Rejet du mariage pour tous : après la déception, les militants LGBT veulent « continuer le combat »
Fin février, les députés tchèques ont dit non au mariage pour tous et à l’adoption pour les couples homosexuels, et lui ont préféré un partenariat civil avec la plupart des droits liés à un mariage, tels que la propriété conjointe ou les pensions de veuvage. Un nouveau statut intermédiaire entre le partenariat enregistré et l’égalité pleine des droits avec les couples hétérosexuels. Nous revenons sur ce vote avec Adéla Horáková de l’ONG Jsme fér qui milite depuis plusieurs années pour cette reconnaissance.
« Nous étions très déçus. C’était la première émotion. Franchement, ce n’est pas le résultat auquel nous nous attendions. Nos attentes étaient plus importantes. »
Ce n’est pas la première fois que la question d’instaurer le mariage pour tous se retrouve entre les mains des législateurs en Tchéquie. Mais c’est la première fois que l’égalité totale des mariages hétérosexuels et homosexuels avait une réelle chance d’être adoptée. Que s’est-il passé ?
« Il faut rappeler aussi que c’est la première fois qu’on est arrivés au vote final – et ce, après sept ans. Même si le projet a déjà été présenté pendant la législature précédente, c’était la toute première fois qu’on est arrivés jusqu’en troisième lecture et donc à pouvoir procéder au vote final à la Chambre des députés. C’est étonnant : sept ans pour parvenir à un vote ! D’un côté, c’est le résultat d’un manque de volonté de la part des députés, mais aussi en raison des règles procédurales qui sont très mal écrites car elles donnent une chance aux gens qui ne veulent pas voter pour de ne pas voter. On est quand même arrivés au vote final où il était possible d’adopter le vrai mariage pour tous, la vraie égalité entre les couples. Mais, selon les règles procédurales, il faut d’abord voter pour les différents amendements. Dès que les amendements sont votés, on procède au vote sur le projet de loi, mais dans sa version amendée. Donc à la fin, le vote n’a pas porté sur le mariage pour tous parce qu’a été adopté un amendement qui le modifiait fortement. Cet amendement maintient une division entre deux catégories avec celle qui concerne les couples homosexuels, appelée ‘partenariat’. On a juste enlevé le mot ‘enregistré’ de l’actuel ‘partenariat enregistré’ déjà existant… »
Rappelons que le partenariat enregistré est en place en Tchéquie depuis 2006 et qu’il correspond en partie au PACS français, à la différence près qu’il concerne exclusivement les couples homosexuels…
« Exactement. Et donc l’amendement qui a été adopté maintient les deux catégories distinctes : partenariat et mariage. Ce à quoi nous ne nous attendions pas, c’est que serait également supprimée la possibilité des adoptions conjointes, soit le fait que les deux partenaires peuvent adopter ensemble un enfant et devenir des parents en même temps. La seule chose qui a été maintenue et qui est possible, c’est l’adoption par le second parent lorsque le premier parent a déjà des enfants. La règle générale voudrait que la même régulation concerne le partenariat comme le mariage. Les partenaires devraient avoir les mêmes droits que les gens mariés, sauf pour les choses qui en sont exclues, comme l’adoption conjointe. »
Du point de vue des militants comme votre association Jsme fér ou du point de vue des couples, c’est donc une déception. Est-ce que cette petite avancée ne va pas malgré tout changer la vie des couples homosexuels ?
« J’ai discuté avec des familles homoparentales. L’émotion principale qu’on ressent, c’est la gueule de bois. D’un côté ils ressentent une forme de soulagement car, si le projet de loi passe au Sénat, ils seront reconnus par la loi. C’est important car une des raisons principales de notre combat, c’est la sécurité juridique des enfants. Mais en même temps, cette avancée va de pair avec une claque. Le message des députés aux personnes LGBT, c’est qu’ils ne sont pas égaux et dignes comme les autres. »
Le texte va en effet encore passer par le Sénat. Que peut-on attendre ?
