envie de voir ces passeports roses mais on n’en a retrouvé aucun. Il est possible que comme il s’agissait de faux papiers, les gens s’en débarrassaient une fois qu’ils les avaient utilisés. Un historien français a avancé le chiffre de 2000, 2500 personnes, un chiffre que j’ai repris. Il y a une femme d’origine tchèque, Lotta Hitschmanová, fondatrice d’une grande association humanitaire au Canada et qui est morte il y a quelques années, est aussi sortie d’Europe via Marseille et on peut supposer sans peine qu’elle a pu le faire grâce à un passeport de Vladimír Vochoč. »
Dans quel cadre spécifique à Marseille s’inscrivent ces activités de résistance de Vladimír Vochoč ?
« Ce qui est en train de ressurgir ces derniers temps, c’est le rôle de Marseille comme ville refuge au début de la guerre. C’était la deuxième ville de France et la plus importante dans la Zone libre. Les gens viennent s’y réfugier. C’est aussi la deuxième ville diplomatique après Paris. Il y a de vraies recherches à faire sur ces consulats qui vont aider. Varian Fry fait appel à Vladimír Vochoč mais aussi au consulat du Portugal, du Mexique… Vladimír Vochoč travaille aussi avec le consul du Panama. Il faudrait qu’un jeune historien s’empare du sujet. Marseille va être aussi la base pour des gens comme Jean Moulin et d’autres pour constituer des noyaux de résistance qui vont remonter vers Lyon et la zone occupée. Avec la commémoration des 80 ans des rafles des vieux quartiers à Marseille l’an dernier, cela a montré aux Marseillais cette histoire de leur ville qu’ils ne connaissent pas forcément. En outre, ces rafles sont les deuxièmes les plus importantes après celle du Vel d’Hiv, or c’est très peu connu. Toute cette partie de l’histoire française est en train d’être redécouverte et Vladimír Vochoč en est un acteur important. »
Les gens qui fuient un pays en guerre, c’est malheureusement toujours très actuel. Que nous dit l’action de Vladimír Vochoč aujourd’hui ?
« Cela fait toujours écho avec l’actualité. On voit à quel point la vie de gens menacés tenait à un bout de papier rose. Aujourd’hui encore, les gens qui doivent fuir leur pays, leur vie dépend d’un petit bout de papier de l’administration qui leur donne ou pas. »