Quelques idées à retenir de l’année 2024
La nouvelle année a commencé ce qui nous permet de faire un petit bilan de l’année écoulée. Nous vous proposons aujourd’hui de vous rappeler quelques idées tirées de quatre entretiens réalisés dans le cadre de cette rubrique au cours de l’année 2024. Voici quelques extraits des entretiens avec les écrivains Xavier Galmiche, Ladislava Chateau, Jan Rubeš et Sylvie Germain.
Xavier Galmiche : la leçon tirée de la vie des poules
« Je me dis souvent que j’ai le même rapport envers mes poules que Dieu doit avoir envers moi », écrit Xavier Galmiche dans son livre Le Poulailler métaphysique (prix Décembre 2021). L’auteur était venu à Prague pour présenter Le Poulailler métaphysique aux lecteurs tchèques. A cette occasion, il avait également répondu aux questions de Radio Prague International, expliquant entre autres pourquoi il avait écrit son livre et quelle leçon nous pouvons tirer de la vie des poules :
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« Je pense qu’en grande partie j’ai écrit mon livre parce que je tue mes poules et nous les mangeons et que c’était comme ça qu’on a toujours fait. Il y a des animalistes qui ont lu le livre et on en a eu un peu d’aigreur et de fâcherie. Bien sûr, il y a plutôt cette question morale, la condition d’une bonne mort. Quelle est la bonne mort qu’on peut donner à une poule qu’on élève aussi pour la tuer. Alors, pour des raisons du récit, et je dois dire aussi pour que ce soit un peu drôle, tout ce passage où la poule me considère comme un dieu, me permet de réfléchir sur les questions d’autorité, de prise du pouvoir. Effectivement, à un moment donné, celui qui a des poules s’arroge le pouvoir de les faire naître et de les faire mourir. C’est une question que nous ne pouvons pas ne pas refléter dans notre propre condition et dans ce qu’on peut appeler une sorte de réflexion sur notre rapport au Créateur quel qu’il soit et donc à Dieu. »
Quelle leçon pouvons-nous tirer de la vie des poules. Qu’est-ce que votre livre nous dit, à nous qui mangeons des œufs et des poulets et vivons dans l’ignorance presqu’absolue de leurs origines. Sommes-nous responsables de leur vie et de leur mort parce que nous les mangeons ?
« Oui, dans la mesure où existe une chaîne de responsabilités de tous les êtres vivants sur cette planète qui est bien pleine. Nous sommes tous coresponsables de nos ‘co-vivants’. Du point de vue de ce que nous pouvons apprendre des poules et peut-être d’une grande partie des animaux, c’est que ce sont des êtres obstinés. Et la vertu que je reconnais aux poules, c’est en particulier leur vaillance. Du fait même que ce sont des animaux, on en a parlé, parfois un peu méprisés dans la société. Elles sont mal parties et pourtant elles y vont, elles vont au combat, elles se lèvent, elles cherchent à manger et elles le trouvent. Donc cette sorte de vaillance, d’appétence au combat parfois - il y a une sorte de lutte pour la vie, une lutte plutôt ordinaire, quotidienne et assez sympathique - a quelque chose d’assez inspirant pour nos propres existences. »
Ladislava Chateau : pourquoi finit-on par collaborer avec l’occupant
Ils s’appelaient Robert Brasillach, Marcel Jouhandeau, Ramon Fernandez, Jacques Chardonne et Pierre Drieu La Rochelle et ils sont devenus protagonistes du livre que son auteure Ladislava Chateau a intitulé : Ils étaient cinq… Collaboration, peines et contradictions. En retraçant les itinéraires de ces cinq personnalités importantes de la littérature française de la première moitié du XXe siècle, Ladislava Chateau démontre que ni l’intelligence, ni le grand talent ne protègent suffisamment contre les séductions du mal. Elle a essayé d’expliquer au micro de Radio Prague International pourquoi ces écrivains brillants ont fini par collaborer avec l’occupant :
« L’attrait et la fascination de certains écrivains français pour l’Allemagne nazie et leur collaboration peuvent être expliqués par plusieurs facteurs. D’abord par un contexte historique et politique car la période entre les deux guerres mondiales a été très difficile, en France et en Europe secouée par des bouleversements politiques, économiques et sociaux. Certains écrivains ont pu être séduits par le nationalisme et l’idéologie autoritaire, surtout à l’époque où la France était confrontée à des crises économiques et politiques. Un bon exemple en est l’Affaire Stavisky et la manifestation antiparlementaire du 6 février 1934. Le bilan de la répression policière s’est élevé à 30 morts.
Ces écrivains étaient aussi de farouches anti-communistes, le communisme étant perçu comme une menace pour la culture et la civilisation occidentale. Ils étaient tous persuadés que l’Allemagne nazie pouvait représenter un rempart contre cette idéologie... Et puis, on peut expliquer leur comportement en partie aussi par l’opportunisme et l’égocentrisme car la collaboration avec l’occupant leur permettait de maintenir ou de renforcer leur statut social et aussi littéraire, voire d’obtenir des avantages matériels.
