Pardubice, l’autre ville de l’architecte Josef Gočár
Pardubice est une ville que l’on associe en général au pain d’épices et aux courses de chevaux, mais elle n’est pas que cela ! Même si, c’est vrai, on trouve une boutique de pain d’épices de toutes formes et couleurs dès l’arrivé dans le hall de la gare, vous ne serez toutefois pas surpris d’apprendre que ce n’est pas un produit que les gens d’ici mangent au quotidien, loin s’en faut ! Quant aux poulains, c’est parfois bien tristement qu’ils font l’actualité, avec deux chevaux morts ces dernières années lors du célèbre steeple-chase Velká pardubická… Mais oublions les pâtisseries et les canassons : à seulement 1 h en train de Prague (ce qui semble la prédestiner à n’être qu’une destination touristique d’une journée, au grand désespoir de l’Office de tourisme), Pardubice est aussi le fief d’un célèbre architecte : Josef Gočár.
Le nom de Josef Gočár (1880-1945) est souvent associé à la ville de Hradec Králové. Il est vrai que cet architecte est l’auteur non seulement du plan d’urbanisme de cette ville, mais aussi de nombre de ses bâtiments publics, notamment plusieurs écoles, l’Hôtel de région (Okresní dům), un temple protestant, et j’en passe, et des meilleures !
Sans vouloir raviver la vieille « querelle de clochers » – la rivalité entre les villes de Hradec et de Pardubice, éloignées d’à peine 30 km l’une de l’autre, soulignons néanmoins que c’est bien dans la région de Pardubice que Josef Gočár est né – et plus précisément dans la petite commune de Semín, en 1880. Et la région compte plusieurs réalisations de cet architecte-représentant du cubisme et du rondo-cubisme, comme le montre d’ailleurs une maquette de la ville dans le hall de la gare, où nous nous trouvons justement… Pour découvrir ces bâtiments qui ont marqué l’histoire de Pardubice et/ou qui comptent bien marquer son avenir, nous avons rendez-vous tout d’abord avec Jakub Vondrouš, natif de Pardubice et qui, après un séjour Erasmus en France, travaille aujourd’hui à l’Office de tourisme de la ville, sur l’avenue de la Paix (třída Míru). Et c’est là que nous le retrouvons aujourd’hui.
Jakub, bonjour ! Où allez-vous nous emmener en premier lieu ?
« Nous allons tout d’abord passer à l’Hotel Grand, qui servait de maison municipale et d’hôtel, et qui a été construit en 1931. »
L’Hotel Grand, le bien nommé
« Nous nous trouvons maintenant devant le bâtiment [de style fonctionnaliste] de l’Hotel Grand, qui sert aujourd’hui de centre commercial. Néanmoins, du temps de sa construction, en 1931, c’était la maison municipale et un grand hôtel. Il comptait également un restaurant, des salles pour les événements, un cinéma, des bureaux, un bar et une salle de billard. »
« C’était le lieu représentatif de toute la région de Pardubice. Il a été ouvert à l’occasion de la première Exposition d’éducation physique et sportive en Tchécoslovaquie. C’était le principal lieu d’hébergement des participants à cette exposition. »
« Avant celles-ci, toutefois, le premier président de la République tchécoslovaque, Tomáš Garrigue Masaryk, y avait passé une nuit, du 30 au 31 mai 1931. La petite histoire ne dit pas s’il y a bien dormi, mais on l’espère ! »
« L’Hotel Grand a continué à servir d’hôtel et de bureaux pendant toute la période communiste, mais les choses ont changé avec la révolution de Velours. En 1989, des grands travaux étaient justement prévus, car l’hôtel était en service depuis déjà une cinquantaine d’années… Des travaux étaient donc nécessaires. Néanmoins, avec la chute du régime, la propriété du bâtiment s’est avérée problématique… Il a changé de propriétaire à plusieurs reprises pendant les années 1990, appartenant à la ville de Pardubice, mais aussi à des particuliers… Une période difficile, qui ne s’est achevée qu’en 1997, lorsqu’il a été vendu par la ville à une administration immobilière à Prague, qui a donné une nouvelle vie à ce bâtiment. [Fin 2023, s'y trouvaient ainsi] un centre commercial, un supermarché, un bar ainsi qu’un restaurant. »
« Pour en arriver là, le bâtiment a été adapté. Pas tant au niveau de la façade, où peu de choses ont changé. Mais un nouveau bâtiment a été construit derrière l’ancien. A l’époque, ces modifications ont été accueillies avec des sentiments mitigés, car l’intérieur a été énormément modifié par rapport aux plans d’origine. Aujourd’hui, le sentiment général est que nous n’avons plus besoin d’un centre commercial de ce type. Une restauration majeure [a donc commencé début 2024] afin de rendre au bâtiment de Gočár son apparence originale. »
« A l’intérieur de l’Hotel Grand, on remarquera l’escalier en marbre originel, l’une des rares choses qui sont restées de l’intérieur d’origine. Si on avance un peu, on se retrouve dans ce qui était la salle principale de l’hôtel. S’y trouvaient des chambres pour les hôtes. Aujourd’hui, c’est là que se trouve la galerie marchande, et on peut constater qu’elle est en grande partie vide… D’où les projets de travaux à venir. »
D’Anglobanka à « Frankobanka »
De l’autre côté de l’avenue de Suk (Sukova třída), juste en face de l’Hotel Grand, se trouve un autre bâtiment conçu par Josef Gočár : celui de l’Anglobanka. Que signifie ce ‘nom-valise’ ?
