Omar Mounir, l’unique écrivain marocain de Prague
Pendant de longues années Omar Mounir a été l’un de nous. Journaliste de la section française de Radio Prague, il informait dans ses articles et ses reportages le monde francophone sur sa seconde patrie – la Tchécoslovaquie et puis la République tchèque, mais il était avant tout écrivain, romancier et essayiste. Aujourd’hui nous sommes obligés de parler de lui au passé. Le seul écrivain marocain de Prague nous a quittés le 14 août dernier à l’âge de 70 ans. Le vide qu’il laisse ne sera pas comblé car il est tout simplement irremplaçable.
Journaliste de Radio Prague
A la radio, Omar Mounir était toujours là quand on avait besoin de lui. Il déployait sa grande culture et ses connaissances de juriste dans ses textes et était toujours prêts à aider et conseiller ses collègues. Beaucoup de ses articles et de ses reportages conservés dans les archives de Radio Prague restent remarquables par leur pertinence et la qualité de leur style. Car Omar Mounir était avant tout écrivain et sa véritable vocation était la littérature.
Son travail à la radio ne lui laissant pas une liberté suffisante pour la réalisation de ses projets, il a mis fin à sa carrière de journaliste en 2004 pour se consacrer entièrement à la création littéraire. Comme s’il savait qu’il ne lui restait pas beaucoup de temps pour traiter tous les sujets qui lui tenaient à cœur. Il disait avoir gardé cependant un bon souvenir de la radio et y est symboliquement revenu encore en rédigeant la biographie de la journaliste Jarmila Baxová qui, elle aussi, avait travaillé pendant presque toute sa vie à Radio Prague. Il n’a pas été facile d’arracher de l’oubli les souvenirs de cette ancienne journaliste qui voulait vivre en France et a échoué en Tchécoslovaquie communiste, derrière le rideau de fer. Dans une interview, Omar Mounir a évoqué le travail difficile et méthodique sur ce livre intitulé « Madame Paris Prague » :
« Il s'agit tout simplement d'une biographie, la biographie de Mme Baxová qui est aujourd'hui âgée de 81 ans et qui raconte sa vie. Une vie marquée par une tragédie particulière que le lecteur pourra découvrir. Alors mon rôle, c'était un rôle double, le rôle de journaliste mais d'un journaliste qui au lieu de faire un cent mètres, c'est à dire une interview, fait un marathon, puisque j'ai fait avec Mme Baxová une série d'enregistrements à partir d'une thématique élaborée comprenant exactement 83 thèmes, donc une série d'interviews qui a duré trois mois et demi. On se rencontrait chez elle, trois fois par semaine, lundi, mercredi et vendredi après-midi, de 15 à 19 heures, et je dois féliciter ici Mme Baxová qui en dépit de ses 81 ans, n'a jamais été absente, n'a jamais été en retard pendant ces trois mois d'interviews en dépit de l'hiver sévissant, parce que c'est au cours de l'hiver 2004 que j'ai fait cet enregistrement. »« Madame Paris Prague » est jusqu’à présent le seul livre d’Omar Mounir traduit en tchèque. La traduction de Magdalena Hrozínková est sortie en 2006 aux éditions Mladá fronta.
La Partition de la Tchécoslovaquie
L’œuvre qu’Omar Mounir nous a laissée, comprend une vingtaine de livres et couvre un large éventail de thèmes et de genres. Parmi ses écrits, il y a des romans, nouvelles, livres d’histoire, essais politiques et ouvrages juridiques car ses intérêts et ses inspirations étaient extrêmement variés. C’est encore son travail à la radio qui lui a suggéré un thème difficile à saisir mais passionnant. Il a été un des premiers sinon le premier auteur à s’attaquer à la problématique de la partition de la Tchécoslovaquie en 1993, ce divorce compliqué et complexe entre Tchèques et Slovaques qu’il avait suivi et commenté dans son travail journalistique. Dans son ouvrage « La Partition de la Tchécoslovaquie », paru en 1999 aux éditions Quorum, il décrit jour après jour et pas à pas ce processus de séparation aux conséquences graves mais qui heureusement n’a pas dégénéré dans un conflit ouvert et dont il admirait le caractère civilisé :« Il n’existe pas d’autre cas dans l’histoire contemporaine où une partition s’est faite aussi paisiblement. Si j’utilise l’expression qu’on trouve dans le livre, c’est que la partition de la Tchécoslovaquie a été faite sans que les Tchèques et les Slovaques aient à casser ne serait-ce qu’un verre. Et je dirais que c’est une leçon à l’intention de l’Europe, une leçon de sagesse, d’un degré élevé de civilisation et de culture en Tchécoslovaquie. Je ne le soulignerais jamais assez : si le cas de la partition de la Tchécoslovaquie s’était ‘yougoslavisé’, c’est l’expression à adapter et à adopter, étant donné les circonstances, eh bien aujourd’hui le sort de l’Union européenne eût été autre, l’OTAN n’aurait pas été l’OTAN que nous connaissons et la sécurité en Europe n’aurait pas été celle qu’elle est aujourd’hui. Donc c’est un service immense que les Tchèques et les Slovaques ont rendu à tout le monde en Europe, à l’insu de tout le monde. C’est passé inaperçu, parce qu’on ne remarque que les mauvaises choses qui laissent beaucoup de dégâts matériels et humains derrières elles. Mais les grandes œuvres silencieuses de paix passent inaperçues. »Le Maroc, une patrie et une inspiration