Après la victoire de l’Allemagne sur la France, ces écrivains exposés à la propagande nazie et confrontés à la réalité du régime de Vichy, pouvaient envisager une Europe nazie où la France, bien que subordonnée à l’Allemagne, garderait une forme d’autonomie politique, culturelle et intellectuelle. Leur illusion n’a duré que jusqu’en novembre 1942, date de la prise de contrôle complet de l’Allemagne sur la France avec l’occupation de la dite ‘zone libre’. A partir de cette date, ils persistent et se radicalisent dans la collaboration (Drieu, Brasillach, Fernandez), ou bien ils se mettent prudemment en retrait (Jouhandeau, Chardonne). Ces traits communs suggèrent que la fascination pour les régimes totalitaires résulte de divers facteurs psychologiques, idéologiques et sociaux. Nous avons le devoir de connaître et enseigner le passé afin de ne pas faire les mêmes erreurs. »
Jan Rubeš : Dada et nous
Qu’est-ce que Dada ? Tout le monde connaît le mot, mais rares sont ceux qui savent ce qu’il représente. Le livre intitulé Courrier Dada paru aux éditions Academia apporte de nombreuses réponses à cette question. Son auteur Raoul Hausmann a été un des principaux représentants de ce mouvement qui s’opposait à toutes les conventions et à toutes les règles. L’écrivain et universitaire Jan Rubeš, auteur de la préface du livre, a bien voulu présenter le dadaïste Raoul Hausmann et son ouvrage insolite au micro de Radio Prague International. Il a expliqué, entre autres, dans quelle mesure Dada a influencé et enrichi les arts et la littérature :
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« C’est difficile à dire parce que Dada fait partie de différentes formes d’expression qui se développent dès le début du XXe siècle aux Etats-Unis. En Amérique, les artistes cherchent de nouvelles formes d’expression, premièrement à travers la photographie, deuxièmement à travers les expositions des œuvres qui ont du mal à passer en Europe, comme par exemple les œuvres de Marcel Duchamp. Et c’est aussi le cas du futurisme qu’il soit en Italie, et ça date déjà des premières années du XXe siècle, ou en Russie où les formes du futurisme sont tout à fait révolutionnaires. Dada s’intègre dans cette série de recherches de nouvelles formes d’expression et je crois que ce mouvement a la particularité d’aller au-delà de tout ce qu’on a pu concevoir dans l’art jusqu’à cette époque-là. Et la grande différence, selon moi, c’est que toutes les autres formes d’expression jusqu’à Dada se considéraient comme des formes d’expression artistiques tandis que Dada se révolte contre la notion même de l’art. Donc si les futuristes essaient de créer une nouvelle beauté à travers la vitesse et même à travers la guerre et la destruction, pour les dadaïstes la nouvelle beauté n’existe pas. Il n’y a pas de beauté et on peut tout faire.
Et s’il y a un retentissement de cette tendance jusqu’à aujourd’hui, je pense que c’est dans le conceptualisme, et peut-être moins dans l’art post-moderne que dans les mouvements d’avant-garde aujourd’hui. On peut le retrouver peut-être dans la recherche actuelle visant à donner à tout objet la possibilité d’être considéré comme une œuvre d’art grâce à son environnement, grâce à la façon dont cette œuvre est exposée, dont cette œuvre est mise en valeur. Et cette conception de la mise en valeur d’un objet ordinaire qui en fait une œuvre d’art, c’est quelque chose qui est peut-être la conséquence de ce que les dadaïstes ont démontré. »
Sylvie Germain : le roman à l’époque de l’intelligence artificielle
Plus de trente ans se sont écoulés depuis le séjour pragois de l’écrivaine Sylvie Germain qui a vécu à Prague entre 1986 et 1993. Récemment, elle a repris le chemin de la capitale tchèque pour assister à une représentation de la pièce tirée de son roman Le Livre des nuits. A cette occasion, elle a répondu aux questions de Radio Prague International. Elle a parlé entre autres de l’évolution du roman :
« Je ne suis pas prophète, je ne peux pas vous dire ce que ça va devenir. On voit bien où est le changement. Tout à l’heure je faisais allusion à l’usage de la langue. Maintenant, le roman est un genre extrêmement ouvert. Il peut y avoir du documentaire dedans, il y a beaucoup d’autofiction, il y a beaucoup de genres différents dans un même livre. Il y a beaucoup de personnes dont les livres peuvent être extrêmement intéressants et qui sont totalement inspirés par des faits divers ou d’un fait d’histoire plus importante. Peu importe. Il y en a qui n’écrivent que sur eux, sur leur vie… Après, ce n’est qu’une question de talent. Même si quelqu’un ne parle que de lui, ou à partir de sa vie et de son expérience, s’il y a une pensée derrière et s’il y a une écriture, ça va parler à tous les lecteurs, à tous les lecteurs qui aiment vraiment la lecture. Si ce n’est que narcissisme, ou si c’est maladroit, ou s’il n’y pas de style, ça ne donne pas grand-chose. Vous voyez, je n’ai pas de critère là-dessus. Moi, je suis très ouverte à tout ce qui se fait dans la littérature.
Par ailleurs il y a ce dont on parle maintenant et qu’on appelle l’intelligence artificielle. Il y en a qui pensent que ça pourra composer de la musique, faire de la traduction, écrire des romans, écrire de la poésie. Peut-être parce les progrès technologiques vont très vite, cela ne me convainc pas. Autant l’intelligence artificielle peut être extraordinaire pour la médecine, pour la science et les domaines de ce genre, elle a son envers comme cela arrive toujours avec la technique si elle est mal utilisée ou utilisée à mauvais dessein, s’il y en a qui s’en emparent dans ce sens-là pour tricher, pour mentir, pour voler etc. J’en reviens au roman : si un jour l’intelligence artificielle est capable de fabriquer des romans, ce sera un autre univers, ce sera autre chose. »