« L’Anglobanka était une branche de la Banque anglo-autrichienne, établie à Pardubice après la Première Guerre mondiale. A cette époque, Pardubice est devenu un vrai centre industriel, et c’est pourquoi l’Anglobanka a décidé d’y ouvrir une filiale en 1925. La situation économique de la ville était alors assez bonne : beaucoup d’industries s’y étaient installées. On trouvait également ici une brasserie, une distillerie et aussi une raffinerie, client important de l’Anglobanka locale. »
Pardubice, un centre industriel
« Ce bâtiment de trois étages présente des colonnes cubistes et donne un bel aperçu du travail de Josef Gočár, avec des vitres en forme de T et, protégeant les fenêtres du rez-de-chaussée, les grilles originales. »
Ce bâtiment se trouve à l’entrée du centre historique de Pardubice, juste à côté de la Porte verte qui mène à la vieille ville. Comment la construction d’un bâtiment moderne a-t-elle été accueillie à l’époque ?
« Cette construction a donné lieu à énormément de discussions avec la ville, et d’appréhension de la part des habitants. Mais on peut voir par exemple que Josef Gočár a choisi de surmonter le bâtiment de l’Anglobanka d’un toit en cuivre, à savoir le même matériau que celui utilisé sur le toit de la Porte verte. Ce qui crée une certaine harmonie entre ces deux bâtiments voisins. »
« Le bâtiment a toujours la même fonction qu’à l’époque de sa construction pour l’Anglobanka : c’est le siège de la Komerční banka, une branche tchèque de la Société générale. »
Les bains de tourbe de Lázně Bohdaneč
Sans nous déplacer physiquement, nous allons nous transporter en pensées vers la petite ville thermale de Lázně Bohdaneč, à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de Pardubice, où se trouve un autre bâtiment classé monument historique de Gočár : la maison thermale (Lázeňský dům). C’est un bâtiment de style cubiste, construit en 1912-1913. Mais à quand remonte la tradition thermale de la ville ?
« C’est en 1897 qu’ont été faits les premiers essais de thermes à Lázně Bohdaneč, à l’initiative du propriétaire des étangs de la commune. En 1908, une ligne de bus a été inaugurée entre Pardubice et Lázně Bohdaneč, et précisons qu’il s’agissait de la toute première ligne de bus sur le territoire de l’actuelle République tchèque ! Elle a contribué à faire venir énormément de clients aux thermes – d’où la construction du pavillon thermal par Gočár, à la demande du propriétaire des étangs, qui voulait un bâtiment pour héberger les clients. »
« C’est un bâtiment de trois niveaux, avec une colonnade couverte au rez-de-chaussée. Les deux étages étaient destinés à l’hébergement des patients. En 1926, des modifications ont été apportées par l’architecte Antonín Hilse, altérant ainsi un peu le style de Gočár. »
« De nos jours, les thermes sont fréquentés par 7000 patients par an environ (des Tchèques pour la plupart) ce qui en fait un établissement thermal de taille moyenne en comparaison avec les autres établissements tchèques. »
« La famille de Gočár habitait à Bohdaneč, et c’est pour cela qu’il a été le premier à se voir proposer la réalisation du pavillon thermal. »
Les Moulins automatiques
Nous avançons donc encore un peu et traversons la vieille ville, puis un pont sur la Chrudimka, pour arriver jusqu’à un autre bâtiment de Gočár, sa première réalisation à Pardubice. Monumental avec son arche rappelant la porte d’Ishtar, à Babylone, ce bâtiment est monument culturel protégé depuis 1958. C’est un point de repère dans la ville, et il a rouvert récemment, après une dizaine d’années à l’abandon !