Bien qu’Omar Mounir ait passé une grande partie de sa vie à Prague, il restait toujours attaché par mille liens à sa patrie marocaine. Fils d’Essaouira, ancien enseignant à la faculté de droit à Casablanca, il suivait sans cesse la situation dans son pays, et c’est le Maroc, la vie actuelle et l’histoire du peuple marocain qui lui ont inspiré la plupart de ses œuvres. C’est à son pays qu’il a consacré entre autres l’essai intitulé «Nécrologie d’un siècle perdu », dans lequel il dénonce des comportements qu’il juge responsables des maux de la société marocaine au XXe siècle. Dans le livre « Deuxième Franncesses » il donne une satire corrosive de la société marocaine sous le protectorat français. Le héros de ce livre, Moulay Brahim, qui raconte ses malheurs pour faire rire, réapparaît aussi dans « Rue de la ruine – Essaouira ».Omar Mounir s’est inspiré également de plusieurs thèmes de l’histoire du Maroc. Dans « Le poète de Marrakech » il évoque la vie du poète El Houari Mohamed ben Brahim Assaraj et donne la première anthologie de ses œuvres en français. Dans le roman historique « Bou Hmara », il fait resurgir du passé l’incroyable aventure du héros maudit Bou Hmara, qui s’est révolté, à la charnière des XIXe et XXe siècle, contre le sultan du Maroc en se déclarant prétendant légitime au trône et qui savait mener un jeu diplomatique subtil avec la France et d’autres puissances occidentales. En présentant cet ouvrage au micro de Radio Prague, Omar Mounir a défini sa conception du roman historique :
« Le roman historique se présente comme un complément de l’histoire parce qu’il arrive un moment où l’historien s’arrête laissant derrière lui les zones d’ombre et c’est la littérature qui peut les remplir par un travail de restauration comme quelqu’un qui restaure un tableau pour lui donner un sens. Je pense, en tout cas c’est ma déontologie personnelle, que l’écrivain ne doit s’aventurer dans le domaine de la fiction que dans la mesure où il respecte les faits historiques et se contente d’apporter un simple éclairage qui ne déforme en rien le fond du texte historique. Et s’il a l’intention vraiment de gambader dans le monde imaginaire, il ne faudrait pas que le livre soit présenté comme un roman historique et que le lecteur soit par conséquent trompé. »S’en sortir ou mourir
Dans la majorité de ses œuvres Omar Mounir s’inspirait de faits réels, d’événements et de personnages qui ont réellement existé. C’est pourtant un livre de fiction, le roman « S’en sortir ou mourir » paru en 2001, qui est sans doute un des sommets de sa création littéraire. Lors de sa récente visite à Prague, l’éditeur marocain Mohamed Rachid Chraïbi a parlé de sa collaboration avec Omar Mounir et a suggéré que ce roman puisse être traduit en tchèque :
« J’ai édité avec lui une dizaine d’ouvrages. Depuis que nous avons commencé, nous en sommes au dixième ouvrage, après des romans, essais, romans historiques, la liste est assez longue, voilà. Ce serait quand même une excellente chose qu’un auteur marocain ayant résidé à Prague soit traduit en tchèque. (…) Je proposerais qu’on traduise le premier de ses livres que j’ai publié parce qu’il relate le Maroc des années de l’indépendance, ‘S’en sortir ou mourir’. C’est l’histoire de deux enfants, dont chacun a suivi un chemin différent. L’auteur nous amène dans un Maroc où il y avait une communauté juive et une communauté musulmane qui vivaient ensemble. Et tout cela est raconté dans ce roman. »« S’en sortir ou mourir » est un ouvrage fort qu’on peut lire d’une traite presque comme un roman policier mais c’est aussi un cri, un avertissement, un témoignage poignant sur le Maroc et sur les Marocains. Le lecteur de ce livre n’arrivera pas facilement à oublier l’histoire de la jeune Fadma et de son frère Mohand, victimes d’une société qui ne leur permet pas de vivre dans la paix et dans la dignité.
Omar Mounir et les lecteurs tchèques méritent sans doute que son roman majeur soit traduit en tchèque. Les écrivains ont une double vie. Ils ne meurent que physiquement et continuent à vivre dans leurs œuvres. Traduire ce roman serait une occasion unique de contribuer à la seconde vie d’Omar Mounir, écrivain qui vivra aussi longtemps qu’on lira ses livres.