Pascal Salin : « La politique monétaire est responsable de la crise économique »

Pascal Salin

Le 27 avril dernier, Pascal Salin, économiste, spécialiste des finances publiques, et ancien président de la société du Mont Pèlerin – une société qui rassemble économistes, hommes politiques et intellectuels pour la promotion du marché libre et dont est membre le Président tchèque Václav Klaus – a donné une conférence à l’Institut français de Prague intitulée « La crise financière : faillite du marché ou faillite de l’Etat ». Il a livré à Radio Prague ses explications des causes de la crise économique actuelle.

« C’est très surprenant de constater que pratiquement tout le monde à travers le monde prétend que la crise financière révèle les faiblesses du marché, et bien souvent on dit, comme on avait dit pour la crise des années 1930, que le capitalisme est fondamentalement instable et qu’il est marqué par des crises, des cycles périodiques alors que c’est exactement le contraire. En effet, la cause profonde, majeure de cette crise actuelle vient de l’instabilité de la politique monétaire, aux Etats-Unis bien sûr, et c’est de là qu’est partie la crise, mais également dans le reste du monde car à peu près partout dans le monde on a suivi les mêmes politiques monétaires.

Pour faire court, après l’éclatement de la bulle internet en 2000 qui a provoqué une légère récession, les autorités monétaires se sont lancées dans une politique de bas taux d’intérêt pour stimuler l’investissement et de création monétaire considérable. Le taux d’intérêt de la banque centrale américaine – le taux directeur – est passé ainsi de 6,5% en 2000, à 1% en 2003, ce qui est une baisse absolument fantastique et qui n’a rien à voir avec ce que l’on pourrait imaginer du fonctionnement normal d’un marché. Et ensuite ce taux d’intérêt est remonté peu à peu jusqu’à atteindre 4,5% en 2006. Donc il y a eu toute une période de bas taux d’intérêt pendant laquelle les banques ont pu se procurer toutes les liquidités nécessaires, le monde était submergé de liquidités, et on s’est lancé dans des opérations d’endettement excessif. On a financé n’importe quoi. Avec un faible taux d’intérêt, on finance même des projets dont la rentabilité n’est pas très importante. Et donc on a développé des activités qui normalement n’étaient pas rentables parce qu’on a complètement faussé le marché. C’est la politique monétaire qui a faussé le marché. Ceci me paraît tellement évident que je suis surpris que l’on puisse dire que cette instabilité est inhérente au marché. Si on laissait faire le marché, on n’aurait pas de crise monétaire, on n’aurait pas de crise financière. »

Vous prônez donc le fameux « laissez-faire » économique ?

« Oui, absolument, et je suis bien conscient du fait que ce n’est pas facile de préconiser cela. Nous avons eu une situation où du fait d’une politique monétaire très laxiste, on a développé d’une manière excessive certaines activités, par exemple peut-être la construction automobile, le logement etc. Il faut donc revenir à une situation plus normale. Et seul le marché peut le faire parce que c’est une série d’ajustements non pas macro-économiques mais micro-économiques qui doivent être faits. Ce qui me paraît très optimal, serait que les gouvernements disent qu’ils ne peuvent rien faire, qu’il faut laisser la crise se développer, et que malheureusement, elle est la conséquence du passé et on ne peut pas revenir sur le passé.

Je sais bien que cette position est difficile à tenir pour les gouvernements parce que malheureusement dans le monde entier, on a le sentiment que l’économie doit être dirigée, gérée par les gouvernements. Et on attend qu’ils fassent quelque chose ; alors ils font quelque chose. Mais ce qu’ils font ne va pas, ne peut pas aller dans le bon sens, et risque simplement soit de prolonger la crise, d’empêcher le réajustement des marchés, soit même éventuellement de lancer un nouveau cycle. Je pense par exemple à la politique monétaire qui est faite actuellement aux Etats-Unis, où la banque centrale a pour objectif un taux d’intérêt proche de 0%, c’est une véritable folie. Je sais bien que sur les marchés le taux d’intérêt est nettement plus élevé, d’autant plus qu’il y a des réticences à prêter. Mais il n’empêche que si cette politique monétaire aux Etats-Unis, et d’ailleurs aussi en Europe, était maintenue trop longtemps, on aurait le risque d’avoir le démarrage d’un nouveau cycle. »

Vous préconisez un réajustement du marché par lui-même. Vous dites vous-même que c’est difficilement concevable électoralement. Mais c’est également un problème humainement. Que conseillez-vous pour soigner ponctuellement les crises humaines qui sont liées directement à la crise économique ?

