Nouveaux réacteurs nucléaires en Tchéquie : « l’offre coréenne était meilleure » que celle d’EDF
C’était une décision très attendue, depuis plus de dix ans, et le gouvernement tchèque a donc tranché. Mercredi, le Premier ministre, Petr Fiala, a annoncé que Korea Hydro & Nuclear Power (KHNP) sera chargé de réaliser un projet souvent présenté comme « la commande du siècle ». L’offre de la société sud-coréenne a été préférée à celle de l’électricien français EDF pour la construction de nouveaux réacteurs nucléaires qui, à terme, doivent permettre à la Tchéquie de mener à bien sa transition énergétique.
« J’ajoute (à cette annonce) une chose importante : l’offre sud-coréenne était meilleure pratiquement sur tous les critères évalués. »
Comme l’a souligné Petr Fiala lors de la conférence de presse qui a suivi le Conseil des ministres, l’offre de KHNP, qui fournira pour la première fois son modèle de réacteur à eau sous pression APR1000, d’une puissance de 1050 MW, conçu pour les centrales européennes, a été préférée dans les grandes lignes à celle d’EDF.
Le gouvernement a validé le choix fait préalablement par ČEZ, le géant énergétique qui appartient majoritairement à l’État tchèque et qui était chargé de l’évaluation des dossiers remis, fin avril, par les deux derniers candidats en lice (après les éliminations successives de l’américain Westinghouse, du russe Rosatom et du chinois CGN) dans l’appel d’offres portant sur la réalisation de quatre nouveaux réacteurs. Les deux premiers verront le jour d’abord à la centrale de Dukovany (Moravie), puis deux autres encore plus tard, éventuellement, à Temelín (Bohême du Sud).
« Nous avons besoin de la construction de deux nouveaux réacteurs. Chacun d’entre eux produira environ 12 % de notre consommation annuelle actuelle », a ainsi rappelé, mercredi, Jozef Síkela, ministre de l’Industrie et du Commerce.
Pour la Tchéquie, l’objectif à terme de cet agrandissement du parc nucléaire est de faire passer la part de l’atome dans son mix énergétique jusqu’à près de 60 %, contre un peu moins de 37 % en 2022, grâce à ses réacteurs de conception soviétique. À titre de comparaison, les centrales brûlant du lignite continuent, elles, de produire près de 45 % de l’électricité en Tchéquie, alors que la part des énergies renouvables ne s’élève toujours qu’à un peu moins de 14 %.
Une réalité qui vaut à la Tchéquie de présenter des chiffres en matière d’émissions de dioxyde de carbone nettement supérieurs à ceux de la très grande majorité des pays dans le monde. Rapportées à sa population, ces émissions de gaz à effet de serre font même du pays le troisième plus gros pollueur au sein de l’Union européenne. Pour parvenir à un mode de production d’énergie plus « propre », Prague a donc fait le choix, depuis plusieurs années déjà, du nucléaire.
Si le calendrier est respecté, le contrat avec le fournisseur coréen devrait être signé probablement au début de l’année prochaine, les travaux entamés en 2029, tandis que la mise en service du premier nouveau réacteur est envisagée à l’horizon 2036 et son exploitation commerciale en 2038.
La construction de plusieurs réacteurs, et non pas d’un seul comme cela était initialement envisagé, doit permettre de réduire d’environ 20 % le montant de l’opération. Mercredi, Petr Fiala a déclaré qu’aux prix actuels du marché, le coût d’un réacteur en cas de construction de deux unités serait d’environ 200 milliards de couronnes (8 milliards d’euros).
En avril dernier, la Commission européenne a donné son feu vert au modèle de financement envisagé par la Tchéquie pour la réalisation de la première étape à Dukovany. Une aide publique à travers un prêt de l’État à la société ČEZ sera ainsi autorisée pour le premier nouveau réacteur.
Selon la plupart des experts sollicités par les médias tchèques, tous ces chiffres devront toutefois très probablement être revus à la hausse au fil de l’avancement du projet et de son éventuel retard, et ce malgré la compétitivité de l’offre présentée par la société asiatique et les garanties données par son directeur exécutif le KHNP, Jooho Whang, sur le fait qu’environ 60 % de la conception des nouveaux réacteurs serait assurée par des entreprises installés sur le territoire tchèque ou encorela question, primordiale, du respect à la fois du budget et du calendrier :
« Je peux promettre que nous sommes capables de livrer la source nucléaire planifiée à la date que la Tchéquie souhaite et au prix convenu. C’est notre force : nous pouvons promettre une livraison en temps voulu qui répond aux exigences et aux besoins de la Tchéquie. »
La décision prise par le cabinet de Petr Fiala lors d’un jour qualifié « d’historique » pour la Tchéquie constitue bien évidemment un immense coup dur pour les affaires d’EDF, en dépit des nombreux efforts diplomatiques de Paris et même du soutien en personne d’Emmanuel Macron, venu spécialement à Prague en mars dernier pour promouvoir l’offre française.
Mercredi, malgré la défaite et la perte d’un contrat estimé pour l’heure à 8,6 milliards de dollars, les dirigeants français ont néanmoins réagi en annonçant qu’en attendant de voir si les négociations exclusives qui vont désormais être menées avec le groupe de Séoul aboutissaient bien à la signature du contrat, très probablement donc lors du premier trimestre 2025, ils entendaient poursuivre le dialogue avec le gouvernement tchèque et qu’ils se tenaient prêts à réagir si le processus de l’appel d’offres venait à être encore modifié dans les prochains mois.
De son côté, le groupe américain Westinghouse, en litige avec la société sud-coréenne, estime que KHNP n’est pas autorisé à utiliser la technologie de réacteur qu’il a proposée à la Tchéquie dans le cadre de ce marché et envisage une action en justice. On n’en est donc peut-être pas encore tout à fait au dernier rebondissement dans le plus grand investissement industriel de l’histoire de la Tchéquie.