FOMA : la vie en noir et blanc des photographes classiques et des hipsters

Si on voit plus de perches à selfie que d’appareils photo classiques dans les lieux touristiques de Prague et du reste du monde, la photographie argentique n’a pas dit son dernier mot. En Tchéquie, FOMA est là pour le prouver : l’entreprise fabrique des pellicules noir et blanc depuis plus d’un siècle, et elle n’a pas l’intention de s’arrêter – même si elle a dû recentrer et diversifier son activité.

Qui a dit que la photographie argentique noir et blanc appartenait au passé ? Certainement pas l’entreprise FOMA, qui fabrique depuis 1921 des produits photographiques à Hradec Králové, au nord-est de la Bohême. Son représentant Vítězslav Krejčí voit même d’un très bon œil la tendance actuelle :

Photo: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.

« La photographie argentique est loin d’être morte ! Car actuellement, des générations qui n’ont pas connu cette technique de photographie entrent dans le jeu. Ce sont des personnes attirées par la magie de la chambre noire, qui ont envie de prendre des photos avec un appareil argentique et d’essayer de développer une pellicule par eux-mêmes. On trouve encore dans le monde beaucoup d’appareils argentiques, et ils sont relativement faciles à réparer puisqu’ils sont conçus sur une base mécanique. De plus, de nouveaux appareils de ce type sont fabriqués. Cette tendance vintage s’est développée dans le monde entier. Et FOMA est parfaitement en mesure d’exporter pellicules et papier argentique dans tous les pays où l’on constate un regain d’intérêt pour le matériel de photo noir et blanc, sur tous les continents. »

Photo: FOMA Bohemia

L’alchimie de la chambre noire

Les associés de Fotochema Evžen Schier,  Vilém Porkert,  Adolf Dvořák,   Vilém Porkert jeune et Josef Porkert jeune | Photo: FOMA Bohemia

Pour le plus grand bonheur des hipsters du monde entier à qui le Polaroid semble trop primitif, FOMA présente donc aujourd’hui ses produits sur un site en six langues (dont le français) – et les exporte dans plus de 80 pays. Mais c’est bel et bien à Prague qu’a commencé, en 1919, l’histoire de ce qui serait – un siècle plus tard – le deuxième fabricant au monde de pellicules argentiques noir et blanc. A Prague – ou plus précisément à Nusle, qui n’était alors qu’une commune aux abords de la capitale de la République tchécoslovaque nouvellement fondée. En décembre 1919, l’ingénieur chimiste et pionnier tchèque de la photographie Evžen Schier y fonde donc une petite fabrique de plaques photographiques et diapositives, vendues sous la marque Ibis. Mais l’ambitieux ingénieur Schier s’y trouve vite à l’étroit. Il parvient à convaincre trois entrepreneurs industriels de s’associer à son projet, et l’entreprise déménage, en 1921, à Hradec Kálové.

Pourquoi justement cette ville, située à une centaine de kilomètres à l’est de Prague ? Parce qu’elle était alors synonyme de modernité et de progressisme en Tchécoslovaquie. Et Schier suit le mouvement : les locaux qu’il fait construire sur le terrain acquis juste à côté de la gare se distinguent par leur taille et la modernité des aménagements et équipements, réalisés pour la plupart sur mesure : outre diverses machines sans précédent – dont une de 16 m de long pour nettoyer le verre –, il fait également installer… le chauffage central dans toutes les pièces. Pour marquer ce déménagement et ce changement d’échelle de production, l’entreprise Ibis est rebaptisée Fotochema.

Fotochema dans les années 1930 | Source: FOMA Bohemia

Les débuts sont néanmoins difficiles : jusqu’en 1927, Fotochema est déficitaire, et menacée de redressement judiciaire. Heureusement que les ouvriers sont enthousiastes : conscients de participer au développement d’une technologie exceptionnelle, ils ne rechignent pas aux heures supplémentaires – voire impayées.

Des employés de Fotochema en 1922 | Photo: FOMA Bohemia

A la fin des années 1920, les produits Fotochema se font enfin connaître à l’étranger, et l’entreprise commence à exporter en Allemagne, en Pologne, en Autriche et en Roumanie. L’entreprise devient bénéficiaire et peut s’agrandir. En 1931, dix ans après son installation à Hradec Králové, c’est dans de tout nouveaux bâtiments que Fotochema commence à produire du papier photo noir et blanc ainsi que des pellicules en rouleau. La qualité de ces produits est récompensée par des médailles d’or à trois expositions universelles dans les années 1930 : à Bruxelles, Paris et Ljubljana.

Source: FOMA Bohemia

Age d’or, monopole et production stratégique

Source: FOMA Bohemia

Les années 1930 marquent d’ailleurs l’âge d’or de Fotochema, et en témoigne le logo de l’époque : un jeune homme brandissant un rameau de laurier sur fond de soleil resplendissant. Un logo remplacé en 1937 par celui, épuré, que l’on connaît aujourd’hui encore : à l’intérieur d’un cercle symbolisant la planète Terre, l’abréviation du nom de l’entreprise en FOMA dans une police qui a défié les modes.

Sous le protectorat de Bohême-Moravie, l’importance de l’entreprise n’échappe pas aux autorités nazies, et Fotochema se retrouve intégrée à un groupement de fabricants de matériel photographique, dont la gestion est centralisée. La demande augmente, et Fotochema réorganise le travail en deux équipes : celle travaillant pendant la journée produit pour l’entreprise Langebartels Berlin tandis que la production de l’équipe de nuit porte la marque FOMA.

