Petr Januš : « L'Insurrection qui vient vise autant la gauche que la droite »
Après l'édition d'Opium de Jean Cocteau, la maison d'édition Rubato vient de faire traduire et d'éditer L'Insurrection qui vient – un essai politique publié en France en 2007. Petr Januš, qui dirige la maison d'édition, présente ce texte et sa réception en République tchèque.
« L’Insurrection qui vient a été publié par La Fabrique, la maison d’édition d'Eric Hazan, en 2007. Le livre est signé par un collectif imaginaire, Le Comité invisible. Le texte consiste en deux parties. La première partie est analytique, il s’agit d’une analyse de la situation dans laquelle se trouvent aujourd’hui les sociétés occidentales. On y parle du conformisme des non-conformistes, du rapport ambivalent au travail, la perte de foi dans l'économie, la méfiance dans le mouvement alternatif global etc.
La deuxième partie est plus concrète. On peut parler d'une sorte de provocation mais aussi d'un manuel de combat. C'est ce qui rend cette partie attractive pour certains, mais controversée et difficilement acceptable pour d'autres. »
C'est un texte qui a fait son chemin sur internet, qui est connu des milieux d'extrême-gauche, des milieux anarchistes mais qui reste tout de même un texte assez confidentiel. Comment avez-vous eu connaissance de ce texte ?
« C’est un des mes amis français qui m’a parlé de ce texte. Il m’a bien sûr mentionné aussi toute l'histoire autour du texte. »
Toute l'affaire politico-médiatique de Tarnac...
« Il faut bien savoir choisir ses amis étrangers, ici à Prague. »
C'est un texte qui est très marqué à gauche, même à l'extrême gauche et au milieu anarchiste. C'est aussi un texte avec un contexte très français. En quoi peut-il attirer un lectorat tchèque ?« Premièrement la gauche et la droite, selon moi, sont des notions qui se sont vidées. La deuxième notion, celle de l’extrémisme, est employée par ceux qui ne sont pas visibles. Je pense que l'Insurrection qui vient vise la gauche aussi bien que la droite. Je considère la position des auteurs du livre comme au delà de la gauche et de la droite, et au delà du système politique officiel.
Pour ce qui y du contexte, le livre sort du contexte français avec ses spécificités, mais je crois qu'il dépasse ce contexte dans ce qui est essentiel. Ce qui est énoncé va au-delà de la société française actuelle. Alors le constat est assez général.
Et spécialement pour les Tchèques qui sont, en général, plus passifs que les Français, le livre pourrait apporter une impulsion importante pour ne plus penser dans le cadre des dogmes appris et participer activement à ce qu’ils voudraient changer ou plutôt transformer. »
Vous avez fait une soirée de présentation pour ce texte, la semaine passée, dans les caves de l'Université Charles à Prague. Quelles ont été les réactions des Tchèques devant ce texte?
« Oui, pendant la soirée on a pu sentir une certaine tension entre les milieux académiques d’un côté, et les militants et les anarchistes de l’autre côté, entre la partie française, et les récepteurs locaux qui ignoraient le contexte français et se sont exprimés spontanément sur ce qui leur semble être proche et similaire à leur propre situation.
C'était comme si chacun voulait dérober le texte pour lui-même. Et pourquoi pas ? Le texte est assez général, la confusion et la désillusion sont communes à beaucoup de monde, les expériences de certains sont les mêmes.
Mais je suis un peu déçu parce que j'avais dans l'idée de rapprocher les cercles académiques et les cercles dits militants, autonomes ou anarchistes, et ça n'a pas vraiment réussi parce que chaque groupe parlait sa propre langue, il n'y avait pas de liaison entre eux.
C'est dommage parce que je pense que rapprocher ces deux cercles pourrait être très utile pour la situation politique et sociale qui vient. Et évidemment, même à Prague, il y a des gens qui s’en rendent compte. »
Je dirai que c'est un livre visionnaire parce qu'on parle de structures sans structures qui devraient apparaître après le déclin de la civilisation occidentale.
C'est un texte, selon ma propre lecture, qui fait un constat très pessimiste sur l'avenir de nos sociétés, de nos façons de vivre et de nous organiser en société. Est-ce ressenti de la même façon par les Français ou les Tchèques ?
« Ce qui est pessimiste, c'est la première partie, qui est contre tout et tous. Mais la deuxième partie amène certaines solutions qui, selon les auteurs, pourraient mener vers la création d’une communauté basée sur des relations directes, proches. Je dirai que c'est un livre visionnaire parce qu'on parle de structures sans structures qui devraient apparaître après le déclin de la civilisation occidentale. C'est l'idée d'une possibilité, qui est donc plus optimiste que la première partie analytique. »
Le livre a été associé à une affaire politico-judiciaire assez troublée, l'affaire de Tarnac. Cet aspect a-t-il été important dans le choix d'éditer l'Insurrection qui vient ? Et cette affaire est-elle expliquée dans l'édition tchèque, même si elle reste difficilement explicable, ou confuse, en France ?
« Ce qui lie l’affaire Tarnac à ce texte, ce n’est qu’une construction policière, une construction du pouvoir, qui a fourni toute l’image utilisée par les médias où on parlait des extrémistes de « l’ultra-gauche anarcho-autonome » etc. Ces circonstances sont suffisamment décrites et expliquées par l’auteur de la post-face de notre édition. Bien sûr, je connaissais cette affaire mais si le texte n’avait pas été un bon texte, je ne l'aurais pas publié. »
Il y a aussi beaucoup de mystère autour des auteurs de ce texte, ce comité invisible. Quand on est éditeur de ce texte à l'étranger, en sait-on un peu plus que le commun des mortels sur l'identité de ces auteurs constituant ce fameux comité invisible ?« Bien sûr que je ne sais rien du tout de plus que les autres. Je ne suis qu'un éditeur. Mais pour moi, la question de l'auteur n'a aucune importance, car ce qui est importe est que le texte est bien signé d'une certaine façon, et on n'a pas besoin d'un nom. Je ne sais rien de plus. »