« Il y a deux choses. D’une part, il y a l’état de l’opinion, et ce que je regrette, c’est que l’opinion ne soit pas mieux formée à la compréhension de ces problèmes, ni d’ailleurs bien souvent les dirigeants politiques dans beaucoup de pays. Par ailleurs, il y a la situation difficile d’un certain nombre de personnes, ce qui est tout à fait incontestable et regrettable. De ce point de vue là, il aurait été préférable que la crise n’ait pas lieu, et qu’on ne se lance pas dans cette politique de déstabilisation.

Malheureusement, lorsqu’il y a des transitions, il y a toujours un coût à supporter et ce coût est toujours inégalement réparti. Et ceux qui sont les victimes dans la transition bien souvent ne sont pas ceux qui sont responsables des maux. Il y a un véritable problème qui est difficile. D’une manière générale, pour ma part, je ne souhaite pas l’intervention de l’Etat, mais je suis en même temps forcé de reconnaître que si l’Etat ou les politiques monétaires, budgétaires, etc. ont détruit le fonctionnement normal de l’économie, il ne reste malheureusement qu’une solution, c’est que l’Etat sauve les situations les plus difficiles. »

Beaucoup disent que cette crise financière internationale va amener un nouveau monde, un nouveau système économique complètement différent. Croyez-vous à cela ?

« Non, je ne le crois pas. Beaucoup de gens disent que le système capitaliste tel qu’il a fonctionné est à bout de souffle, que l’on est dans un monde fini. Je crois exactement le contraire puisque précisément, on n’a pas laissé ses chances au capitalisme. A mon avis, il n’y a pas à réformer le capitalisme, ni à moraliser le capitalisme. Il faut le restaurer car on ne l’a pas suffisamment laissé fonctionner. »

Vous avez parlé de la République tchèque et de l’Europe centrale. Comment à votre avis la République tchèque réagit-elle à la crise ?

« Beaucoup de pays d’Europe centrale ou de l’Est sont dans une situation extrêmement difficile, en particulier parce qu’il s’est passé dans ces pays ce qui s’est passé dans le reste du monde, à savoir un excès d’endettement à partir d’une création monétaire et donc de financement d’activités qui n’auraient pas dû l’être normalement. Heureusement, la République tchèque a été un peu protégée de ces excès. J’ai le sentiment que les banques ont été beaucoup plus prudentes. Elles n’ont pas pris de risques excessifs. D’une part, elles n’ont pas acheté ce qu’on appelle parfois les actifs toxiques sur le marché financier international. Elles ont fait un financement beaucoup plus local. Par ailleurs, localement, elles ont été relativement plus prudentes. Ceci je crois se manifeste tout simplement par le fait que personne n’éprouve de craintes à l’égard de la solidité du système bancaire tchèque, et personne ne s’est tourné vers l’Etat pour lui demander un secours, ce qui lui aurait été peut-être même refusé.

On a donc une situation qui est un peu plus saine. Ceci dit, il y a bien sûr malgré tout le fait que, de manière générale, les banques sont plus prudentes et donc il y a un ralentissement du crédit pour les entreprises. Les entreprises elles-mêmes sont parfois fragiles parce qu’elles n’ont pas suffisamment de fonds propres et la réduction des crédits est donc difficile pour elles. Par ailleurs, l’économie tchèque est très dépendante de ses exportations, et en particulier en ce qui concerne le secteur automobile, qui est un des secteurs les plus frappés par la crise pour des raisons que j’évoquais – c’est un secteur qui a été probablement trop développé dans le passé parce que le financement était facile – et donc il y a là une phase d’adaptation qui est un peu difficile certainement pour l’économie tchèque. Mais dans la mesure où les problèmes ne sont pas d’une trop grande gravité, on peut espérer qu’après quelque temps, on pourra revenir à une situation plus normale, ce qui implique bien évidemment des restructurations et des difficultés pour un certain nombre de gens. »