Photo: FOMA Bohemia

Après la prise de pouvoir par le Parti communiste tchécoslovaque, en février 1948, l’usine est nationalisée, en même temps que deux entreprises concurrentes, Neobrom Brno et Ako Český Brod. Naît alors un conglomérat public composé de ces entreprises de photographie, et le fondateur de Fotochema, Evžen Schier, est renvoyé : à sa place, est nommé directeur celui qui était jusque-là le concierge de l’usine.

La publication 'FOMA centenaire' | Photo repro: FOMA stoletá/FOMA

Si Fotochema se retrouve alors isolée des marchés des pays occidentaux, elle devient néanmoins l’unique fabricant de produits photographiques – pellicules, papier et produits chimiques – pour tous les pays du bloc de l’Est. De plus, en 1949, la gamme de produits fabriqués s’élargit pour inclure des produits d’importance stratégique : des films radiographiques, médicaux et techniques.

En novembre 1950, une explosion provoque un incendie qui ravage intégralement la halle de production. Un accident qui conduit Fotochema à remplacer les produits inflammables nécessaires à la production par des produits moins dangereux.

La galerie Fotochema, une institution

L’ancienne galerie Fotochema sur la place Jungmann | Photo: Jindřich Nosek,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 4.0 DEED

Fotochema tenait à entretenir une relation directe avec les photographes et autres artistes : en 1957, l’entreprise ouvre donc – avec une exposition de photojournalisme – une salle d’exposition place Jungmann, dans le premier arrondissement de Prague. Première galerie de photographie en Europe centrale, elle est restée en activité jusqu’en 1991.

Photo: Andshel,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0

Outre cette galerie, les photographes amateurs qui ont grandi dans la Tchécoslovaquie communiste se souviennent peut-être des papiers couleur Fomacolor, dont Fotochema a lancé la production en 1958. Des papiers dont la qualité était telle qu’ils sont parvenus à évincer du marché des Etats communistes ceux de la marque est-allemande ORWO. A partir de 1971, ce sont les films négatifs couleur Fomachrom qui sont devenus le produit le plus populaire de la marque – et qui le sont restés pendant de longues années.

Retour aux sources de la photographie

Photo: Artem Svetlov,  Wikimedia Commons,  CC BY 2.0

Avec la chute du régime communiste, non seulement Fotochema a dû encaisser la perte de pouvoir d’achat de ses clients est-européens, mais également faire face à la concurrence du reste du monde. Ses produits de photo couleur ne faisant pas le poids face à ceux des géants Kodak, Fujifilm ou Agfa, pour survivre, l’entreprise décide de se recentrer sur le noir et blanc – avec les films Fomapan ainsi que les papiers Fomabrom et Fomaspeed – tout en élargissant sa production à d’autres domaines… Devenue la SARL FOMA Bohemia s.r.o. en 1995, elle propose aujourd’hui beaucoup plus que du matériel photographique, comme l’explique Vítězslav Krejčí :

L’usine FOMA à Hradec Králové | Photo: Google Maps

« Nous produisons les produits photographiques photosensibles noir et blanc que tout le monde connaît, qui permettent d’obtenir des clichés à partir de films négatifs noir et blanc ainsi que de papiers noir et blanc. Nous produisons également deux types de films radiologiques, les premiers pour le contrôle non destructif, à savoir le contrôle de l’état d’intégrité de pièces et composants, les seconds pour l’odontologie, c’est-à-dire qu’ils sont utilisés par les dentistes pour contrôler la cavité buccale des patients. Par ailleurs, nous produisons des fiches dactyloscopiques, traçologiques et autres produits spécialisés pour la police criminelle. Enfin, nous produisons des bandes de tachygraphie pour le contrôle de la vitesse des locomotives. »

Jan Saudek | Photo: Šárka Ševčíková,  ČRo

Des produits spécialisés peu connus du grand public, qui associe a priori plutôt la marque FOMA à l’alchimie de la chambre noire, un loisir relativement revenu à la mode. Ou, d’ailleurs, jamais passé de mode, comme pour le photographe Jan Saudek, qui expliquait en 2009 à la Télévision tchèque que le papier photographique FOMA l’accompagnait « depuis ses études de photographie », ce qui lui conférait à ses yeux « une valeur sentimentale » en plus de sa qualité.

L’exposition FOMA au Musée technique national | Photo: Ministère de la Culture

FOMA et les autres

FotoŠkoda | Photo: VitVit,  Wikimedia Commons,  CC BY 3.0

Si ce retour aux origines de l’immortalisation des images sur papier vous a donné envie de vous mettre – ou de vous remettre – à la photographie classique, sachez qu’à Prague, les produits FOMA et d’autres marques sont disponibles au centre multiservices Fotoškoda,  véritable temple de la photographie installé depuis trente ans à deux pas de la place Venceslas, là où le photographe Jan Langhans avait ouvert, dès 1880, son atelier. A moins que vous ne préfériez aller faire un tour dans l’intemporelle boutique de photographie Jan Pazdera qui, juste de l’autre côté de la rue Vodičkova, vend toutes sortes d’appareils et matériel de photo de toutes les époques.

10
50.220745000000
15.815238600000
default
50.220745000000
15.815238600000
mots clefs:
lancer la lecture

En relation

  • CZECH MADE

    Dans sa nouvelle série, Radio Prague International vous présente quelques-unes de ces inventions tchèques qui ont changé le monde.