Pierre-Yves Le Borgn’ : "l'UE, l'échelon pertinent d'une politique de demande"
Au début du mois de mars, Pierre-Yves Le Borgn’, le premier député socialiste de la septième circonscription des Français de l’étranger, vaste espace européen dont fait partie la République tchèque, effectuait une visite à Prague. A cette occasion, il avait accepté de répondre aux questions de Radio Prague, qui portaient notamment sur cette innovation que constitue l'élection de parlementaires représentants les Français de l’étranger. Alors que les socialistes viennent de subir un cinglant désaveu lors du premier tour des élections municipales, la conversation avait également porté sur la prochaine échéance électorale importante de cette année 2014, les élections européennes, qui se dérouleront du 22 au 25 mais dans les 28 Etats membres de l’UE. Voici un extrait de cet entretien avec Pierre-Yves Le Borgn’.
« C’est très difficile à dire. Dans la victoire de 2012, la mienne ici, mais celle d’autres députés et puis celle de François Hollande, il y avait une dynamique politique qui, à l’évidence, n’est plus la même aujourd’hui. Et je pense qu’elle jouait en faveur de candidats comme moi qui portaient l’étiquette du Parti socialiste et aussi d’Europe Ecologie Les Verts, dont je suis proche. Peut-être il y-a-t-il aussi dans la sociologie des Français d’Europe centrale une attente plus particulière sur les sujets touchant aux questions sociales et environnementales. Je m’en étais un peu aperçu en campagne électorale parce que j’ai fait plus de cinquante réunions publiques en 2012. Mais c’est vrai que le résultat m’avait comblé. »
L’abstention avait tout de même atteint 76%. Comment l’expliquer ? Les Français de l’étranger se désintéressent-ils de la vie politique en France ?
« Je crois que dans ce taux d’abstention important, il y avait d’abord une forme de surprise et pour certains compatriotes d’incompréhension à l’égard de cette innovation institutionnelle et même constitutionnelle qu’avait été la création de onze sièges des députés des Français de l’étranger. La relation qu’avaient à l’origine les Français de l’étranger avec leur député, c’était d’être inscrit dans une commune de France, et soit de s’y rendre, ce qui était assez rare quand on vit loin, ou de trouver quelqu’un qui votait par procuration. L’idée qu’on puisse de l’étranger élire ses propres députés était tellement originale et nouvelle que beaucoup de gens n’y ont sans doute même pas cru.
Au-delà, il se peut aussi qu’ai joué un rôle l’idée que, l’élection présidentielle ayant conduit à l’élection de François Hollande, les élections législatives étaient d’un moindre enjeu. La grande question sera l’élection de 2017 et le taux de participation de 2017, quel que soit l’élu de 2017. »
Quelle homogénéité y a-t-il à cette septième circonscription des Français de l’étranger qui comprend seize pays, des Balkans jusqu’à l’Allemagne ? Comment concevez-vous cette aire géographique ?
« Je la conçois comme une aire européenne, avec des sujets qui sont communs. Même si avec l’Allemagne, qui pèse 77% des Français de la circonscription, et le Monténégro il peut y avoir de grandes différences. Mais nous avons en commun d’être sur des espaces européens, de vivre dans des pays européens, pour une majorité d’entre eux déjà dans l’Union européenne et pour quinze des seize dans le ressort du Conseil de l’Europe. Donc nous avons des thèmes, des sujets communs et des aires d’arbitrage communes. Je veux voir cette logique, cette homogénéité, plutôt que simplement le résultat d’un exercice de coups de ciseaux, qui certes a aussi existé, mais éclipserait la dimension européenne de cette circonscription.
Une dimension dont je me sers aussi au demeurant. J’ai beaucoup de sujets qui touchent à l’Europe, par exemple en ce moment un cas de discrimination à la taxation sur les retraites complémentaires françaises en Allemagne. Je travaille en droit européen et j’ai saisi la Commission européenne. Il est clair que l’identification européenne de cette circonscription y contribue beaucoup. »Il y a des échéances électorales assez importantes, notamment les élections européennes au mois de mai qui ont un certain sens pour vous qui êtes député de cette circonscription. Comment vous voyez l’action de l’Union européenne et qu’attendez-vous de ces élections ?
« J’espère d’abord un taux de participation élevé. Les élections européennes traditionnellement sont vécues comme des élections de mi-mandat, intermédiaires, avec tous les cinq ans un taux de participation réduit. Alors que la décision européenne d’une manière ou d’une autre influence probablement de l’ordre de 70 à 80% de nos décisions dans nos Parlements nationaux. Cela vous montre le degré d’imbrication du sujet européen dans la sphère nationale. Et je voudrais que nos compatriotes, y compris à l’étranger où ils peuvent désormais voter, soit dans le pays de résidence, soit depuis le consulat vers la France et en l’occurrence la région Ile-de-France, participent et fassent entendre leur voix.
