Presse : soudée pendant près de trois ans, la coalition gouvernementale se délite
Cette nouvelle revue de presse s’intéresse notamment à la situation sur la scène politique tchèque suite au potentiel départ du Parti pirate de la coalition gouvernementale. Elle se penchera ensuite sur le marketing politique et à qui ce dernier profite le plus dans le pays. Un mot également sur certaines modifications subies par la langue tchèque.
« La conférence de presse de mardi au cours de laquelle le Premier ministre Petr Fiala a annoncé son intention de révoquer le ministre du Développement régional Ivan Bartoš, du Parti pirate, a bouleversé la politique tchèque plus que tout autre événement survenu au cours des trois dernières années », constate le journal Deník N. Ce qui est en jeu, selon lui, c’est l’avenir de la future coalition gouvernementale, composée jusqu’ici de cinq partis. »
« La coalition gouvernementale actuelle est désormais loin d’être soudée. En plus, à en croire les derniers sondages, il est peu probable qu’elle puisse obtenir une majorité lors des prochaines élections législatives », renchérit le site echo24.cz. « Quelle sera la prochaine étape pour le gouvernement ? », s’interroge l’éditorialiste du site Seznam Zprávy. « L’évolution est sauvage, imprévisible, et tout indique qu’elle ne s’arrêtera pas avec le remplacement d’un seul ministre. Le cabinet semble se diriger vers un remaniement majeur », estime-il.
« La pression conjointe du lobby des entreprises, des hauts dirigeants du mouvement ANO d’Andrej Babiš, ainsi que des politiciens de l’ODS et d’autres partis de la coalition gouvernementale sur Ivan Bartoš au sujet de la numérisation des permis de construire a porté ses fruits ». Voilà ce qu’estime l’éditorialiste du site Aktualne.cz qui souligne que la fin du ministre du Développement régional et le départ des Pirates de la coalition gouvernementale qui brise son unité sont une réussite importante pour le mouvement populiste : « Lorsque cette coalition de cinq partis a vu le jour il y a trois ans, des observateurs politiques avaient prédit qu’elle n’aurait que deux ans à vivre, pas plus. Sa composition étant très variée, elle a pourtant duré trois ans. Ce n’est pas si mal. »
Un vent de rébellion chez les Pirates ?
Le journal en ligne Forum24.cz a dressé pour sa part un bref récapitulatif de la coalition gouvernementale de Petr Fiala et s’est également intéressé à l’avenir des Pirates :
« Le cabinet actuel a été formé par une large alliance de partis démocratiques appelés à défier la façon dont Andrej Babiš et Miloš Zeman dirigeaient le pays. L’époque a vu plonger la Tchéquie dans un état de crise permanente, de conflit d’intérêts et de domination du groupe Agrofert, un holding privé appartenant au Premier ministre Babiš. Ces partis se sont engagés conjointement à sortir le pays de cette situation. Malheureusement, ils n’y sont parvenus que partiellement notamment en raison de la crise énergétique sans précédent provoquée par l’agression russe en Ukraine et de l’inflation dramatique que le gouvernement Babiš a contribué à faire grimper à la fin de son mandat. »
Le journal déplore pourtant le fait que cette coopération prenne fin, mettant en relief la lutte contre l’oligarchisation du pays menée pendant de nombreuses années par les Pirates. Un parti dont il est difficile de prédire l’avenir :
« Ce qui est certain, c’est que la scène politique locale a besoin d’un parti de gauche démocratique et moderne. Un parti de gauche bien différent de l’actuelle social-démocratie rurale et démodée, dont le rôle a été repris par le mouvement ANO de Babiš. Mais on ne saurait dire si les Pirates sont mentalement à la hauteur de la tâche. »
A ce même propos, le journal Deník N spécule sur le fait que la décision de Petr Fiala pourrait assez paradoxalement profiter aux Pirates et leur donner une nouvelle impulsion. « Ils peuvent désormais se concentrer sur la consolidation, définir précisément les sujets qui sont les leurs et retrouver certains de leurs éléments d’origine dont surtout une touche de rébellion », indique-t-il. Un avis partagé par l’éditorialiste du journal économique Hospodářské noviny :
