Cinéma : « Reporter de guerre », le quotidien du correspondant de la Radio tchèque en Ukraine

'Reporter de guerre'

Avant même le début de l’agression russe, il était à Marioupol et dans le Donbass. Depuis, Martin Dorazín est le correspondant de la Radio tchèque en Ukraine, le seul journaliste tchèque, aussi, présent en permanence sur le terrain pour relater l’évolution du conflit et la résistance ukrainienne. Intitulé « Reporter de guerre » (« Válečný zpravodaj »), un film documentaire consacré à son exceptionnel travail d’information est sorti dans les salles en Tchéquie, jeudi 31 octobre.

Reporter de guerre | Photo: Aerofilms

Si sa voix est devenue familière à tous les Tchèques auditeurs réguliers de la Radio tchèque, peu nombreux en revanche sont ceux à pouvoir mettre un visage dessus. Tel est le plus souvent le sort des journalistes radio, surtout lorsque, comme dans le cas de Martin Dorazín, qui se concentre plus spécialement sur l’Ukraine depuis 2013, ils ne cherchent pas spécialement à se mettre en lumière et préfèrent le travail de l’ombre pour d’abord laisser s’exprimer tous ceux, victimes ou héros de la guerre, dont la parole compte le plus.

Présenté, fin octobre, en avant-première dans le cadre de la 28e édition du grand Festival international du film documentaire de Jihlava, après avoir été précédemment récompensé du prix du Meilleur document au Festival de Varsovie, le film de Benjamin Tuček et David Čálek, réalisateurs de 52 et 53 ans, offre donc aux spectateurs la possibilité de découvrir, en plus de la vie au quotidien des Ukrainiens, le travail auprès d’eux de Martin Dorazín.

'Reporter de guerre' | Photo: Aerofilms

Un Martin Dorazín qui, de passage à Prague à l’occasion de la sortie du film en cette fin de semaine, a expliqué avoir d’abord hésité à donner suite à la proposition des documentaristes, au nombre de trois, qui l’ont accompagné pendant près d’un an notamment sur tout le front de l’Est ukrainien :

« La sécurité de l’équipe de tournage était ce qui me préoccupait le plus. Pour beaucoup d’entre eux, c’était la première fois qu’ils faisaient l’expérience de la guerre sur le terrain. Mais même si certaines des situations dans lesquelles nous nous sommes parfois retrouvés étaient extrêmement délicates ou dangereuses, ils ont parfaitement bien géré cet environnement de travail. C’est un très grand acte de courage de leur part. Ceux d’entre nous qui vivent là-bas sont habitués aux explosions et aux décombres tout autour, à tous ces gens désespérés et sans ressources, aux attaques et au danger permanent. Mais je ne peux pas imaginer ce que cela représente que de vivre la guerre pour la première fois sans aucune préparation. »

Reporter de guerre | Photo: Aerofilms

« Comment un reporter travaille-t-il dans l’Ukraine bombardée ? » est la question à laquelle s’efforce d’abord de répondre le film tout en se concentrant sur le rôle tout à la fois très particulier et précieux qui est celui d'un correspondant de guerre aussi pour endiguer une désinformation omniprésente dans le conflit russo-ukrainien.

Plus que d’un travail, Martin Dorazín parle d’une vocation et d’une mission lorsqu’il s’agit d’évoquer sa présence dans une Ukraine où, à force de reportages au plus près des soldats et d’un peuple pour lequel il ne cache pas son affection, il est finalement devenu le correspondant permanent de la Radio tchèque à l’automne 2022. Le seul journaliste tchèque aussi présent quotidiennement en Ukraine, un pays qu’il n’entend désormais plus quitter tant que les combats y feront encore rage :

'Reporter de guerre' | Photo: Aerofilms

« Le travail et le pays en tant que tel, sont ce qui me font rester là-bas. Je voyage en Ukraine depuis les années 1980 et j’entretiens une relation plus personnelle avec elle qu’avec d’autres pays d’Europe de l’Est, et même qu’avec la Russie, où j’ai pourtant étudié, travaillé et vécu pendant plusieurs années aussi. Mais le regard que nous portons sur la Russie a radicalement changé avec l’agression de février 2022. Il ne peut pas en être autrement. Quant à l’Ukraine, je pense que le plus important est d’y être dans les moments critiques quand il en va non seulement du sort de l’Ukraine, mais aussi de notre sort, de celui de l’Europe et de la structure de notre sécurité. »

Journaliste à la Radio tchèque depuis 1990, spécialiste des conflits et de toute une région autrefois appelée l’Europe de l’Est s’étendant des Balkans aux pays baltes, Martin Dorazín, qui fêtera ses 56 ans le 11 novembre, une date presque symbolique compte tenu de sa carrière, a par le passé également couvert les guerres dans l’ancienne Yougoslavie et en Lybie.

Martin Dorazín  (à droite) et l'équipe du documentaire | Photo: MFDF Jihlava

Récompensé du prestigieux Prix Ferdinand Peroutka en 2023 pour la qualité de son travail, Martin Dorazín, malgré ses attaches professionnelles et désormais affectives, ne cache pas son pessimisme quant à l’évolution du conflit en Ukraine. Selon lui, faute d’un soutien plus important face à une Russie qui n’entend pas abandonner son effort de guerre, les Ukrainiens, sans l’avouer ouvertement, sont désormais chaque jour un peu moins convaincus de l’issue victorieuse de leur lutte pour la liberté :

« Cette foi n’est plus aussi forte qu’au début de la guerre. Aujourd’hui, l’Ukraine se trouve probablement dans la phase la plus difficile de sa défense, car les Russes avancent beaucoup sur les fronts. Les Ukrainiens perdent la confiance qu’ils avaient au début. Mais ils sont toujours conscients que s’ils ne parviennent pas à vaincre la Russie, ou au moins à l’arrêter, cela sera très mauvais pour eux et c’est cette conscience qui les pousse à continuer à se battre. »

Et c’est précisément pour continuer à témoigner de cette conscience que Martin Dorazín poursuit donc sa mission de reporter de guerre en Ukraine, tout en espérant aussi qu’un jour, les Russes puissent, eux aussi, voir librement « Válečný zpravodaj ».

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