Reporters de guerre hier et aujourd'hui : témoignages de Patrick Chauvel et de Sarah Caron
Je reçois aujourd'hui deux reporters de guerre français, venus récemment à Prague, qui représentent deux générations de photographes différentes : Patrick Chauvel et Sarah Caron. Patrick Chauvel est l'un des reporters de guerre français les plus reconnus dans la profession. Il a passé une semaine avec des étudiants tchèques en journalisme, et a présenté, devant la salle archi-pleine de l'Institut français, son premier film documentaire « Rapporteurs de guerre », film qu'il avait tourné après la première guerre en Tchétchénie...
« Rapporteur de guerre » (rapporteurs parce qu'ils « rapportent » la guerre avec eux) est un « dialogue » passionnant entre Patrick Chauvel et ses amis journalistes. Celui qui a, lui-même, couvert le Vietnam, le Panama, le Liban, l'Afghanistan et d'autres régions de conflit encore, pose à ses collègues du métier des questions parfois dérangeantes : un reporter de guerre, doit-il intervenir, s'il le faut, dans le conflit ? Quel est le sens de ce travail ? Comment répondre aux exigences des agences de presse ? Pourquoi, en fait, devient-on photographe de guerre ? Avec quelles ambitions et quels idéaux est-ce qu'on se lance dans ce métier ? P. Chauvel :
« Bien sûr qu'on s'est tous posé ces questions à un moment donné. Comme je n'avais envie d'y répondre, je leur ai demandé de le faire à ma place. Ils m'ont d'ailleurs tous engueulé... Ce que j'aime dans ce film, c'est qu'il ne répond pas vraiment. Il n'y a pas de vraie réponse, ce n'est pas aussi simple que ça. Il y avait plusieurs raisons à ce film. Comme je l'ai dit, j'en avais peu marre de faire de la photo. Les jeunes photographes me demandaient ce que je pensais de la photo et je n'arrivais pas trop à y répondre à ce moment-là. On a besoin de jeunes pour prendre la relève, vu que dans ce métier, beaucoup de gens sont fatigués, blessés ou tués. J'ai pensé que c'était un bon moyen de présenter ces photographes en pleine forme qui racontent leur passion et de montrer aussi qui étaient les gens derrière les photos. Au départ, ils ont tous dit non, parce qu'ils sont plutôt timides. Leur métier n'est pas d'être vu. Finalement, ils ont dit oui, parce qu'ils ont préféré que ce soit un collègue à eux que quelqu'un qui n'y connaît rien et fait un mauvais film, trop cliché. Une autre raison pour faire ce film : c'était l'époque du scandale Lady Di. Tout le monde a accusé les photographes de presse de sa mort. Moi, je ne suis pas paparazzi, mes amis non plus. Je ne les critique pas, je m'en fous de ce qu'ils font, je ne suis ni pour ni contre. J'ai des copains paparazzi sympa, qui me font plutôt rire, mais ce milieu ne m'intéresse pas du tout. Par contre, ce qui me mettait en colère, c'est que le public a fait l'amalgame entre le photographe de presse et le vautour. Ce film était aussi une réaction à cela, un moyen de dire que le photographe de presse n'est pas un terme générique. »
Vous-mêmes, comment avez-vous commencé dans le métier ? C'était au Viêtnam ?
« Le premier conflit, c'était la Guerre des Six Jours, en 1967. Ensuite, je suis parti au Viêtnam. J'ai commencé par rater toutes mes photos en Israël... »
Pourquoi ?
« Parce que je n'avais jamais fait de photo de ma vie. J'avais un appareil photo avec un bout de carton, où il y avait marqué : soleil, pluie, vent. J'ai cru que c'était facile, mais ce n'était pas facile. Je suis rentré à Paris et j'ai fait un stage de six mois dans un laboratoire. Quand j'ai cru que j'étais prêt, je suis parti au Viêtnam. Avec un allé simple, parce que je n'avais pas d'argent. Je suis resté de 1968 à 1974. »
Les exigences des médias envers les reporters de guerre ont-elles beaucoup changé, durant les 35 ans de votre carrière ?
