« Nous portons tous les mythes en nous »

Les Jardins Vrtba, photo: Juan de Vojníkov, CC BY-SA 3.0

Du 1er au 16 septembre, une exposition collective de femmes artistes est à découvrir dans les Jardins Vrtba (Vrtbovská zahrada), dans le quartier de Malá Strana à Prague. Outre que c’est l’occasion de découvrir ces magnifiques jardins en terrasse, l’exposition rassemble ainsi le travail de cinq artistes, dont Šimona Součková, originaire de Prague mais installée en France. C’était l’occasion toute trouvée de s’intéresser à son parcours et à sa vie.

Šimona Součková, bonjour. Vous êtes artiste-peintre, vous vivez en Auvergne, une très belle région de France. Avant de parler de votre travail et d’une exposition collective qui se déroule à Prague, rappelez-nous d’où vous venez et quelle a été votre enfance en Tchécoslovaquie ?

Šimona Součková,  photo: Site officiel de Šimona Součková
« Mon enfance, c’étaient les années 1950-1960. On ne peut pas dire que ça a été une enfance très gaie. D’ailleurs pour personne, je ne suis pas une exception. C’était une atmosphère très particulière de grisaille. Quand je dis grisaille, je ne parle pas que des rues, c’était aussi une grisaille mentale. J’ai grandi à Žižkov. On l’appelait autrefois, dans l’entre-deux-guerres, le petit Montmartre de Prague. Sous le régime communiste, on ne l’appelait pas ! Cette grisaille n’était pas uniquement liée au quartier d’origine ouvrière, mais par toute l’atmosphère. Ma mère était divorcée, j’ai grandi seule avec elle. En journée, elle travaillait et rentrait tard le soir. J’habitais rue Krásova, c’est une rue qui monte vers là où se trouve aujourd’hui le grand émetteur de la télévision. A côté se trouvait le vieux cimetière juif. C’était mon terrain de jeu secret. Mais si je devais exprimer mes souvenirs en couleurs, je ne vois que le gris. J’ai fait quelques tableaux dans ma jeunesse et bizarrement c’était cette couleur qui ressortait. Même quand j’écrivais de la poésie à l’époque, c’était toujours sombre. Cette atmosphère était omniprésente. »

Est-ce que c’est cette grisaille qui vous a donné envie de mettre de la couleur dans votre vie et qui vous a donc menée à la peinture ?

'insolites',  photo: Site officiel de Šimona Součková
« Non ! Je ne crois pas. Si je peux me permettre je vais faire un saut dans le temps. Vous avez parlé de l’Auvergne où je suis installée depuis 2002. J’ai mon atelier et mon domicile à Thiers, à quarante kilomètres de Clermont-Ferrand. C’est une vieille ville médiévale, où la spécialité était la coutellerie. La vie y était très sauvage autrefois. La vie était dure et les gens étaient pauvres. Pourquoi me suis-je retrouvée en Auvergne ? Ce n’était pas conscient à l’époque. J’avais découvert Thiers dans les années 1990, à la faveur d’une visite chez des amis. J’y suis retournée souvent, pendant dix ans, avant de m’y installer. Ce qui m’a frappée là-bas, c’était cette grisaille, cette atmosphère. C’était ma nostalgie liée à l’enfance. Car même si on a une enfance grise, on n’a qu’une seule enfance, et elle est unique. On garde donc une certaine tendresse par rapport à son enfance, même si elle n’était pas particulièrement intéressante. »

Plus tard, vous avez fait des études d’arts plastiques, mais aussi de théâtre… Qu’est-ce qui vous a menée vers ces filières ?

« Plusieurs choses. Déjà ma mère était très attachée à l’art. A la maison on avait des reproductions de peintres comme Gauguin, Renoir, Monet, tirées des calendriers, car on ne pouvait pas les obtenir autrement. Ensuite ma mère m’emmenait souvent à l’opéra, à des concerts, au théâtre, toujours de manière adaptée à mon âge. Mon père, que je n’ai presque pas connu, dessinait et peignait très bien. La guerre a fait qu’il n’a pas pu faire les Beaux-Arts. Ce qu’il faisait était très bien et on avait quelques-uns de ses tableaux et dessins à la maison. Les voir et les avoir, c’était une sorte de substitut de lui. Donc peindre, c’était aussi une façon de me rapprocher de lui car il m’a beaucoup manqué. »

Grandir dans cette grisaille communiste et avoir cette sensibilité artistique, j’imagine que ça devait être difficile, entre l’art officiel très uniforme et obligatoire et une imagination qui ne correspondait pas. Vous deviez vous sentir en décalage…

'Salomé',  photo: Site officiel de Šimona Součková
« C’est sûr. Quand j’étais au collège et au lycée c’était catastrophique. Mais on approchait des années 1960, tout commençait à s’ouvrir aussi. Cela dépendait aussi beaucoup des professeurs. C’est drôle parce que même dans les années 1950, quand j’étais à la maternelle et au primaire, nous avions, dans la classe, à côté du président, des reproductions d’art. Les Tournesols de Van Gogh étaient partout ! Dans les salles de classe, il n’y avait pas d’affiches dans le style du réalisme socialiste. Il y en avait dans les couloirs par contre. Et évidemment, dans le hall, il y avait un buste de Lénine et du président actuel. Par contre dans les rues, c’était autre chose. D’ailleurs on parle de la grisaille des rues, mais mon plus grand souvenir de couleurs de l’époque, ce sont les grandes manifestations obligatoires comme pour le Premier mai, avec les banderoles rouges où était marqué : ‘Avec l’Union soviétique pour l’éternité’. »

A l’heure actuelle votre travail est exposé aux Jardins Vrtba, dans le quartier de Malá Strana à Prague. C’est une exposition collective d’artistes peintres femmes. Comment est née cette exposition ?

Les Jardins Vrtba,  photo: Juan de Vojníkov,  CC BY-SA 3.0
« Pourquoi les femmes ? Pourquoi cinq femmes ? C’est un petit espace, merveilleux et magnifique. Nous sommes membres d’un groupe qui s’appelle FF16, soit Fraction Française 16. En 2016 j’ai organisé une exposition à la galerie d’art contemporain de Clermont-Ferrand. Ça s’appelait Dix artistes tchèques. Après cette exposition qui s’est très bien passée, on a eu l’idée de ce groupe qui comprend 16 membres. Pour le Jardins Vrtba, ce sont cinq femmes du groupe qui exposent.

Quelles œuvres y présentez-vous ?

« Des choses que je n’ai pas encore présentées justement. Ce sont des petits formats pour cette petite galerie. Ce sont des œuvres qui datent de 2018 et de la fin 2017. Je travaille souvent par thèmes. Et un de mes derniers thèmes de prédilection, c’est ‘Il était une fois’. Je travaille beaucoup sur les ombres, les projections sur les murs, les estampes du temps qui restent, la mémoire. »

Vous travaillez également beaucoup sur les grands mythes…

« Je suis fascinée par l’universalité de ces mythes. Les mythes ne sont pas circonscrits à l’Antiquité, au Moyen-âge… C’est quelque chose que nous portons en nous. Le vocabulaire peut changer, certes. Toutes les légendes sont constitutives de ce qu’on est : nous sommes tous des Marie-Madeleine et des Marie, des Prométhée, des Hercule… Ce sont de magnifiques messages. Tirer de cela l’essentiel est le plus difficile. Je n’y arrive pas toujours d’ailleurs. Il faut que ce soit évident et lisible. J’aimerais savoir dire les choses en une ligne. Comme ce dessinateur chinois, mort très tard à presque cent ans, et qui a dit : ‘C’est dommage que je n’aie pas encore une année à vivre, je saurais tout dire en une ligne’. Mais ça n’arrive qu’aux génies (rires) ! »

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