« Notre narratif est très fort concernant Israël, mais la politique tchèque est équilibrée dans la région »
Le Liban est à nouveau dans l’actualité ces derniers jours à cause du regain de tension dans le sud du pays entre le mouvement chiite Hezbollah et Israël. Michaela Froňková est l’actuelle ambassadrice de la République tchèque au Liban. De passage à Prague, elle répondu à quelques-unes de nos questions.
Le Liban n’est pas le premier pays dans lequel vous êtes en poste. C’est un pays relativement complexe avec notamment beaucoup de communautés religieuses. Est-ce que c’est l’un des pays dans le monde où il faut être le plus diplomate ?
« Oui bien sûr. Avant de partir du Liban pour venir ici à Prague, j’ai parlé avec mes collègues des ambassades du Proche-Orient et du Golfe et tout le monde voit le Liban comme ‘l’université de la diplomatie’. C’est un pays complexe dans une région complexe. Tout ce qui passe dans la région impacte le Liban. Les Libanais profitent de la vie chaque jour car ils ne savent pas ce qui peut arriver demain. Ce sont des gens à la fois très intelligents et très émotionnels : ils peuvent aimer une personne le matin et la haïr le soir même. C’est un pays qui bouge beaucoup dans un environnement complexe. »Quelle est l’image de la République tchèque à Beyrouth ?
« La renommée de la Tchécoslovaquie était importante au Liban et nous essayons de conserver la qualité des relations de cette époque. Les relations politiques ne posent pas de problème, nous sommes surtout en train d’intensifier nos relations économiques. »
Vous avez d’ailleurs organisé une mission d’entreprises au Liban : avec quels résultats ?
« Nous avons surtout des missions d’entrepreneurs libanais en République tchèque. Trois ont déjà eu lieu, respectivement pour des entrepreneurs du secteur agricole, de la santé et du tourisme. Le bilan est très bon et nous travaillons avec ces entrepreneurs au Liban pour faciliter les contacts et les aider à faire leur business en République tchèque. 40 chefs d’entreprises tchèques viendront avec notre ministre des Affaires étrangères à la fin du mois d’octobre prochain. »
Quels sont les entreprises tchèques intéressées par le marché libanais ?
« Ce sont surtout des entreprises du secteur automobile parce que c’est notre industrie principale, ce sont aussi des entrepreneurs du secteur médical cherchant à vendre des médicaments génériques. Nous avons aussi dans le domaine touristique des spas tchèques qui sont déjà très populaire auprès des Libanais. Des entreprises du secteur énergétique sont aussi intéressées car c’est l’avenir du Liban. »
L’affaire des Tchèques kidnappés
Vous avez pris votre poste après une affaire qui a fait couler beaucoup d’encre à Prague et dans le monde : l’enlèvement de citoyens tchèques dans la plaine de la Bekaa. Vous avez récemment participé au financement d’un projet humanitaire dans cette même région de la Bekaa. La situation sécuritaire y est-elle normale aujourd’hui ?
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« Oui, la situation est désormais normale au niveau sécuritaire et au niveau de nos relations bilatérales. Personne du coté tchèque et libanais ne voulait revenir sur cette affaire désagréable pour tout le monde. »
Est-ce qu’il y a eu des conséquences à cette affaire ? Est-ce qu’il y en a encore ?
« Non. Des deux côtés nous avons essayé de revitaliser positivement nos relations. L’impact de cette affaire fut finalement positif. »
C’est une réponse très diplomatique…
« Oui, on travaille très intensivement de manière bilatérale en essayant de soutenir des projets locaux, notamment d’aider les écoles et de travailler dans le domaine de la santé. Nous avons par exemple mis en place le programme MEDEVAC, déjà très réputé en Jordanie, grâce auquel des médecins tchèques viennent travailler trois semaines gratuitement au Liban pour aider les gens vulnérables, notamment ceux qui souffrent de problèmes ophtalmologiques. Ce ne sont pas des projets très grands mais malgré tout nous essayons d’aider. »
Le patriarche maronite est invité à Prague
En tant que diplomate européenne et tchèque, devez-vous adapter votre discours en fonction de votre interlocuteur? Peut-on dire la même chose à un leader druze, un patriarche maronite, un leader sunnite ou doit-on ajuster ?
« Non surtout pas. Nous voyons le Liban comme un pays en tant que tel. Bien sûr je n’ouvre pas les sujets sensibles, religieux ou autres, et je cible mes discours sur quelque chose de très concret : ‘comment peut-on coopérer, comment peut-on vous aider ?’. Le patriarche maronite est d’ailleurs invité à Prague par le cardinal Duka. C’est quelque chose qui me fait très plaisir et je juge cette visite très importante car il ne faut pas oublier que le Liban est le seul pays arabe où le président de la République, le gouverneur de Beyrouth et le chef des armées sont chrétiens. C’est quelque chose d’exceptionnel dans le monde arabe et ce sont les chrétiens qui distinguent le Liban des autres pays de la région. Je crois que cela est très important et qu’il ne faut pas l’oublier. »La République tchèque est considérée par certains comme le plus pro-israélien des pays de l’Union Européenne. Est-ce que cela pose problème pour la diplomate que vous êtes à Beyrouth ?
« Nous pouvons dire effectivement que notre narratif est très fort concernant Israël, mais notre politique gouvernementale est équilibrée dans la région. Nous avons beaucoup de programmes humanitaires et financiers en direction des pays arabes. Nos relations économiques sont aussi intensives avec Israël qu’avec les pays arabes. Cette politique équilibrée aide à ma position au Liban car je peux parler avec toute sincérité. Bien sûr il y a les titres des journaux mais la réalité du terrain est ainsi. »
Mais cela peut-il vous poser problème parfois ?
« En théorie oui, cela pourrait me poser un problème. Le Liban est un pays très ouvert mais nous connaissons les relations difficiles qu’il entretient avec Israël, ce n’est pas toujours évident bien sûr. »