« Petr Pavel a su rassurer et fédérer »
Entretien avec le politologue tchèque Lukáš Macek, chercheur associé à l'Institut Jacques Delors et directeur du campus de Sciences Po à Dijon, pour évoquer l’élection de Petr Pavel nouveau président tchèque, plus concrètement dans le contexte centre-européen.
Comment analysez-vous le résultat de cette élection ? Pour de nombreux commentateurs, il s’agissait d’une sorte de référendum sur l’ex-Premier ministre Andrej Babiš. Selon vous, si Petr Pavel a remporté cette élection, est-ce d'abord grâce à ses qualités professionnelles et humaines, ou s'agit-il davantage d'un vote anti-Babiš ?
« Je suis persuadé que c’était un peu les deux. Lors des élections présidentielles de 2018, nous avons vu que n'être qu'un ‘anti-quelque chose’ ne suffisait pas. Plusieurs candidats étaient alors opposés au président Miloš Zeman avec cette logique du référendum sur le président sortant. Or cela n’a pas fonctionné. Aujourd’hui, dans un autre contexte, Petr Pavel a réussi à capter un nombre très important d’électeurs qui, pour beaucoup d’entre eux, étaient sans doute motivés par un refus d’Andrej Babiš. Il a profité de ce mouvement de rejet, mais il a su aussi rassurer et fédérer, ce qui n’est pas automatique. »
La présidente slovaque Zuzana Čaputová s’est déplacée à Prague, samedi, pour féliciter personnellement le nouveau président tchèque, devant les caméras, dans son QG de campagne. Comment interpréter son geste dans le contexte de la situation politique actuelle en Slovaquie ?
« C’est la conformation des relations privilégiées entre les deux pays, d’une proximité liée au passé commun. Celle-ci est aussi symbolisée par le fait que chaque nouveau président tchèque se rend en Slovaquie pour son premier voyage à l’étranger. Par ailleurs, on peut voir un parallèle entre ce qui vient de se passer en Tchéquie et la dernière élection présidentielle en Slovaquie : dans les deux cas, il s’agissait de battre une personnalité forte, mais controversée, à savoir Robert Fico en Slovaquie et Andrej Babiš en Tchéquie. »
« Effectivement, il y a eu un clin d’œil à la vie politique en Slovaquie qui se prépare à des élections législatives anticipées et à un éventuel retour au pouvoir de Robert Fico précisément. Je pense qu’afficher ce lien, c’est quelque part se rapprocher de cette dynamique que la victoire de Petr Pavel apporte dans cet affrontement assez typique d’Europe centrale, entre les forces politiques pro-occidentales et pro-européennes d’un côté et des forces nationales voire nationalistes, on pourrait aussi dire national-populistes, de l’autre côté. En République tchèque, cet affrontement a tourné vers le premier camp et ce sera le même enjeu lors des élections législatives slovaques prévues à l’automne. »
Que représente l’élection de Petr Pavel dans un contexte plus large, celui de l'Europe centrale ? Dimanche, sur la Télévision tchèque, le politologue Jacques Rupnik a parlé du fait que la Tchéquie était peut-être en train de se démarquer des autres pays de la région, comme en témoignaient déjà les dernières élections législatives remportées par une coalition de formations libérales.
« Je suis d’accord avec cette analyse, mais j’ajouterais une nuance : le groupe de Visegrád (V4), composé de la République tchèque, de la Slovaquie, de la Pologne et de la Hongrie, n’a jamais été un monolithe. Même lorsqu'Andrej Babiš était au pouvoir, il y avait une différence très nette entre les positionnements politiques et idéologiques des différents pays membres, entre les pratiques d'exercice du pouvoir, que ce soit en Hongrie avec Viktor Orban, en Pologne qui, depuis 2015, est largement dominée par Jaroslaw Kaczynski ou en République tchèque. »
« Les élections législatives tchèques de 2021 et l’élection présidentielle de 2023 soulignent à quel point le V4 n’est pas un bloc illibéral qui partagerait les mêmes conceptions de ce que doit être la politique, comment doit ou ne doit pas fonctionner la démocratie, etc. »
« De ce point de vue, c’est un signal fort pour le reste du monde pour sortir de cette image qui ressort souvent dans les médias occidentaux, de l'idée qui consiste à mettre tous ces pays dans le même panier et à considérer que, globalement, l’Europe centrale est dans une forme de dérive de politique idéologique. Face à la tendance illibérale en Hongrie et un peu moins forte, mais également présente, en Pologne, la Tchéquie incarne, avec la Slovaquie au moins jusqu’en septembre encore, l’autre pôle au sein du V4. »
L’hebdomadaire tchèque Respekt écrit dans son édition de lundi que la victoire de Petr Pavel représente « une chance historique pour la Tchéquie ». Ce moment vous apparaît-il particulièrement important à vous aussi ?
« Je me méfie toujours des interprétations trop solennelles d’un événement politique. Les hommes providentiels sont rares et, en général, l’élection d’une personne ne change pas totalement le cours des choses. D’ailleurs, je pense que c’est un bien mauvais service à rendre au nouveau président que de lui mettre des attentes disproportionnées sur les épaules. Donc, parler de 'chance historique' me paraît excessif, ne serait-ce que parce que les pouvoirs que la Constitution tchèque confère au président sont limités. Des attentes démesurées peuvent engendrer des frustrations tout aussi démesurées. »
« En revanche, je pense que cette élection ouvre un nouveau chapitre dans la vie politique tchèque et peut effectivement marquer un tournant positif. Je vois là deux dimensions qui sont étroitement liées. »
« Premièrement, nous allons sortir, après vingt ans, d’une cacophonie au sommet de l’Etat sur des dossiers importants tels que la question européenne, les relations avec la Russie, notamment dans le contexte de la guerre en Ukraine, ou encore les relations avec la Chine, sans oublier des sujets comme le changement climatique. Depuis vingt ans, le Château de Prague tenait un discours qui plus ou moins, s’écartait de la ligne tenue par les différents gouvernements qui se sont succédés. »
« Deuxièmement, tous les présidents disent qu’ils vont apaiser les tensions que l’élection a stimulées dans la société, qu’ils vont rassembler les citoyens. Il me semble que le profil de Petr Pavel, son style et sa façon d’être donnent l’espoir qu’il sera peut-être efficace et motivé pour jouer réellement ce rôle-là. »
Quel sera, d’après-vous, l’avenir politique d’Andrej Babiš après sa défaite, la deuxième en l'espace de peu de temps après celle aux législatives en octobre 2021 ?
« Il a perdu plus durement que ce à quoi l’on s'attendait. Néanmoins, dans son rôle de leader de l'opposition, il sort paradoxalement plutôt renforcé de cette élection. Andrej Babiš a démontré qu'il possédait un pouvoir d’attraction : le nombre de voix qu’il a obtenues (2,4 millions, ndlr) est quand même assez spectaculaire. Mais surtout : très loin, autour de lui, il n’y a personne. Il a réaffirmé sa domination sur l’espace politique de l’opposition et cela lui donne plutôt une bonne base pour jouer ce rôle jusqu’aux prochaines législatives. Je crois que ce sont précisément les élections législatives de 2025 qui décideront de la survie ou de la disparition politique d’Andrej Babiš. »