Petite « demonstrace » de ce que sont les faux-amis franco-tchèques (1ère partie)

Photo: Kristýna Maková

Non seulement l’apprentissage du tchèque n’est pas simple pour un francophone, mais même lorsque celui-ci tombe, ici ou là, sur un mot tchèque qui ressemble fort à un mot français et dont il pense connaître la signification, eh ben… c’est parfois raté, car le sens tchèque n’est alors pas celui du français. Ces mots, ce sont des faux-amis. Ainsi, vous croyez savoir ce qu’est une « demonstrace ». Bah, évidemment, nous répondez-vous… Alors, vérifions en faisant… la démonstration du contraire !

Comme l’homme, animal doué de la parole afin de pouvoir exprimer ses idées et ainsi vivre en société et se développer dès son plus jeune âge au contact des autres, une langue, système de signes verbaux propre à une communauté d’individus qui l’utilisent pour communiquer entre eux, partager leurs idées ou encore éduquer, apprendre, enseigner, former l’esprit ou développer les aptitudes intellectuelles et morales, une langue donc, ne se développe jamais seule. Comme l’homme, une langue s'enrichit en partie par ses contacts avec les autres, avec d'autres langues. Ainsi, la proximité des pays frontaliers, les guerres, les échanges commerciaux, culturels ou tout autre sont autant de facteurs qui favorisent les échanges entre les langues.

Langue pratiquée par un peuple vivant en Europe centrale, au cœur d’un continent à l’histoire marquée justement par les conflits, les déplacements de ses populations et les échanges en tous genres, le tchèque n’échappe pas, bien entendu, à cette description. A maintes reprises dans cette rubrique, nous avons eu l’occasion de constater que de nombreux mots « tchèques » tiraient leur origine d’autres langues, l’allemand notamment, mais pas seulement.

Photo: Kristýna Maková
Parfois, certains de ces mots sont ce que l’on appelle en linguistique des faux-amis – littéralement des « falešní přátelé » en tchèque. Des faux-amis sont des mots qui appartiennent à deux langues différentes, qui ont entre eux une grande similitude de forme, orale ou écrite, mais dont les significations sont sensiblement différentes.

Ainsi, au sein même de la rédaction française de Radio Prague, combien de fois avons-nous été trompés par ces faux-amis, certaines fois par inexpérience, d’autres par inattention, précipitation, ou encore parfois même par maîtrise ou connaissance imparfaite d’une langue, voire par déficit de culture générale ?

A titre d’exemple, citons ces deux phrases tirées de deux dépêches de la ČTK, l’agence de presse tchèque, dans laquelle figurent le substantif « demonstrace » et le verbe « demonstrovat » : « Centrum Prahy dnes zažilo několik demonstrací odpůrců a zastánců migrace a Evropské unie » soit « Le centre de Prague a été le théâtre de plusieurs manifestations d’opposants et de défenseurs de la migration et de l’Union européenne », et « Asi stovka hornických odborářů demonstrovala dnes ráno před úřadem vlády, kde jedná tripartita » - « Une centaine de représentants syndicaux des mineurs ont manifesté ce matin devant le siège du gouvernement, où était réunie la coalition ».

Photo: Štěpánka Budková
On le constate, dans les deux exemples cités, une « demonstrace » n’est donc pas une « démonstration » comme on l’entend en français, pas plus dans le sens de « rendre évident, prouver la vérité d’un fait » que dans celui de « montrer à un public le fonctionnement » par exemple d’un aspirateur ou d’un autre appareil ou produit. En français, une démonstration peut néanmoins être une forme de manifestation. On manifeste alors un sentiment. Une démonstration de joie ou de tendresse revient à manifester sa joie ou sa tendresse, en d’autres termes à exprimer celle-ci, à l’extérioriser, à la témoigner, la marquer. Mais pour ce type de manifestation, le tchèque possède un autre mot, celui de « projev », substantif du verbe « projevit », manifester dans le sens de « montrer, laisser voir ». Bien sûr, on peut aussi manifester - « projevit », son mécontentement, son désaccord, voire sa colère, ou inversement son soutien vis-à-vis de quelque chose, et on se rapproche alors plus du sens qui est celui en tchèque de « demonstrace », à savoir un rassemblement collectif, un défilé de personnes organisé et destiné à exprimer publiquement une opinion, une revendication. Bref, une « demonstrace » est une « manif ». Ainsi, si vous entendez un jour parler de « protestní demonstrace », vous saurez qu’il s’agit certes d’une protestation, dans le sens de déclarer, manifester son opposition, mais d’une démonstration de cette opposition, d’une action de protester dans le cadre d’une manifestation, d’un rassemblement public, d’une manif.

Tout cela ne signifie pas pour autant que le mot « manifestace » ne figure pas dans la langue tchèque. Mais il s’agit alors le plus souvent d’une « událost », autrement dit d’un événement, d’une manifestation organisée dans un but culturel, sportif, voire commercial. Attention toutefois, le mot « událost » ne peut pas être systématiquement remplacé comme bon nous semble par « manifestace ». Par exemple, une « historická událost », soit « un événement historique », ne peut pas devenir une « historická manifestace », qui n’aurait peu ou pas de sens. En effet, le mot « událost » sert à désigner un fait qui se produit ou s’est produit, un fait marquant ou important.

D’ailleurs, le journal de la Télévision publique tchèque diffusé chaque soir à 19 heures, soit l’heure de grande écoute en République tchèque, s’intitule « Události », car il relate les faits et événements de la journée écoulée. Nous-mêmes à Radio Prague nous efforçons d’en faire de même dans notre rubrique « Faits et événements » dont on peut supposer que l’intitulé, lorsque l’émission a été pensée, était une traduction du mot « Události ».

Photo: Archives de Radio Prague
De même, une « kulturní manifestace » n’est donc pas nécessairement une « kulturní událost », car si cette dernière est un fait marquant dans l’actualité culturelle, en revanche une « kulturní manifestace » peut désigner le bal des pompiers dans une petite commune du fin fond de la Bohême ou de la Moravie comme l’exposition de fin d’année du travail effectué durant les heures d’atelier arts plastiques par les élèves de la classe 3e B de l’école publique de Horní Dolní (nom fictif que donnent les Tchèques à une commune imaginaire et isolée dont personne n’aurait jamais entendu parler – un « trou perdu de province », l’équivalent de Pétaouchnok ou de Trifouillis-les-Oies en français).

Ainsi donc, avec ce seul mot « demonstrace », nous avons fait (en quelque sorte) la démonstration de ce qu’est ou n’est pas une manifestation ou… une démonstration. Mais les faux-amis franco-tchèques sont bien plus nombreux. Ne manifestez pas, nous vous en ferons une nouvelle démonstration dans une prochaine émission. Car si vous pensez savoir ce qu’est par exemple un « faux pas », détrompez-vous tout de suite… En attendant, portez-vous du mieux possible – mějte se co nejlíp!, portez le soleil en vous – slunce v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !