Plongée dans la période la plus sombre de l’histoire de Prague avec le Livre tchèque de l’année
Le prix Magnesia Litera reste sans aucun doute la distinction littéraire la plus prestigieuse qu’un auteur tchèque puisse obtenir. Chaque année, ces prix sont décernés dans plusieurs catégories, et le jury choisit également le Livre de l’année pour distinguer le meilleur ouvrage toutes catégories confondues. Ces dernières années, cette espèce de Grand prix semblait réservée aux romans. Cette fois, cependant, le jury a couronné l’ouvrage d’une catégorie bien différente. Le livre « Le Guide de Prague sous le Protectorat allemand » (Průvodce protektorátní Prahou) retrace pas à pas l’histoire de Prague entre 1939 et 1945 et amène le lecteur dans les endroits précis où les différents événements de la grande et de la petite histoire se sont produits. L’ambition de son auteur, Jiří Padevět, a été uniquement de rassembler les faits sans y ajouter la moindre subjectivité littéraire. « Je ne suis pas un écrivain, » affirme-t-il.
« C’est un thème personnel, parce que je pense que notre mémoire historique ne comprend pas seulement la période qui débute avec notre naissance mais s’étend encore à la génération de nos parents. Je suis né quelques années après la fin de la Deuxième Guerre mondiale et ce sont les membres de ma famille qui m’ont fait connaître intensément l’histoire de la guerre. Mon oncle est mort dans le camp de concentration de Mauthausen. »
Jiří Padevět est un géomètre de métier devenu éditeur. Aujourd’hui, il est le directeur de la maison d’édition Academia, fondée en 1953 en tant qu’établissement de l’Académie des sciences tchécoslovaque. Il n’est pas un historien et ne se considère que comme un amateur d'histoire ayant écrit un guide. Il refuse également de considérer son livre comme une œuvre littéraire :
« Je ne suis pas un écrivain. Mes livres ne sont ni romans, ni contes, ni poèmes. Je ne suis que celui qui compose un ensemble à partir de divers éléments. Mes livres ne sont que des ensembles d’informations. Mon livre sur Prague sous le Protectorat a peut-être l’avantage ou le désavantage que je m’abstiens de juger les événements. Je dis seulement : ‘ C’est à cet endroit que tel ou tel événement s’est produit en présence de telle ou telle personne’. »S’appuyant sur d’innombrables photos historiques, dont certaines encore inédites, l’auteur guide son lecteur à travers les rues, les places et les maisons de Prague qui ont été le théâtre des grands et des petits événements de l’histoire de l’occupation. Il l’amène dans les institutions et les palais où ont été prises les décisions importantes pour la vie ou la mort de millions d’habitants, mais aussi dans de modestes appartements où se cachaient les résistants. Il évoque la vie quotidienne sous l’occupation et ne néglige pas non plus la vie culturelle qui existait malgré l’oppression nazie. Il s’arrête au Château de Prague et au palais Černín pour répertorier les activités du gouvernement, du président Emil Hácha et des protecteurs de Bohême-Moravie. Il entre dans la prison du quartier de Pankrác et dans le palais Petschek où les nazis ont torturé à mort de nombreux résistants. Il évoque le quartier juif dont les habitants ont été progressivement déportés dans les camps de concentration et qui a été transformé en un musée de la race disparue. Il se rend aussi dans les studios de cinéma de Barrandov placés sous l’étroite surveillance des autorités d’occupation, mais qui n’ont jamais cessé pour autant de produire de nombreux films. Il découvre dans chaque rue ou presque, à chaque place, les séquelles de cette sombre période. Faire ressurgir de l’oubli ces innombrables souvenirs du temps révolu a été un travail de fourmi :
« Ma principale source a été, du moins au début, ma bibliothèque personnelle. J’ai donc beaucoup puisé dans la littérature. Ensuite, j’ai été obligé de chercher dans les archives. J’ai beaucoup fouillé dans les Archives nationales. Et j’ai trouvé également de nombreuses informations dans les Archives des forces de sécurité, parce que, dans les années 1960, on a rouvert l’enquête sur beaucoup de crimes nazis et les documents sur cette période ont été conservés. Par contre, j’ai relativement peu interrogé les témoins de ces événements, parce qu’il n’y en a plus beaucoup, et puis je me suis aperçu que, souvent, les souvenirs de deux témoins oculaires du même événement sont assez différents. »Dans son livre, Jiří Padevět se lance aussi sur les traces du mouvement de la résistance, sur la résurrection de Prague en 1945 et sur l’attentat contre le vice-protecteur de Bohême-Moravie Reinhard Heydrich. L’attentat organisé en mai 1942 par un groupe de parachutistes tchécoslovaques a été suivi de cruelles représailles et des massacres des habitants des villages de Lidice et de Ležáky. Jiří Padevět observe une stricte objectivité et se garde de donner son opinion sur ces événements, mais cela ne l’empêche pas de considérer l’attentat, malgré ses conséquences tragiques, comme un événement majeur de l’histoire de l’occupation :
« C’est un des plus grands actes de résistance de la Deuxième Guerre mondiale dans toute l’Europe. Nous avons liquidé le troisième homme le plus puissant du Troisième Reich. A mon avis, cet attentat a eu une grande signification. Je le dis et je le dirai toujours. Si Heydrich était resté en vie (je ne suis pas historien et je peux donc me permettre ce conditionnel), si l’attentat n’avait pas eu lieu, Heydrich aurait fait disparaître tout le peuple tchèque. »Pendant presque quatre ans, Jiří Padevět est resté plongé dans l’histoire de l’occupation, ce qui l’a amené, comme il l’affirme, à la limite de la crise psychique. C’est pour y échapper qu’il a décidé de mettre fin à son travail. Sans cela, il aurait pu continuer encore longtemps en découvrant toujours de nouvelles informations intéressantes et parfois surprenantes sur l’histoire du protectorat :
« J’ai été surpris par la fréquence de l’héroïsme d’un grand nombre de personnes dont on ne parle plus et qui sont complètement oubliées aujourd’hui. Nous ne connaissons que quelques noms. Et d’autre part, j’ai été surpris également par la fréquence des cas de collaboration pour des raisons financières ou idéologiques, souvent pour les deux à la fois. Je ne partage cependant pas l’idée très répandue aujourd’hui selon laquelle les Tchèques auraient été les plus grands collaborateurs. Je crois que c’est complètement faux. Dans la société, il y a à chaque époque le même pourcentage d’individus méprisables et de personnes courageuses et braves, mais cela ne se manifeste que dans les situations extrêmes. »