Pour qui ne sonne pas le glas: le vol des cloches tchèques par les nazis

Photo: Archives du Musée de la ville de Prague

Il y a 80 ans, le 15 mars 1939, les nazis arrivaient à Prague et faisaient de la Bohême et de la Moravie leur « Protektorát ». Cela impliquait, entre autres, le pillage des ressources et la réquisition des moyens de production, d’abord pour la fabrication d’armes et de munitions. C’est dans le même but que la quasi-totalité des cloches des églises du pays ont été dérobées – un vol dont on connaît davantage de détails aujourd’hui.

Photo: Archives du Musée de la ville de Prague
87% des clochers de Bohême et 94% des clochers de Moravie ont été spoliés entre 1939 et 1945. Ces chiffres reflètent l’ampleur du pillage. Sur plusieurs photos prises à Prague, on peut voir des centaines de cloches alignées avant d’être transportées vers l’Allemagne, notamment sur un cliché pris sur les rives de la Vltava dans le quartier de Maníny.

Avant d’être embarquées sur des péniches, les cloches étaient minutieusement répertoriées. Radek Lunga est un expert en campanologie :

« Les cloches de catégorie A, B et C – les moins anciennes – étaient envoyées vers l’Allemagne, même si c’est vrai que, dans ce dépôt de Maníny, un gardien et d’autres personnes ont fait en sorte de ralentir les procédures pour ne pas qu’elles partent vers Hambourg. Les cloches de catégorie D pouvaient dater du XVIe siècle et n’étaient pas réquisitionnées. Mais les plus récentes, de catégorie A, étaient directement détruites pour être recyclées. »

Les cloches étaient classifiées par les autorités religieuses locales elles-mêmes, qui n’avaient le droit d’en conserver qu’une seule – la plus petite. Peut-être que là aussi, l’ouverture annoncée des archives de cette période par le Vatican l’année prochaine pourra permettre de retrouver certains documents concernant cette spoliation particulière, qui a concerné aussi d’autres statues et monuments en bronze.

Photo: Archives du Musée de la ville de Prague
Radek Lunga précise en tout cas qu’entre 13 000 et 14 000 cloches des Pays tchèques ont été fondues pour fabriquer des armes, et que très peu ont pu être récupérées après-guerre :

« Les cloches du Protectorat ont été acheminées vers Hambourg mais aussi vers la ville de Lünen, d’où les Tchèques ont pu en récupérer quelques-unes après-guerre. En 1946, un train de neuf wagons a permis de ramener 435 de nos cloches vers Prague. Mais on n’a jamais revu celles parties vers Hambourg. »

Plus d’un demi-siècle après les faits, après la chute du communisme, des centaines de demandes d’indemnisation ont été déposées concernant le vol de ces cloches – et bon nombre d’entre elles ont été prises en compte dans le cadre des accords de compensation passés entre Berlin et Prague à la fin des années 1990 et au début des années 2000.

Photo: Archives du Musée de la ville de Prague
A cette époque, Václav Kotásek faisait le constat suivant dans le diocèse de la région d’Opava-Ostrava, en Moravie-Silésie, où il est en charge du patrimoine:

« Une partie de nos églises se trouve sur le territoire de l’ancien Protectorat ; l’autre dans les Sudètes. La situation est bien différente dans ces deux zones. Les églises du territoire hors Sudètes ont déjà remplacé leurs cloches, en ont fondu de nouvelles ou sont en train de le faire. Pour ce qui est des églises dans les zones frontalières, donc dans les anciennes Sudètes, les clochers sont là-bas restés vides. Et l’argent devra d’abord servir à sauver les églises elles-mêmes. La cloche est un luxe dans ces coins-là… »

Les Pays tchèques n’ont pas été les seuls concernés par ce pillage de cloches destinées à être fondues pour en faire des armes – les nazis ont fait de même dans d’autres pays qu’ils ont occupés, notamment en Belgique et en France.

Photo: Archives du Musée de la ville de Prague