« Elles n'ont pas tellement changé. La vitesse de l'information fait qu'il faut être deux fois plus vigilent. On n'est pas infaillible, on peut se tromper. Aujourd'hui, le moment de réaliser qu'on a fait une erreur, la photo est déjà dans tous les journaux ! Avec le digital, vous fêtes une photo, vous l'envoyez sur votre ordinateur avec un téléphone et dix minutes après, elle est à New York, elle est à Johannesburg, elle est à Prague, elle est à Paris...Avant on avait des films, il fallait trouver un aéroport pour les envoyer, le lendemain, on appelait l'agence, pour savoir si les films étaient bons, ils développaient les films et ensuite ils envoyaient tout par courrier à des journaux. Donc on avait au moins trois jours pour réfléchir si on avait bien fait de faire cette photo-là. Parce que, évidemment, il y a toujours le piège de la manipulation. On sait pourquoi la censure nous empêche, quelquefois, de faire des photos (l'armée américaine en Irak, l'armée israélienne ou l'armée russe qui disent : Non ! Zone interdite !), cela veut dire qu'on est efficace. Mais il faut aussi se poser la question pourquoi on nous laisse de faire la photo, parce qu'on se sert de nous, à ce moment-là... Il faut essayer de donner l'image la plus neutre possible d'une situation. Ce n'est pas toujours simple, parce qu'on a des sentiments... Je ne crois pas au journaliste impartial, mais la photo doit essayer de l'être, en tout cas. »
Depuis plus un an, Patrick Chauvel travaille sur son nouveau documentaire. Il a suivi, en Afghanistan, en Palestine, en Irak, la jeune photographe Sarah Caron qui travaille en digital. On l'écoute :
« Au départ, cela me dérangeait, c'est un travail solitaire et j'avais peur que cela interfère sur mes relations avec les gens que je photographiais. Quand on est avec un journaliste, on n'est pas tout le temps ensemble sur le terrain. Le journaliste part de son côté... enfin, on n'est pas dans la même bulle. Mais Patrick a commencé à filmer doucement les histoires que j'étais en train de photographier et qui l'intéressaient. Du coup, il s'intéressait comme un documentariste qui va faire aussi un reportage. Par moment, je rentrais dans le champ et je devenais le fil rouge pour raconter l'histoire. Au bout d'un certain temps, je ne me suis plus rendue compte qu'il était-là. Maintenant, le film n'est pas encore monté, alors je ne sais même pas ce qu'il y a (rires) ! »
Vous avez étudié le journalisme ?
« Pas du tout, j'ai fait une fac de lettres. J'ai commencé à photographier en 1994, en Amérique du Sud, notamment à Cuba, pendant la 'période spéciale', lorsque les Soviétiques ne soutenait plus, économiquement, le pays. L'état de l'économie cubaine est devenu dramatique. Castro a décidé de résister comme il pouvait, en motivant le peuple à économiser. Cela a éclaté en août 1995, où les Cubains sont partis par centaines sur des petites embarcations construites avec un jean pour faire la voile, un morceau de bois... J'étais à Cuba à ce moment-là et j'ai commencé à faire la photo sur cet événement. »
« Avec le digital, la façon d'exercer le photojournalisme est différente d'il y a dix ans. Les grandes agences, comme Reuters, AP etc. ont de très bons photographes locaux qui vont répondre immédiatement à leur demande. Ces personnes pourront diffuser rapidement les événements. Pour un photographe indépendant, comme moi, c'est une concurrence totale. Il n'est plus intéressant d'être sur le même terrain que ces personnes. Sur un dossier chaud qui intéresse le photographe particulièrement (en 2006, par exemple, j'ai passé du temps en Israël et en Palestine), il vaut mieux rester longtemps. A ce moment-là, les magazines pour lesquels vous travaillez vont peut-être vous demander, à vous, de faire une histoire parce que vous y êtes déjà. Mais il est beaucoup plus rare qu'un photographe indépendant soit envoyé quelque part, parce que ça coûte cher. Du coup, moi, je travaille sur des sujets magazine. C'est-à-dire développer, rester, approfondir, avoir un peu de recul et de distance avec l'événement, essayer de comprendre et d'analyser. Ce n'est pas de l'actu chaude, c'est une photographie qui a aussi une recherche artistique, émotionnelle, de compréhension et d'analyse de situation. »