Robert Jindra : « Le soutien est crucial pour défendre la liberté de l’art en Slovaquie »
Robert Jindra, le chef d'orchestre tchèque de la Philharmonie d'État de Košice, a démissionné de son poste à la fin de l’été, après avoir critiqué publiquement la ministre slovaque de la Culture, Martina Šimkovičová.
« Arrêtons cette personne incompétente qui ruine la culture slovaque », avait écrit M. Jindra sur les réseaux sociaux ainsi que « Slovaquie, mes chers amis, je suis avec vous ». Il a également signé une pétition demandant le renvoi de la ministre, qui a recueilli plus de 180 000 signatures.
Dans un autre post sur son profil Facebook privé, le chef d’orchestre avait fait référence à Mme Šimkovičová avec un terme vulgaire et désobligeant, partagé par la ministre sur Telegram.
« L'utilisation d'un tel langage par un employé d'une institution culturelle publique est choquante et inacceptable », avait déclaré le ministère dans un communiqué de presse.
Depuis, le mouvement « Grève culturelle » – Kultúrny štrajk – lancé par la scène culturelle slovaque contre le gouvernement de Robert Fico ne faiblit pas et des rassemblements dans plusieurs villes de Slovaquie sont prévus le 17 novembre, jour du 35e anniversaire de la révolution de Velours.
Rentré à Prague, où il est directeur musical du Théâtre national et dirige aussi parfois l’orchestre de la radio publique SOČR, Robert Jindra est revenu à notre micro sur son départ de Slovaquie :
« Mme Šimkovičová avait publiquement déclaré à la télévision, en résumé, que certaines personnes étaient plus importantes pour l’avenir que d’autres, qui ne l’étaient pas autant. Cette déclaration m’avait profondément choqué. Je n’aurais jamais pensé que quelqu’un occupant le poste de ministre de la Culture puisse tenir de tels propos, et encore moins réfléchir de cette manière. Elle visait probablement certaines minorités sexuelles, mais j’y ai également vu une insulte potentielle envers les femmes qui, pour des raisons médicales ou autres, ne peuvent pas avoir d’enfants. »
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« Cette déclaration m’avait révolté à tel point que j’avais écrit sur ma page Facebook une réaction, certes véhémente, mais sans langage vulgaire, remplacé par des points de suspension. La directrice de la Philharmonie de Košice m’a fait remarquer que ce message était inapproprié. Je l’ai retiré, pensant que l’incident était clos. Cependant, suite à la révocation de plusieurs directeurs généraux d’institutions culturelles slovaques, comme le Théâtre national ou la Galerie nationale, j’ai soutenu publiquement une pétition contre ces décisions et appelé Mme la ministre à démissionner. »
« J’ai commencé à comprendre que les orientations actuelles du ministère étaient guidées par une idéologie que je ne partageais pas. J’ai réalisé que je ne voulais pas exposer notre orchestre à de telles pressions, car lorsqu’on veut trouver une faute chez quelqu’un, on la trouve, et en tant que ministère de tutelle d’institutions culturelles, il est facile de contrôler les artistes. Cette situation m’a rappelé des films et des époques que j’espérais révolues. Pour ces raisons, j’ai informé de ma démission en tant que chef d’orchestre de la Philharmonie de Košice. »
« Il ne s’agissait pas d’une décision facile, mais je le referais sans hésiter. Je refuse de travailler dans un environnement où règne une forme de censure. La culture ne doit pas être gouvernée par la politique. Bien sûr, il serait naïf de dire que la culture n’est pas dépendante de l’État ; elle l’a toujours été, et tout régime cherche, d’une certaine façon, à l’influencer. Toutefois, cette politique est là-bas menée avec des pressions, qui déterminent ce que l’on a le droit ou non d’apprécier, ce qui dépasse mes limites. »
« Les artistes tchèques peuvent montrer leur soutien par différents moyens »
Lors des premières initiatives controversées de la ministre slovaque de la Culture, une partie de la scène culturelle tchèque a réagi. Selon vous, les artistes tchèques doivent-ils aider leurs collègues slovaques et si oui de quelle manière ?
« C’est une question compliquée. Pour moi, la réponse est oui. Je suis né en Tchécoslovaquie, et je me considère encore comme un Tchécoslovaque, car ayant souvent travaillé en Slovaquie, j’ai cessé de percevoir la frontière entre les deux pays. Dans le domaine artistique, l’espace tchécoslovaque n’a jamais été vraiment divisé. De nombreux artistes slovaques travaillent en Tchéquie, et inversement. C’est pourquoi je ne ressens pas de séparation. Nous avons en quelque sorte, dans le milieu artistique, préservé une unité. »
« Quand des abus culturels surviennent, les artistes tchèques peuvent montrer leur soutien par différents moyens, comme la signature de pétitions pour demander la démission de Mme Šimkovičová, ou par des collaborations pour faire en sorte que des artistes slovaques puissent travailler ici en Tchéquie. Je pense que ce soutien, aussi bien symbolique que concret, est crucial pour défendre la liberté de l’art en Slovaquie. »
« Cela ne changera peut-être pas les choses immédiatement, mais chaque voix compte. On sait que les erreurs historiques naissent souvent d’accumulations de petites compromissions et la culture, bien que souvent perçue comme insignifiante, est en réalité essentielle pour l’identité nationale. Peu comprennent que la culture est la base de l’identité nationale. »
« Les politiciens aiment l’utiliser dans leurs campagnes, demandant aux artistes de chanter l’hymne ou de se montrer à leurs côtés. On parle toujours de soutenir la culture, financièrement et autrement, mais ces promesses se dissipent après les élections, car lorsqu’on veut réduire les dépenses, c’est souvent la culture qui est affectée en premier. C’est une vision à court terme, car chaque nation tire sa fierté et son identité de sa culture et de son histoire. Lorsque cette identité est menacée, ou réservée à certains « élus », alors la nation risque de se perdre elle-même. »