Vítězslava Kaprálová, compositrice et cheffe d’orchestre au talent foudroyé en plein envol
Vítězslava Kaprálová (1915-1940), compositrice tchèque de talent, était aussi la première femme cheffe d’orchestre dans son pays et dans un domaine exclusivement réservé aux hommes. Sa carrière est foudroyée par la maladie à 25 ans et son destin est digne d’un roman.
Vítězslava Kaprálová est née à Brno en 1915, trois ans avant la naissance de la Tchécoslovaquie indépendante. Tout est précoce chez elle : à cinq ans elle joue déjà avec son père du piano à quatre mains, à neuf ans elle signe sa première composition à hauteur d’enfant. Petite, elle est souvent malade mais ça ne l’empêche pas de développer son talent avec énergie.
LIRE & ECOUTER
C’est contre la volonté de son père, ancien élève de Leoš Janáček et compositeur, qu’elle étudie la composition et la direction d’orchestre aux conservatoires de Brno et de Prague. « Je suis d’une arrogance terrible », disait-elle, et comme le souligne son biographe Nicolas Derny, c’est bien plus par ambition personnelle que par conviction féministe qu’elle a creusé son sillon, envers et contre tous ceux qui l’en dissuadaient.
En 1937, à 22 ans elle dirige l’Orchestre philharmonique tchèque en interprétant la Sinfonietta militaire qu’elle a créée et dédiée au président Edvard Beneš pour manifester son soutien à sa patrie menacée par le nazisme. Car les heures sont sombres pour la toute jeune Tchécoslovaquie menacée et bientôt dépecée par Hitler après les Accords de Munich. Dans ce contexte, il ne fait pas bon être patriote tchèque, et encore moins avec des idéaux ancrés à gauche, comme Vítězslava Kaprálová.
Le compositeur Bohuslav Martinů, comme d’autres artistes, est sur la liste noire des nazis. Il vit depuis 1923 en France et est un ami de la famille. Il incite Vítězslava à se rendre à Paris. En 1937, elle part étudier auprès de lui mais aussi avec Nadia Boulanger et Charles Münch. Martinů à 25 ans de plus et est marié. Les rapports entre le compositeur déjà célèbre et la jeune femme compositrice se transforment pourtant bientôt en une amitié profonde puis en amour. Vítězslava Kaprálová est sa muse mais aussi sa partenaire qui le comprend. Ils s’inspirent mutuellement, ils composent ensemble, ils s’aiment mais leur relation n’a guère d’issue.
Vítězslava faisait tourner les têtes, dit-on : « géniale » et « irrésistible » sont des termes qui reviennent souvent dans les souvenirs de ceux qui l’ont connue. Elle fréquente la petite colonie tchécoslovaque d’artistes à Saint-Germain. C’est le peintre Rudolf Kundera (de la même famille que Milan Kundera) qui lui présente Jiří Mucha, son ami proche, écrivain et fils du célèbre peintre et affichiste Alfons Mucha.
Vítězslava vit aussi des périodes de dépression, car éloignée de chez elle et inquiète par la montée des tensions en Europe centrale. Sa bourse arrivant à échéance, elle doit rentrer en Tchécoslovaquie, et mettra plus longtemps que prévu à revenir à Paris. Elle finit par y parvenir : déjà malade, elle épouse Jiří Mucha en avril 1940. Engagé dans l’armée tchécoslovaque en exil, il est stationné dans le sud de la France et ils sont séparés dès après leur mariage. La santé de Vítězslava se dégrade rapidement, et Jiří Mucha la fait venir dans le sud, à Montpellier, alors même que la débâcle pousse tant de Français à fuir le nord de la France. Vítězslava succombe à la maladie, probablement la tuberculose, en juin 1940, à Montpellier, à l’âge de 25 ans seulement.
Elle laisse plusieurs œuvres qui témoignent de son talent exceptionnel : la Sinfonietta militaire, un quatuor à cordes, une œuvre mûre et accomplie, Préludes d’avril, un cycle de compositions pour piano d’une finesse et d’une sensibilité très particulières...