« Bien qu’offensés et indignés, le départ du gouvernement est une aubaine pour les Pirates. Après avoir subi un camouflet lors des élections régionales, ils semblent ne pas savoir quoi faire d’eux-mêmes. « Désormais, ils peuvent revenir à leurs racines et être à nouveau un parti de contestation habitué à s’attaquer aux abus réels ou supposés de la politique. »
Ceux qui savent maîtriser le marketing politique
« Andrej Babiš et ses collaborateurs du mouvement ANO sont très présents sur les réseaux sociaux et se déplacent régulièrement pour discuter avec la population. Ils sont partout, on les voit très souvent. Aujourd’hui cela compte plus que la vérité. » C’est en partie à cela, comme l’estime l’éditorialiste du site Aktualne.cz, que le mouvement ANO doit sa victoire écrasante aux récentes élections régionales et auquel également les sondages donnent régulièrement le plus d’intentions de vote :
« Babiš a du succès grâce à des phrases courtes et des messages clairs. Certes, ils sont souvent mensongers, comme celui qui dit que ‘le gouvernement de Fiala est le pire depuis la création de la République tchèque indépendante’ ou selon lequel ‘celui-ci aurait volé les retraités’. Ces phrases courtes sont conçues de façon à plaire aux personnes mécontentes qui les consomment volontiers et les acceptent sans esprit critique. Le marketing auquel le président d’ANO a recours est parfait. Il a appris cette méthode de Václav Klaus et Miloš Zeman, anciens chefs de gouvernement et chefs d’Etat avant de l’amener à la perfection. »
D’un autre côté, selon l’auteur du texte, l’activité du Premier ministre Petr Fiala sur les réseaux sociaux, ses déplacements et ses rencontres avec la population, sa capacité à s’adresser et à expliquer aux gens les démarches du gouvernement, sont faibles voire presque nulles. « Le chef de gouvernement fait certainement ce qu’il peut, il a à son compte beaucoup de bonnes choses, il soutient fermement l’Ukraine. Mais qui le sait vraiment ? », s’inquiète-t-il avant de résumer :
« Dans notre pays, le chef de l’opposition a compris que l’on vivait à l’ère de la consommation et des réseaux sociaux. Le Premier ministre et les ministres quant à eux oublient qu’ils sont des politiciens et que, comme tels, ils doivent faire de la politique, aller vers les gens, se vendre sur les réseaux sociaux, expliquer inlassablement leurs décisions, de manière convaincante et compréhensible. C’est en cela que réside l’essentiel de leur travail. S’ils n’y arrivent pas, s’ils ne se reconnaissent pas dans le marketing, ils auront du mal à réussir. »
Ces nouveaux mots à la mode surgis avec les inondations
« Les moments difficiles et émotionnellement forts dans la société se reflètent presque toujours dans notre langue maternelle ». Un constat fait par la chroniqueuse du journal en ligne Lidovky en lien avec les inondations qui ont frappé la Tchéquie la semaine dernière. Pour elle, il est toutefois surprenant de voir surgir une nouvelle phrase ou un nouveau mot qui prend une signification ridicule, et que les gens se plaisent à répéter par la suite :
« Tel est le cas, par exemple, du nouveau mot ‘vybřežení’, qui est apparu dans un débat sérieux entre les gestionnaires de l’eau, les pompiers et les politiciens. Un mot compliqué et inexistant jusque-là dont il était difficile d’identifier le sens. Or, si, au lieu de cette expression, on avait tout simplement dit que l’eau allait déborder des berges, aurait-on diminué la gravité de l’instant ? »
Selon la chroniqueuse du journal, la scène politique et sa « novlangue » sont un chapitre spécifique, car des mots à la mode naissent comme des champignons après la pluie. En plus, telle une éponge, la langue tchèque est habituée à aspirer des mots étrangers à chaque époque :
« Tandis que dans le passé elle a adopté de nombreux germanismes, aujourd’hui elle est sous forte influence de l’anglais. Les jeunes qui ne peuvent pas se passer des anglicismes et de la syntaxe anglaise ne réalisent pas qu’ils parlent souvent mal, car c’est un mode de communication naturel pour eux. Mais telle est la réalité qu’il faut accepter. D’un autre côté, il est honteux de voir s’exprimer en public des personnes qui rabaissent ouvertement leur langue maternelle ou qui utilisent des termes étrangers sans vraiment savoir ce qu’ils signifient, pour se faire passer pour plus érudits qu’ils ne le sont en réalité. »