Photo : Petra Šimková, l’art de la mise à nu
Artiste et diplômée de l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne en arts plastiques et sciences de l’art, Petra Šimková s’est étonnamment présentée au micro de RPI comme une ‘navigatrice’. Pourtant ce n’est pas de marine mais bien d’art qu’il s’agit, et plus précisément d’inspiration d’artistique.
Née à Prague, Petra Šimková a navigué de nombreuses années entre sa ville natale et Paris, où elle a fait ses études, sans oublier Bali, île indonésienne dont elle est tombée amoureuse et où elle vit la moitié du temps. Un triangle géographique qui a en partie influencé son art, les deux capitales européennes étant notamment mises à l’honneur dans son exposition qui se tient actuellement à l’Institut français de Prague.
« On peut dire que ce sont mes villes préférées, d’un côté parce que Prague est ma ville natale, et d’autre part puisque j’ai fait mes études et ai vécu pendant vingt ans à Paris. C’est une ville qui est très importante pour moi. Cela fait très longtemps que je rêvais d’être exposée ici, puisque c’est grâce à l’Institut français que j’ai pu effectuer mes études en France. C’est vraiment magique que ce rêve s’accomplisse. »C’est justement dans un univers magique et onirique que l’exposition de Petra nous invite à nous immerger. Les photographies urbaines impressionnistes donnant vie au champ de Mars, à la place Venceslas ou encore au jardin des Tuileries côtoient en effet de larges techniques mixtes sur toile, abstraites et éclatantes de couleurs. Mais le caractère fantasmagorique du travail de Petra tient surtout à ‘Captive insaisissable’, série de photographies de son corps nu et retravaillées numériquement pour un effet des plus… saisissants.
« Je travaille autour de trois thèmes principaux. Il y a des autoportraits, que j’ai commencé à réaliser en 2000 dans le cadre de mes études à la Sorbonne. J’expose aussi des tableaux abstraits, ainsi que des photographies assez récentes prises en ville et en pauses longues, parce que je trouve que le sentiment que l’on peut éprouver observer ces différentes scènes urbaines est difficile à exprimer en une seule prise de vue. »Contrairement à la photographie habituelle, Petra Šimková ne fige pas l’instant mais l’anime, au moyen de photographies en poses longues. Ses clichés, travaillés a posteriori selon la méthode du photomontage numérique, visent ainsi à restituer fidèlement les sensations et émotions complexes entourant la scène capturée. Certaines compositions, réalisées grâce à la superposition de photographies, rappellent la transparence et la minutie à l’œuvre dans la confection de vitraux, qu’elle avait étudiée au Lycée des Arts Industriels du Verre dans la région de Liberec, puis de nouveau à Paris.
« Sur la technique, je veux garder un peu de secret et ne pas tout dévoiler, mais ce sont en général des photographies avec des prises longues, de quelques secondes, ou bien des photographies superposées, comme des collages. C’est souvent un peu abstrait et j’appelle cela des ‘photos-tableaux’ parce que ce ne sont ni des photos, ni des tableaux, et je repeins parfois dessus, donc ça dépasse les frontières de la photographie. »
Un avis que rejoint Terezie Zemánková, co-auteure de ‘Sixième sens’, l’ouvrage qui répertorie et explore les travaux de Petra Šimková. La journaliste et historienne de l’art y qualifie le travail de cette dernière de ‘photo auto-psychanalyse’. Le médium de la photographie s’impose comme un sixième sens chez l’artiste tchèque, et constitue pour elle un vecteur d’expression fondamental.
« La France m’a permis de m’exprimer à travers la photographie. C’est en France que j’ai commencé à faire des photos floues, à gratter les images, donc c’était vraiment la liberté. La liberté dans mes travaux. »Une liberté qui émane par-dessus tout de ses autoportraits, où ce n’est plus seulement le corps de l’artiste mais celui d’une femme décomplexée qui est dupliqué. Les silhouettes féminines floutées n’ont souvent ni visage ni vêtements, et se soustraient ainsi au regard du spectateur qui chercherait à reconstituer les contours de ces corps, à les réifier en objets de contemplation.
‘Captive insaisissable’ : le titre de cette série de photographies prend tout son sens. Capturées par l’objectif, les formes précises de ces corps nous échapperont toujours un peu. Ce n’est pas seulement au regard du spectateur que les autoportraits de Petra font appel, mais à leurs sensations intérieures.
« Cette série a commencé grâce à l’un des sujets de la faculté, qui était justement ‘Captif et insaisissable’. Au départ, je n’ai pas vraiment voulu me photographier moi-même. Je voulais photographier la lumière. Petit à petit, mon corps a commencé à se dévoiler sur les images et je me suis dit que ce n’était pas mal de travailler sur soi, parce qu’on se voit tous les jours, la nuit aussi. On se connaît bien et je trouve que grâce à ces photos on peut créer un autre personnage. C’est pour cela que le fait que ces photos soient exposées dans cette galerie ne me dérange pas, parce que j’ai l’impression d’avoir créé une autre Petra. J’ai créé un autre personnage. »Ces corps pourraient être ceux de n’importe quelle femme, ou bien celui de toutes à la fois. Peut-être faut-il y voir une représentation de la féminité ? Thème central de son œuvre, et ce depuis la production de son mémoire de maîtrise, l’autoportrait permet à Petra un véritable travail sur elle-même, dans les deux sens du terme.
En 2013, elle interrompt ce travail figuratif pour se consacrer à l’abstraction et à la nature, et réalise une série de peintures photographiques qui reflètent ses inspirations et états d’âmes quotidiens. Elle a intitulé cette série ‘Mon monde’, en référence à la dimension extrêmement personnelle et affective de son art. Un monde que vous pouvez découvrir dans la salle d’exposition de l’Institut français jusqu’au 9 février prochain.