Patrick Chauvel : « Sans témoin, il n’y a pas de crime »

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Le grand reporter de guerre Patrick Chauvel est cette semaine à Prague pour donner des séminaires à la faculté de journalisme. Il présente à cette occasion aussi la version tchèque de son livre Rapporteur de guerre ainsi qu’un nouveau documentaire. Radio Prague lui a demandé pourquoi il s’était mis au tournage de films.

« Justement parce que c’est une autre forme de reportage et que quand on a fait 25 ans de photo, on en a un peu marre. Ce sont les mêmes histoires qui se répètent. J’avais envie de passer à autre chose et la caméra m’apporte un plus : le son et le mouvement. Moi, ce qui m’intéresse, c’est de raconter. Une fois que j’ai l’impression d’avoir fait le tour avec la photo, je passe à un autre moyen de raconter. Aujourd’hui, c’est le documentaire et puis des livres. Eventuellement plus tard, un film de fiction. Mais c’est plus dur à monter car c’est très cher. On peut aussi raconter les événements avec une fiction. Ce qui compte avant tout pour moi, c’est raconter. »

« Oui, rapporter la guerre, c’est la raconter. Je ramène la guerre à Paris quand je la raconte. Je la mets à table au milieu des gens. Je donne des visages, des noms. Je fais revivre l’histoire aux gens. »

Vous dites ramener la guerre à table... Les gens ont-ils envie d’entendre les mauvaises nouvelles au fond ?

« Les gens n’ont jamais envie d’entendre de mauvaises nouvelles. Ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle que je raconte. C’est quelque chose qui se passe. Ce n’est pas grave s’ils n’ont pas envie. L’important, c’est qu’ils écoutent. Je ne leur laisse pas l’occasion de dire plus tard : ‘on ne savait pas’. C’est ça qui compte. Après ce qu’ils en font, ça les regarde. C’est autre chose. Mais au moins je mets les choses à niveau. Je dis qu’il y a un drame en Tchétchénie, que les Russes massacrent des gens, et que là des Russes ont été tués par des Tchétchènes... Mais je ne laisse pas les choses dans l’ombre. On est les témoins de ce qui se passe, c’est important qu’il y en est. Sans témoin, pas de crime. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, certains Allemands ont dit : ‘on ne savait pas’. Moi, je ne veux plus entendre ça. Les gens peuvent répondre qu’ils n’ont pas envie de savoir mais ils sont responsables. »

Quelles photos historiques vous ont marqué ?

« Celles d’Auschwitz. Il y a le petit Polonais au ghetto de Varsovie. La petite fille vietnamienne, toute nue, qui court, brûlée au napalm par les Américains. Il y a le Tchèque (Jan Palach, ndlr) qui s’est brûlé par le feu. Il y a des photos qui sont des bornes de l’Histoire, qui restent en tête et qui jalonnent nos souvenirs. Je ne sais pas si j’en ai fait de bonnes, c’est l’histoire qui le dira. Ce qui compte, c’est d’essayer de maintenir la pression. Ils ont peur de quoi les Américains en Irak, en dehors de perdre la guerre ? Ils ont peur de revoir cette photo de la petite fille. Ils essayent de contrôler la presse parce qu’ils ont peur de ça. Ils ont eu Abou Graib, la photo prise par un soldat américain. C’est un autre drame, faite par un téléphone portable. Ils ne s’y attendaient pas. Les moudjahidins m’ont dit qu’ils pourraient élever une statue au nom de ce soldat américain qui a pris cette photo, tellement il a été de leur côté, pour leur cause musulmane. Donc, c’est important une image, c’est très dangereux. »