Obludarium, cabinet de curiosités des frères Forman (suite)
La femme à barbe, le lilliputien, la petite fille géante, ou encore la sirène... tout ce petit monde étrange et dérangeant, et bien plus encore, se retrouve sous le chapiteau des éternels saltimbanques, les frères Petr et Matěj Forman, dignes fils de leur célèbre père réalisateur. Tout ce qui est différent fait peur, tout ce qui ne correspond pas à la norme rend méfiant... Autrefois on montrait les êtres difformes dans les cirques, aujourd’hui, les frères Forman décident de leur rendre hommage, avec tendresse et humour, un peu à la manière de Tod Browning et de sa Monstrueuse parade dans les années 1930. Obludarium, c’est un jeu de mot entre le mot « obluda », monstre en tchèque, et planetarium ou aquarium, explique Petr Forman avant de poursuivre...
« Obludarium, c’est quelque chose entre le cirque, le cabaret, le night club... tous ces endroits ont été une source d’inspiration. Derrière ça, on a essayé de créer un spectacle qui fait découvrir la petite histoire des personnages dedans. Je ne sais pas si on comprend bien le nom ‘obludarium’ en français, ici, ça veut aussi dire un peu une ‘freak house’... »
Justement, c’est ce dont je voulais vous parler... votre spectacle n’est certes pas encore passé ici, mais il a tourné en France, et les personnages qui apparaissent évoquent le film de Ted Browning, Freaks, la monstrueuse parade...
« Voilà ! Ce n’est pas uniquement ça, mais on peut imaginer que c’est aussi un monde qui nous a aussi beaucoup inspirés. On a essayé de rentrer plus dans les différentes histoires des différents personnages mais aussi de créer d’autres choses qui provoquent cette atmosphère de cirque. »
Qu’est-ce qui vous intéresse aussi dans ces personnages en marge ? Je pense par exemple aux personnages de la femme à barbe, aux nains, à ces ‘monstres’ d’une certaine façon...
« C’est un monde qui nous provoque, dont on a peur. On a toujours peur de voir des gens handicapés ou qui sont bizarres. Mais en même temps on n’arrive pas à détourner le regard. Ça c’est le premier plan : on n’est pas intéressé pour savoir comment les gens sont à l’intérieur, quelle est leur histoire et pourquoi ils sont comme ça. Pour nous, c’était un choix de rentrer dans ce monde, car l’idée était qu’Obludarium tourne, pas seulement dans les grandes villes, mais aussi dans les petits villages. Au début, l’idée n’était pas de faire ce cabaret en tant que tel. L’idée était de chercher un monde pour que le public n’est pas peur de venir. Imaginez si on avait gardé l’idée de départ, celle de jouer Shakespeare ! Si vous venez dans un petit village avec une pièce de Shakespeare, ça fait peut-être un peu fuir le public. Les gens pensent : le théâtre, ce n’est pas pour nous... C’est pour cela qu’on s’est dit qu’on allait approcher un monde qui est naturellement proche de l’intérêt des gens. »
C’est une façon de renouer avec la tradition des comédiens ambulants, comme au XIXe siècle ou dans l’entre-deux-guerres ?
« Oui, ça aussi. Mais nous on a toujours voyagé comme cela. Si on a un chapiteau, la structure, les caravanes autour, si on s’occupe du montage et du démontage, qu’on joue dedans, tout cela c’est naturel pour nous. Depuis la Barraque réalisée avec la volière Dromesko, les Voiles écarlates créées sur notre péniche et d’autres spectacles faits auparavant, on a toujours voyagé et tout fait nous-mêmes. Ce n’est donc pas une nouveauté. Mais c’est aussi quelque chose qu’il faut faire... car c’est plus difficile d’aller dans un petit village et dire aux gens : venez voir un spectacle à Prague. Si vous voulez jouer pour eux, il faut aller jouer sur place et ne pas attendre que le public vienne. Nos projets sont peut-être un peu grands, mais on veut suivre cette idée de voyager avec eux. Pour cela on a aussi choisi un monde qui est proche des gens, depuis les périodes que vous mentionnez, une époque où le théâtre était naturellement ambulant. Il n’y avait pas beaucoup de théâtres fixes. Or le public aujourd’hui, c’est le même problème : il y a beaucoup de gens qui ne vont pas au théâtre, sinon une fois par an, peut-être au Théâtre national. »
Vous parlez de monter et démonter une structure. Justement, pour ce spectacle, Obludarium, vous avez également un lieu pour votre spectacle, une structure fabriquée exprès...
« Oui, c’est un lieu qui a été dessiné par mon frère Matěj, et après, la construction a été faite par une société française. A la fin, ils ont créé avec Matěj une structure en métal qui peut se monter en trois jours. Matěj a fini l’espace avec du bois autour. Les décors ont été réalisés par d’autres amis. Mais l’intérieur et la tente ont été faits par mon frère. C’est une structure qui a été faite pour ce spectacle uniquement, mais elle existe, donc ça peut resservir à l’avenir pour d’autres choses. En attendant, c’est pour Obludarium et tout le spectacle repose aussi sur cette structure. Comme il y a une loge au premier étage, on a beaucoup joué avec la hauteur, avec l’espace entre le plafond et le sol. Il y a donc beaucoup de choses qui se passent dans les airs. »
Donc un espace fait sur mesure, que vous pouvez transporter d’un endroit à l’autre... Vous avez commencé à tourner en France et on sait que vous collaborez depuis longtemps avec le Théâtre National de Rennes. Pourquoi avoir commencé par la France avant la RT ?
C’est pour cela qu’on a accepté que les premières soient faites là-bas. A Rennes, ils ont organisé une tournée, ils nous ont aidés à finir le spectacle là-bas. Au festival de la mise en scène, il y a beaucoup de professionnels qui sont venus et ça a ouvert des questions pour le futur. Ils ont bien aimé le spectacle et c’est une garantie de pouvoir travailler à l’avenir. Ça s’est fait de manière naturelle parce qu’ils ont montré tout de suite de la confiance et de l’intérêt. La première fois qu’on a joué, c’était en novembre 2007, et on n’avait même pas fini. Après on est revenu en RT, on a retravaillé le spectacle pendant tout le mois de février, rajouté des numéros, prolongé le show. Après, on est retourné en France où on a joué une quinzaine de fois et aussi à Anvers qui a acheté des spectacles. Et maintenant on revient en République tchèque. »
Vous travaillez avec beaucoup de personnes qu’on retrouve sur différents spectacles, je pense à Jaroslav Svoboda du groupe Traband qui avait composé la musique pour votre spectacle Le Onze de Klapzuba, au théâtre Minor. Il a aussi participé à la composition musicale d’Obludarium. C’est important pour vous d’avoir une équipe de personnes, d’artistes, qui sont des amis, des proches ?
« Je ne sais pas si c’est important, ce n’est pas un choix, c’est comme ça : on s’est croisés dans la vie avec différents artistes et on s’est souvent senti tellement proches et tellement bien ensemble qu’on leur a demandé de participer, de travailler ensemble. C’est vrai qu’on a beaucoup d’amis qui sont avec nous depuis huit-neuf ans avec les Voiles écarlates. Chaque travail est une nouvelle rencontre. C’est naturel de travailler avec des gens avec lesquels on se sent bien et qui savent bien faire quelque chose. »