Ensuite en termes de résultats aux élections européennes, représentant le PS, j’aimerais une majorité, en tout cas un groupe parlementaire socialiste fort, afin de pouvoir, non réorienter – c’est un terme que je n’aime pas parce que cela voudrait que l’on serait planté depuis 50 ans – mais rééquilibrer certaines politiques européennes en évitant peut-être d’en faire de trop dans le domaine de l’austérité pour l’austérité ou en abandonnant pas l’ambition industrielle de l’UE, voire même en revendiquant parfois la capacité de se défendre au plan douanier. Après tout, il y a une politique douanière commune de l’UE et un tarif douanier commun qui est un instrument utile de politique économique comme de politique de la concurrence où souvent, ces 20-30 dernières années, l’UE a été en retrait. »
Pourtant le groupe du parti socialiste fait campagne pour cette réorientation et contre les politiques d’austérité en Europe alors que c’est la politique que mène François Hollande en France ?
« François Hollande ne mène pas une politique d’austérité. Il mène une politique de rigueur, c’est un peu différent. Les termes ont un sens pour moi. Une politique d’austérité pour moi, c’est le Portugal par exemple où vous n’avez malheureusement rien, une économie qui tourne à vide et qui part toujours en soustractions. Le président de la République mène une politique de rigueur, de rééquilibrage des comptes publiques, courageuse parce qu’il n’est pas facile de réduire les dépenses, les déficits et l’endettement. Cela amène à des choix douloureux.Il n’a d’ailleurs pas besoin de l’Europe pour la mener. Il peut aussi choisir tout seul de la mener, ce qu’il a fait. Mais ces politiques de rigueur et de gestion saine de nos finances publiques déséquilibrées pour la plupart des pays ne doit pas s’interdire à l’échelle de l’UE un effort en faveur de la consommation intérieure. C’est l’échelon pertinent d’une politique de demande. Nous sommes dans une économie ouverte – je le dis à beaucoup de mes amis du PS qui critiquent le « pacte de responsabilité », dont je suis partisan -, dans une économie ouverte, vous ne pouvez pas relancer par la consommation parce que dans l’état de délabrement de l’industrie française, on va enrichir nos concurrents et on ne va pas en bénéficier nous-mêmes.
Cela explique pourquoi nous menons une politique de l’offre visant à faire renaître des éléments ou des pans de l’industrie française, à réduire le « coût du travail », à provoquer un « choc de compétitivité », de « simplification ». Je suis membre de la mission de l’Assemblée nationale sur la simplification administrative. Tout cela, c’est pour faciliter la création en tant que telle. Mais à l’échelle européenne, nous ne pouvons pas nous interdire d’avoir une politique de relance d’un minimum de consommation intérieure et en même temps d’essayer de se protéger contre une concurrence qu’on peut estimer déloyale.
Je viens du secteur des panneaux solaires. C’est un secteur qui a connu un boom extraordinaire jusqu’à la fin de la première décennie du XXIe siècle et ensuite une descente aux enfers vertigineuses en raison de la concurrence de panneaux chinois. Or il s’avère aujourd’hui, trois ans à peu près après la crise, que cette concurrence obéissait à une logique de dumping financier, social et environnemental. Mais l’UE a mis deux ans à accepter l’idée même de se défendre. Quand elle est passée à l’acte et a voté des lois anti-dumping, à peu près tout le monde était mort sur le marché. Donc si nous ne sommes pas plus réactifs, à quoi ça sert d’avoir des instruments de défense ? Je voudrais imaginer que cette réflexion à l’approche du débat européen touche à notre volonté de nous protéger si nécessaire. Je ne suis en rien protectionniste et je reconnais la volonté qu’il y a à faire du commerce et le travail de l’OMC dans ce cadre, mais nous devons pouvoir nous défendre contre l’injustice. »
Ces politiques de l’offre ne sont-elles celles qui sont menées depuis la moitié des années 1980 et qui nous ont menés à la crise présente ?
« Non, je vais vous répondre de façon très brutale : est-ce que le président Sarkozy menait une politique de l’offre ? Non, le président Sarkozy et le deuxième mandat de Jacques Chirac, pendant dix ans, ont gaspillé des marges budgétaires, et à certains moments également une croissance que nous n’avons malheureusement plus, pour mettre à l’endroit l’économie française. On a perdu en dix ans 750 000 emplois dans l’industrie manufacturière en France. C’est le signe que quelque chose n’allait pas. Deuxième signe encore plus spontané : le déficit du commerce extérieur qui atteint des niveaux inégalés. Cela veut dire que l’offre française n’est pas en adéquation avec la demande internationale. »