« Pas naturel de parler une langue étrangère avec ses enfants »
« Krajané a český jazyk » - « Les Tchèques de l’étranger et la langue tchèque » : tel était l’intitulé de la conférence qui s’est tenue à Prague pendant deux jours mi-septembre. Cette conférence avait pour but de répondre à deux grandes questions : quelles sont les formes du tchèque dans les différentes communautés tchèques dispersées dans le monde aujourd’hui ? Et comment veiller au maintien et au développement de la langue hors des frontières de la République tchèque ? Parmi les dizaines d’invités figurait Olga Schmalzried – Podzimková, présidente de l’association « Beseda » en Belgique. Enseignante de tchèque dans la région de Bruxelles, où elle vit depuis de nombreuses années, Olga Schmalzried – Podzimková est intervenue lors de la conférence sur le thème « Comment se cultive le tchèque en Belgique ». Avant cela, elle a répondu à quelques questions de Radio Prague.
Quel est l’objet de votre conférence à Prague ?
« J’ai lancé une enquête parmi une nonantaine de Tchèques qui habitent en Belgique. J’ai eu aussi une quarantaine d’étrangers qui ont répondu aux questions en français ou en anglais. Tout le monde considère de manière positive le fait que la langue tchèque se développe dans les familles, et ce aussi bien que la langue du deuxième parent. Parfois, chacun des deux parents utilise sa propre langue, mais l’enseignement à l’école se fait encore dans une troisième langue. C’était d’ailleurs le cas dans ma famille : mon mari était américain et je parlais tchèque à mes enfants qui allaient à l’école en français. »
On voit là que c’est une vraie évolution vingt-cinq après la révolution… Le changement dans la façon d’envisager les choses est-il dû seulement aux changements politiques ?
« Je ne pense pas. Plus généralement, la psychologie s’est développée. Elle dit que le cerveau des personnes bilingues fonctionne autrement. Même si le vocabulaire est moins riche dans les deux langues, le cerveau travaille très activement, ce qui est considéré comme très bon même la santé. Ce n’était pas le cas avant. Quand j’ai eu mon premier enfant en 1983, je devais rejoindre mon mari à Vienne, en Autriche. Je me suis dit : ‘mon Dieu, mon enfant va devoir parler trois langues…’. L’anglais et l’allemand, c’était d’office, alors j’ai pensé que le tchèque serait un luxe. D’un autre côté, même si je ne parlais pas trop mal anglais, je trouvais très bizarre d’avoir à parler en anglais à mon enfant. Les psychologues disaient qu’il ne fallait pas commencer à parler une autre langue avant l’âge de 2-3 ans. Je me suis donc ‘creusé la tête’ pour ne pas mettre mon enfant en danger, mais une fois qu’il est né, la question ne s’est plus posée. Ce n’est pas naturel de parler une langue étrangère avec ses enfants. Ils sont trop privés émotionnellement. »« Dans mon enquête, j’ai été étonnée par le fait que la plupart des personnes, dont 80% avaient entre 26 et 55 ans, tenaient à ce que les enfants aient ce sentiment d’appartenance non seulement à la langue mais aussi à leur culture. Ils sont très fiers de leur pays d’origine. Cela va de pair avec l’âme. Le monde est une comme une grande table et chacun d’entre nous le perçoit de manière différente selon sa langue. Les Français voient le monde différemment de nous, et c’est tout à fait normal et très enrichissant. »
Vous vivez dans les environs de Bruxelles, capitale européenne. Quelle a été l’évolution de l’intérêt pour le tchèque suite à l’élargissement de l’Union européenne aux pays d’Europe centrale ?
« Je vis là-bas depuis 1987, mais pendant dix ans je n’ai pas été autorisée à travailler. Ceci dit, je sais que le tchèque a commencé à être enseigné en 1990 à l’Institut supérieur de traducteurs et interprètes de Bruxelles (ISTIB), mais uniquement dans des cours du soir. C’était le professeur Jan Rubeš, qui est devenu ensuite directeur du Centre d’études tchèques à l’Université libre de Bruxelles (ULB), qui s’en occupait. Petra James lui a succédé depuis à l’ULB. Moi, j’ai commencé à travailler là-bas en septembre 1997. A l’époque, l’intérêt pour le tchèque n’était pas très important. Il y avait quatre élèves au niveau 2 et sept autres au niveau 1. Mais ç’a vite augmenté. Autour de l’an 2000, j’avais alors vingt-deux élèves. C’était impossible de leur apprendre la prononciation de toutes nos lettres si difficiles pour les francophones. Il y avait beaucoup de traducteurs évidemment, des étudiants qui prenaient des cours à l’ISTIB le jour et avaient choisi une troisième langue pour les cours du soir. Mais il y avait aussi des gens qui voulaient faire des affaires en Tchéquie, des adultes enfants de Tchèques qui avaient émigré après 1948, des touristes aussi qui avaient été enchantés par le pays et voulaient donc en apprendre la langue… C’était très hétérogène et difficile de donner des cours dans un tel groupe composé à la fois de traducteurs et de touristes. Chacun a une notion différente de la langue et de la grammaire. »« Depuis 2004 et l’adhésion de la République tchèque à l’UE, les cours sont donnés dans les institutions mêmes et les traducteurs ne viennent donc plus aux cours du soir. Progressivement y sont venus les partenaires, des hommes et des femmes de toutes nationalités qui vivent en couple avec des Tchèques. C’est vraiment un public international. On a des couples de toute l’Europe et c’en est que plus intéressant ! »