« Plein de choses. Le Sénat peut adopter le projet de loi tel quel. Il peut aussi le rejeter, ou encore l’amender. Ou bien juste ne rien faire, attendre trente jours, et le projet sera adopté. Je sais qu’il y a des sénateurs et sénatrices qui soutiennent le mariage pour tous. Mais ils font aussi face à un dilemme. Si un amendement est adopté au Sénat, le projet de loi retournera à la Chambre des députés. Il y a peu de chances que celle-ci vote différemment que la dernière fois. Voire les députés peuvent même revenir encore plus en arrière en supprimant l’adoption par le second parent. Tout est possibles avec notre Chambre des députés, c’est très chaotique et opaque. »
Le mariage pour tous a fait l’objet d’un fort soutien médiatique ces derniers mois, venant de grandes entreprises notamment, mais aussi du président Petr Pavel en personne. Sans compter que les études montrent que bien plus de la moitié de la population tchèque y est favorable. Comment expliquer que ce décalage perdure ?
« C’est incompréhensible même pour nous, de voir notamment combien la Chambre des députés est déconnectée du reste de la population. C’est quelque chose qu’on voit malheureusement depuis des années et le mariage pour tous n’est pas le seul thème concerné. C’est une question pour les politologues… 65 % de la population soutient le mariage pour tous : c’est bien plus qu’en France ou dans les autres pays qui l’ont adopté. Mais en Tchéquie, c’est spécial. Pour être concrète, l’opposition principale vient des partis conservateurs : l’ODS, les chrétiens-démocrates (KDU-ČSL) et l’extrême-droite avec le SPD. Et aujourd’hui, même de la part du mouvement ANO. C’était une surprise pour nous parce qu’au cours des sept dernières années, on entendait qu’un tiers voire la moitié de leurs députés soutenaient le mariage pour tous. Une des raisons du manque de soutien de nombreux députés, c’est l’influence d’organisations comme Alliance pour la famille, qui travaille depuis des années contre les personnes LGBT et se base sur des mensonges homophobes. »
C’est un autre paradoxe que ce lobbying mené par cette association proche de l’Eglise catholique car la Tchéquie est un pays très sécularisé, souvent considéré comme un des pays le plus athée d’Europe voire du monde. Comment expliquez-vous cela ?
« Nous aussi sommes étonnés de cette situation. En tant que citoyenne ordinaire, quand j’ai commencé à m’impliquer dans les organisations LGBT, je n’avais aucune idée du niveau d’influence exercé sur la scène politique tchèque par l’Eglise catholique. Donc oui, c’est étonnant. Il y a plus de personnes LGBT en Tchéquie que de catholiques ! Dans le dernier recensement, 7 % des habitants s’identifient comme étant catholiques tandis qu’il y a au moins 10 % de personnes LGBT. Evidemment, il y a des députés catholiques qui nous soutiennent. Etre catholique ne signifie pas automatiquement être contre le mariage pour tous. Mais la probabilité est juste plus forte. Le Premier ministre l’a dit lui-même ouvertement : l’une des raisons pour lesquelles il est contre le mariage pour tous, c’est sa foi. »
Certains observateurs estiment que les députés tchèques n’ont fait que repousser l’inévitable et que tôt ou tard, le mariage pour tous sera adopté. Quel horizon envisagez-vous ?
« Je ne peux pas vous donner une estimation exacte. Cela dépend largement des résultats des élections législatives de l’an prochain. L’idée du mariage pour tous ne disparaît pas. Je crois même qu’elle est plus forte car les gens se rendent compte que le Parlement peut voter contre leurs intérêts. Le niveau de frustration, de déception et de motivation qui en découle est très important. Le niveau de soutien chez les jeunes de moins de trente ans est très grand aussi : 80 % de cette catégorie soutient le mariage pour tous. Nous, avec Jsme fér, allons continuer notre travail. Nous espérons toujours obtenir les mêmes droits pour les adoptions. Ce serait un grand progrès. Nous allons continuer notre combat pour l’égalité et la dignité : je suis certaine que dans quelques années nous y arriverons. »