On oublie souvent que Kundera est un excellent auteur dramatique
A l’issue d’un séminaire qui a eu lieu récemment dans le bâtiment du Sénat à Prague et dont le titre était Milan Kundera l’Européen, nous avons invité au micro de Radio Prague un de ses participants, Martin Petras de l’Université de Lille.
Selon certaines voix qui ont retenti pendant le séminaire (celle du publiciste Antonín Liehm, par exemple), c’est en tchèque que Milan Kundera a écrit l’essentiel de son œuvre. Vous ne semblez pas partager cet avis...
« C’est une question qui est ouverte. L’avenir nous dira si la partie essentielle de l’œuvre de Kundera est écrite en tchèque ou bien si elle a été écrite directement en français. Alors cela, je n’oserai pas me prononcer là-dessus. C’est tout simplement, parce que pour moi en tout cas, c’est l’œuvre entière de Milan Kundera qui est essentielle. »
Pour vous, les livres de Kundera forment un tout...
« Je n’aime pas quand on sépare les différents romans. Il y en a par exemple qui disent : oui, L’Immortalité, c’est un roman qui est moindre, qui n’est pas bon. Moi, je ne partage pas cet avis. Les livres de Kundera forment un tout et il est impossible de lire Kundera isolément. Toute l’œuvre de Kundera est essentielle, à mon avis : les romans, les essais, son théâtre. Il ne faut pas oublier son théâtre. On oublie souvent que Kundera est un excellent auteur dramatique. On en parle beaucoup moins. Mais les théâtres qui jouent ses pièces, à Paris et même à Prague, sont pleins. L’œuvre théâtrale de Milan Kundera que je considère comme très importante est un contrepoint tout à fait intéressant de son œuvre méditative, que ça soit les romans ou les essais ».
Comme on le sait, le rapport des Tchèques à l’égard de Kundera est pour le moins ambigu. Ce rapport a-t-il quand même connu une certaine évolution, au fil des années ?
« Oui, on peut parler maintenant de changement du rapport vis-à-vis de Kundera. C’est un processus très lent et sans doute faudra-t-il une nouvelle génération de lecteurs qui trouveront un autre chemin par rapport à l’écrivain. Mais c’est un chemin qui me semble semé d’obstacles ».
Pourquoi ?
« C’est parce que le public tchèque et, aussi, les mass médias tchèques mettent souvent l’accent sur les anecdotes plus ou moins croustillantes et extra-littéraires. Les textes de Kundera, il faut les lire très, très lentement, il faut les lire dans les détails, car ce sont des textes très élaborés, où chaque détail compte. Il ne faut pas les sortir de leur contexte, il ne faut pas en isoler des parties. Ce n’est qu’à cette condition-là, je pense, que le rapport des lecteurs tchèques vis-à-vis de Kundera peut changer. »
Il y avait récemment un colloque à Brno consacré à Milan Kundera...
« Oui, le dernier colloque qui s’est tenu au mois de mai à Brno a montré qu’il y a quand même une nouvelle réception de Kundera qui se dessine en République tchèque. Mais je répète que c’est un long chemin. »
A part ce colloque, il faut dire qu’un débat sur l’œuvre de Kundera fait pratiquement défaut, en République tchèque.
« C’est ça. Il est vrai que le débat se déroule plutôt à l’étranger qu’en Tchéquie. C’est pourquoi je pense qu’il faudrait traduire certains ouvrages qui ont été publiés en France sur Kundera, par exemple le livre Lire Kundera, d’une universitaire lyonnaise, qui pourrait renverser cette idée qu’on se fait de Kundera en Tchéquie ».
On rappellera que la réception controversée de l’œuvre de Milan Kundera dans son pays natal a été, aussi, le thème d’un article que Martin Petras a publié il y a un an dans la Libre Belgique, sous le titre La deuxième expulsion de Kundera et dans lequel il a notamment réagi à la dénonciation d’une prétendue collaboration de l’écrivain avec la police d’Etat communiste.