Masaryk en Roi mage et Hérode en boucher : une crèche met en scène la naissance de Jésus dans le Žižkov d’avant-guerre

La crèche de Žižkov

Jusqu’au 30 janvier 2025, le Centre d’information de Prague 3 expose sa « crèche de Žižkov ». Une représentation de la scène de la Nativité tout sauf traditionnelle puisque les rôles principaux comme secondaires sont tenus par des personnalités et des anonymes du Žižkov du début du siècle passé.

Qu’ont en commun la peintre Toyen, le génie méconnu Jára Cimrman ou encore l’ancienne dissidente devenue première dame Olga Havlová ? Tous ont un lien avec le quartier de Žižkov, et tous sont réunis, en ces semaines de fêtes de fin d’année, dans une scène de la Nativité située dans le troisième arrondissement de Prague et mettant à l’honneur ses lieux emblématiques et ses personnalités historiques, littéraires ou légendaires.

L’auteur de la crèche de Žižkov Richard Pešek | Photo: Anaïs Raimbault,  Radio Prague Int.

Une crèche peu banale qui a vu le jour en 2014, à l’initiative de la mairesse de l’époque et en collaboration avec l’artiste Richard Pešek. Un projet unique en son genre qui, lors de sa création, faisait notamment figurer – outre la Sainte Famille sur un modèle des escaliers qui se trouvent non loin de l’arrêt de tram Lipanská – les Rois mages, venus s’incliner devant le petit Jésus et incarnés par le premier maire de Žižkov, Karel Hartig, par l’empereur François-Joseph Ier et par le premier président de la République tchécoslovaque Tomáš Garrigue Masaryk.

La crèche de Žižkov | Photo: Hana Řeháková,  Radio Prague Int.

Prix Nobel et commère de Žižkov

Les personnages de la crèche de Žižkov | Photo: Hana Řeháková,  Radio Prague Int.

Comme dans la tradition des crèches classiques, celle de Žižkov accueille chaque année une nouvelle figurine. Avec quelques critères de sélection assez stricts : qu’il soit réel ou fictif, le personnage doit avoir été lié d’une façon ou d’une autre au quartier de Žižkov, et ce pendant les quatre premières décennies du XXe siècle, avant le début de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi y figurent, par exemple, des personnalités telles que le poète prix Nobel de littérature Jaroslav Seifert, le romancier Jaroslav Hašek ou encore la résistante Marie Moravcová ; mais aussi le superhéros de bande dessinée tchèque Pérák ou encore des personnages plus typiques du quartier que célèbres, comme la commère des accourses (élément architectural très caractéristique des immeubles de Žižkov).

La figurine de Přemysl Pitter | Photo: Anaïs Raimbault,  Radio Prague Int.

Et pour Noël 2024, la crèche de Žižkov a fait une place à un personnage qui a bel et bien existé, mais qui est méconnu du grand public : il s’agit de Přemysl Pitter, qui a travaillé pendant plus de 30 ans dans le quartier, œuvrant en faveur des enfants des familles pauvres. Historienne aux Archives de Přemysl Pitter et Olga Fierzová, Magdaléna Faltusová revient sur l’engagement de ce jeune orphelin revenu si marqué par la Première Guerre mondiale qu’il devient très croyant et décide de consacrer sa vie aux plus vulnérables :

Historienne aux Archives de Přemysl Pitter et Olga Fierzová,  Magdaléna Faltusová | Photo: Anaïs Raimbault,  Radio Prague Int.

« Après la guerre, Přemysl Pitter commence à travailler à Žižkov, considérant que les plus nécessiteux étaient les enfants des familles pauvres qui passaient tout leur temps libre dans la rue. Il est travailleur social pendant un certain temps ; il s’occupe des jeunes de Žižkov. Puis il décide de se consacrer à ce que l’on appellerait aujourd’hui l’éducation extrascolaire ; pour ces enfants qui vivent dans des conditions précaires, voire dans les bidonvilles du quartier, il se met à organiser des spectacles. Les enfants prennent ainsi l’habitude de ces rassemblements réguliers organisés par Přemysl Pitter et ses amis, qui faisaient tous cela de façon bénévole, l’après-midi après leur travail. »

La maison Milíč en 1937 | Photo: MILIDU,  Archives de Přemysl Pitter et Olga Fierzová/Wikimedia Commons,  CC BY-SA 4.0

« Ils décident ensuite de faire cela de façon plus systématique, tout d’abord dans un local qu’ils louent dans ce qui est aujourd’hui la rue Kubelíkova, mais dès les années 1920, le besoin d’un espace dédié uniquement à ces enfants se fait sentir. Dès lors, une collecte vise à rassembler des fonds pour construire un immeuble dont il était déjà prévu qu’il s’appelle ‘Milíčův dům’, en hommage au prêtre Milíč de Kroměříž. La collecte dure longtemps : la maison de Milíč, qui accueille aujourd’hui une école maternelle, est enfin construite en 1933 place d’Olšany (Olšanské náměstí), et ouverte le 24 décembre de cette même année. »