« Nous sommes maintenant arrivés aux Automatické mlýny, les Moulins automatiques. C’est un bâtiment qui a été construit en plusieurs étapes, la première remontant à 1911. Le terme ‘automatique’ fait référence à un type de minoterie composée de huit moulins placés les uns au-dessus des autres. »
« Le bâtiment des moulins eux-mêmes a été construit en 1911. Puis, en 1921, un étage a été ajouté au bâtiment original, ainsi qu’un château d’eau, dont l’apparence est censée imiter le château de Pardubice. La troisième étape de construction, c’est le silo à grain, où nous nous trouvons maintenant. Il a été construit car les capacités de stockage étaient insuffisantes. Ce silo permettait également de réguler le prix de la farine. »
« Les Moulins automatiques ont été en activité jusqu’en 2013, date à laquelle ils ont officiellement mis fin à la production. Ils ont ensuite été inutilisés pendant dix ans. La ville de Pardubice a songé à les racheter avant d’abandonner l’idée. Pour finir, ils ont été achetés par Lukáš et Mariana Smetana. »
« Leur idée était de reprendre cette ancienne minoterie pour la transformer en lieu culturel, en lieu de rencontres pour la ville de Pardubice. Et on peut dire que c’est un succès ! Les Moulins automatiques sont désormais le siège de la galerie de la région (Gočárova galerie), de la galerie municipale Gampa, du centre éducatif Sféra. On y trouve aussi une salle multifonctionnelle, un toit-terrasse et un café. »
On quitte Jakub Vondrouš pour entrer justement à la galerie Gočár (Gočárova galerie), où l’on a rendez-vous avec l’historienne de l’art et commissaire d’exposition Hana Řeháková :
Au premier étage, deux panneaux illustrés présentent les différentes réalisations de Josef Gočár dans la région de Pardubice et ailleurs. Dont les Moulins automatiques, bien sûr ! dans lesquels la galerie Gočár a donc emménagé il y a quelques mois. Précisons que jusqu’au 1er janvier 2023, la galerie [dont l’histoire est retracée dans l’ouvrage Co přetrvá – Příběh Galerie 1953-2023 (Ce qui perdurera – L’histoire de la galerie de 1953 à 2023), éditions Vychodočeská galerie v Pardubicích/Gočárova galerie, 2022, ndlr] s’appelait « Galerie de Bohême orientale ». Hana Řeháková explique pourquoi ce changement de nom :
« La galerie a changé de nom pour plusieurs raisons : tout d’abord, en raison du bâtiment [les Moulins automatiques sont également appelés moulins de Gočár] dans lequel elle se trouve désormais ; mais aussi en raison du lien qui unit l’architecte à la région – à Pardubice, à Bohdaneč, etc. Il avait ici sa famille, qui est d’ailleurs très heureuse que la galerie ait pris le nom de l’architecte Gočár. »
« Nous avons ouvert ce nouveau siège pour y présenter nos collections au public. S’y trouvent également les réserves de la galerie, une zone réservée aux enfants, une bibliothèque ouverte au public, une salle de conférence, une salle pour les ateliers avec les enfants ou les personnes âgées, etc. »
« Le fonds de la galerie Gočár se concentre sur les paysages du XIXe au XXIe siècle. Et nous avons également des collections concentrées sur l’homme et l’intimité, ainsi qu’une collection de photographies, de tableaux, d’esquisses et des sculptures. Nous avons à peu près 19 000 pièces en tout. »
Quelque 19 000 pièces parmi lesquelles un Portrait de jeune fille d’un miniaturiste inconnu dont on sait toutefois qu’il était français ! Une œuvre qui date du XVIIIe siècle, ce qui en fait la plus ancienne pièce de la sous-collection de peintures de la galerie Gočár…
Juste à côté de la galerie Gočár, il y a le Café Gočár. Un établissement à la décoration très épurée, mais qui témoigne bien de l’histoire meunière du bâtiment : au milieu de la pièce, on remarque un genre de toboggan en bois en colimaçon et à la pente très, très raide : il servait autrefois à faire descendre les sacs de farine. L’endroit idéal pour achever – avec un rafraîchissement et un petit en-cas – notre visite des Moulins automatiques – et de la Pardubice de Josef Gočár…
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