Petr Václav : « La nouvelle vague tchèque, un petit miracle qu’on n’arrive plus à s’expliquer »
Petr Václav est réalisateur. Installé en France depuis une dizaine d’années, il a à son actif de nombreux documentaires mais aussi plusieurs long-métrages. Son premier opus, Marian, remonte à 1997 et raconte l’histoire d’un jeune garçon rom qui cherche à se faire une place dans un monde hostile. Mais depuis cette époque, Petr Václav a réalisé de nombreux films, souvent récompensés lors de festivals. De passage à Karlovy Vary, début juillet, à l’occasion du Festival international du film, Radio Prague l’a rencontré.
C’est difficile ces allers-retours, entre la France et la République tchèque ? Les deux pays peuvent ne pas recevoir un même film de la même manière…
« C’est pour cette raison que quand j’ai déménagé à Paris, je ne retournais pas beaucoup en République tchèque. Je ne lisais plus en tchèque, je ne m’autorisais pas à penser en tchèque. Il a fallu faire une césure, une vraie rupture, pour pouvoir vraiment être ailleurs. Sinon pourquoi partir d’un pays qu’on connaît trop bien ? Oui, ces allers-retours ne sont pas évidents. Pendant des années, je ne les ai pas pratiqués, maintenant je suis plus à l’aise, et je tire le rideau à chaque fois que je suis dans un pays ou l’autre. »
Que pensez-vous du cinéma tchèque actuel ?
« Je le connais peu… »
Quand on pense au cinéma roumain actuel, très prisé, on pourrait se dire que c’est un « petit » pays de cinéma, ce n’est pas le cas. Les Tchèques se plaignent souvent d’être un petit pays, expliquent ainsi le fait que leur cinéma ne s’exporte pas. Vous pensez que c’est pour cette raison ou plutôt en raison du fond, de ce qui se dit ?« Je pense que la Roumanie est déjà un pays un peu plus exotique que la République tchèque, plus dur, plus grand. La République tchèque est plus petite. C’est une culture insulaire, les Tchèques se suffisent à eux-mêmes en quelque sorte, avec leur propre culture. Et ils ne parviennent pas à communiquer à l’extérieur les problèmes qui les concernent, les sentiments qui les touchent. D’où cela vient-il ? Je ne sais pas. Mais il est sûr que la Tchéquie est une île culturelle et émotionnelle… »
C’est un joli paradoxe pour un pays qui n’a pas de mer…
« Mais c’est un pays entouré par les montagnes. On traverse les Sudètes et la montagne. C’est aussi l’histoire qui fait cela : les Tchèques se sont sentis trahis en 1938 et dans le passé aussi. Toute l’histoire fait que les Tchèques se sont toujours définis contre les Allemands. Tout cela fait que c’est un pays où les gens se méfient de l’étranger : les Tchèques sont à la fois très fiers et complexés. Leur identité est très compliquée, elle est difficile à défendre. Du coup, il faut vivre ici pour comprendre tous les tenants et les aboutissants de la ‘tchéquité’ qui est curieuse. »
Mais pourquoi le cinéma tchécoslovaque marchait-il dans les années soixante ?
« C’est aussi parce que c’était un pays, certes dévasté par la Seconde guerre mondiale, puis par des années très dure de communisme, mais il y avait encore une certaine mémoire. La mémoire des gens était encore liée au monde d’avant-guerre. Je pense qu’il y avait encore une tradition de qualité dans l’éducation des gens et avec le dégel des années 1960, ils ont voulu se libérer, avaient une force incroyable. Et puis le cinéma n’était pas autant soumis à l’industrie à l’époque. Cela a provoqué un petit miracle qu’on n’arrive plus à s’expliquer. Nos générations qui ont grandi après 1968 ont connu vingt années de misère absolue. La police était plus discrète mais la peur régnait de manière assez insidieuse. Les gens avaient peur de parler, mais ils avaient de la nourriture en abondance, les variétés à la télévision, des embouteillages parce que nous avions de mauvaises voitures, mais des voitures quand même – on ne le sait pas assez en France, mais tout cela a produit une sorte de société de consommation totalitaire. Les gens n’étaient pas libres d’esprit, ils dormaient et se contentaient de peu. Et aujourd’hui les dégâts sont encore palpables aujourd’hui. »Est-ce que vous sentez cela en vous aussi et est-ce pour cela que vous êtes parti en France, pour vous en débarrasser ?
« C’est quelque chose que j’ai fui, c’est sûr et certain ! A l’époque on ne nous apprenait pas à penser. J’ai pour ma part suivi un peu des cours clandestins, c’était déjà bien, c’était mieux que l’école, mais sinon il n’y avait rien. Si vous supprimez la pensée libre dans les universités d’un pays, l’édition, au bout de quarante ans, cela fait des ravages. Les gens ne savent plus penser, argumenter. Le débat d’idées en République tchèque n’existe plus. »