Le héros méconnu des enfants pauvres

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la maison de Milíč ne ferme pas ses portes ; néanmoins, les enfants et les éducateurs juifs sont déportés dans les camps de concentration. Sans savoir qui en reviendrait, Přemysl Pitter prévoit déjà d’aider ces enfants une fois la guerre terminée. Si aucun de ces déportés de Žižkov n’en revient, Pitter organise néanmoins une opération appelée « Akce Zámky » et destinée aux enfants juifs revenus de Terezín ainsi qu’à des enfants allemands marqués par l’expulsion des Allemands de Tchécoslovaquie. Magdaléna Faltusová :

« Des maisons de convalescence sont ouvertes dans des châteaux des environs de Prague ; de plus, Přemysl Pitter avait réalisé que des enfants allemands avaient également besoin d’aide. Il partait du principe que les enfants ne sont pas responsables des fautes de leurs parents ; il les inclut donc à l’opération ‘Akce Zámky’, ce qui lui attire les foudres de la presse et de nombreuses personnes. Néanmoins, avec son charisme, il parvient à convaincre les administrations de faire profiter les enfants allemands de cette action de sauvetage. »

Přemysl Pitter | Photo: Musée national pédagogique de J. A. Komenský

Avec le coup d’Etat communiste, l’activisme social mais chrétien de Přemysl Pitter commence à être vu d’un mauvais œil. Dans les années 1950, Pitter est contraint à l’émigration ; néanmoins, en Allemagne puis en Suisse, il se consacre toujours aux nécessiteux, aidant les réfugiés de Tchécoslovaquie tout en travaillant pour Radio Free Europe. Il décède en 1976.

Richard Pešek avec la forme d'une nouvelle figurine de Přemysl Pitter | Photo: Anaïs Raimbault,  Radio Prague Int.

Mais pour en revenir à notre crèche de Žižkov : Přemysl Pitter y est représenté portant un jeune enfant dans ses bras, et sa figurine pèse 1 kg environ ; comme celles des autres personnages, elle est faite de résine artificielle coulée dans un moule en silicone créé à partir d’un original en argile. Chaque personnage représente une quinzaine d’heures de travail en moyenne. Le décor de la crèche de Žižkov est fait de contreplaqué ; on y reconnaît sans problème – même si la perspective n’est pas conforme à la réalité – l’église Saint-Procope, le mémorial de Vítkov et l’église du Sacré-Cœur-de-Jésus, mais aussi la mairie de Žižkov. L’ensemble est présenté dans un cadre, dans des teintes évoquant les vieilles photographies colorisées. L’historienne de l’art Vlaďka Holzapfelová revient sur les deux niveaux de lecture de la crèche :

L’historienne de l’art Vlaďka Holzapfelová | Photo: Anaïs Raimbault,  Radio Prague Int.

« Le premier niveau d’interprétation de la crèche est le niveau historique ; le deuxième niveau est biblique, avec le thème de la naissance de Jésus et des événements qui entourent cette naissance. Voyons cette double lecture sur les personnages de base, par exemple : saint Joseph est un ouvrier charpentier de Žižkov et la Vierge Marie est mère au foyer. »

La crèche de Žižkov | Photo: Hana Řeháková,  Radio Prague Int.

« On retrouve également ce double niveau d’interprétation avec le boucher de Žižkov, qui porte une tête de cochon. On remarque en effet l’inscription sur le tableau devant sa boucherie : il propose un type de saucisse que l’on appelle ‘noyé’ (‘utopenec’), sauf que là, cette saucisse est faite ‘d’innocent’ (‘neviňátko’). Ainsi le boucher joue le rôle du roi Hérode, responsable du Massacre des Innocents. On a également le soldat Švejk, qui représente par ailleurs le personnage biblique Lazare, ainsi qu’un policier de Žižkov, qui est par ailleurs un légionnaire romain.

« Quant au vendeur de journaux debout sur les marches, il fait référence au chant de Noël ‘Nesem vám noviny’ [en tchèque, ‘noviny’ signifie ‘nouvelles’ mais aussi ‘journaux’]. »

La crèche de Žižkov | Photo: Hana Řeháková,  Radio Prague Int.

Mais au fait, qui pourra bien être le nouveau personnage de la crèche de Žižkov l’an prochain ? Après la résistante Marie Moravcová en 2023 et Přemysl Pitter cette année, Prague 3 a mis la barre haut ! Vlaďka Holzapfelová conclut sur ce choix bien réfléchi de personnalités courageuses :

« L’histoire de Přemysl Pitter peut être comparée à celle de Nicholas Winton. C’est un véritable acte d’héroïsme d’un homme qui s’obstinait à faire le bien. Et je pense que notamment en cette période de fêtes de fin d’année, il est important de se répéter ce genre d’histoires, même à notre époque – se répéter que les gens sont bons, et qu’ils font le bien. »

La crèche de Žižkov | Photo: Hana Řeháková,  Radio Prague Int.

La crèche de Žižkov est exposée au Centre d’information de Prague 3, Milešovská 1. Horaires d’ouverture et autres informations sur https://www.praha3.cz/kontakty/uredni-hodiny/infocentrum-praha-3.

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