« Pour une agence de notation européenne pour concurrencer les agences américaines »

Euro

Entretien aujourd'hui avec le Français d’origine tchèque Constantin Kinsky, qui dirige la branche tchèque du cabinet de consultants Roland Berger. Un cabinet qui a récemment proposé que soit fondée une agence européenne de notation indépendante pour concurrencer les trois agences américaines dont le rôle dans la crise est pointé du doigt.

Bonjour Constantin Kinsky, sentez-vous chez les Tchèques une peur de l’effet domino avec cette crise grecque ?

« Non pas du tout, le système bancaire tchèque s’est restructuré à la fin des années 1990 et au début des années 2000, il est extrêmement solide. La crainte est davantage similaire à celle de la population allemande, et on cherche à déterminer s’il est vraiment raisonnable que le contribuable tchèque aide d’autres pays à sortir de la crise alors que la perception est que ces pays sont entrés dans la crise de leur fait. Donc il y a un débat entre la nécessité d’une certaine solidarité et la nécessité de respecter l’orthodoxie budgétaire, qui est une caractéristique de la tradition financière de ce pays. »

Un ancien ministre tchèque des Finances, Pavel Mertlík, a très récemment indiqué que selon lui la zone euro allait faire place à une nouvelle zone euro en dehors de laquelle resteraient notamment les pays du pourtour méditerranéen et le Portugal…

« Oui, cela revient à ce que je disais au début ; il y a un certain nombre de postures qui sont prises dans la négociation actuelle par un certain nombre de pays qui cherchent à promouvoir une orthodoxie budgétaire ferme. La tradition tchèque est une orthodoxie budgétaire totale. Je crois qu’on va s’orienter vers un débat plutôt entre Keynes et les classiques, à savoir instituer une discipline budgétaire dynamique, qui va nous permettre de relancer les économies par la dette en cas de récession, mais qui assure que quand les temps deviennent meilleurs on revienne à des équilibres budgétaires plus sains. C’est ce débat-là qui est en cours en Europe et la voix tchèque est évidemment une voix qui promeut l’orthodoxie budgétaire dans ce concert. »

Est-ce une bonne chose que la République tchèque ne fasse pas partie de la zone euro par les temps qui courent ?

Photo: Štěpánka Budková
« Difficile à dire, parce qu’on n’a pas vraiment de comparaisons, ou alors les comparaisons sont incomplètes. La Slovaquie en a souffert au départ mais s’en sort maintenant plutôt bien. La stabilité est une chose que les Tchèques aiment bien et la difficulté aujourd’hui est de faire comprendre que l’euro est un facteur de stabilité et que les problèmes actuels n’ont rien à voir avec l’euro mais avec les politiques budgétaires, avec l’explosion des bulles financières, et que chacun des pays a des situations différentes. La Grèce a connu un certain nombre d’excès incontrôlés alors que par exemple l’Espagne avait des finances publiques extrêmement saines et s’est retrouvée prise à la gorge par une crise de la dette privée. Cette crise est remontée dans les comptes publics par l’intermédiaire des banques du fait de l’effondrement du marché hypothécaire. Donc chaque cas est différent et il faut revenir à l’analyse des fondamentaux. La solidarité monétaire européenne est une chose pour la stabilité mais elle implique une certaine cohérence des politiques qui n’est pas encore en place. »

En tout cas peut-on dire que cela ne va pas accélérer l’entrée de la République tchèque dans la zone euro ?

« C’est certain que le scepticisme traditionnel d’une large part de la population tchèque vis-à-vis des ‘grands frères’ et de tout ce qui ressemble à des institutions transnationales en sort renforcé. Cela dit les Tchèques sont des entrepreneurs, ce sont des pragmatiques avec une culture d’ingénieurs. Je pense qu’on aura l’occasion de juger sur pièce et sur place les mérites de l’entrée dans l’euro de façon plus calme une fois qu’on aura trouvé les moyens de sortir de la crise actuelle. »

On a beaucoup parlé du rôle dans la crise des agences de notation. Votre cabinet, le cabinet Roland Berger est en train de se mobiliser pour qu’une agence de notation européenne voie le jour.

« En effet. Nous sommes le seul cabinet de dimension globale qui soit d’origine européenne. Tous nos concurrents sont d’origine américaine. C’est la même chose pour les agences de notation. Ce domaine, extrêmement important pour la protection des investisseurs, est dominé par trois géants américains qui utilisent tous la même méthodologie, qui viennent tous du même endroit, et qui surtout ont un comportement qui a contribué à la crise et qui est en partie lié au fait qu’ils sont rémunérés non pas par les investisseurs mais par les émetteurs. Nous souhaitons, en tant que cabinet de stratégie européen, qu’il y ait une voix européenne dans ce jeu, que ce cartel soit cassé, que nous ayons le droit en tant qu’Européens de donner notre opinion et que cette opinion soit fonction des intérêts des investisseurs. Donc que le modèle de rémunération permette que cette agence de notation soit rémunérée par les investisseurs, de façon à ce qu’il y ait une voix alternative à la voix américaine. Nous ne souhaitons pas obliger le monde entier à adopter le modèle européen, nous souhaitons simplement qu’un modèle européen s’installe et puisse faire concurrence à ce modèle américain, en ayant l’intérêt de la stabilité du secteur financier européen à cœur et en ayant les intérêts de l’investisseur à cœur en premier lieu. »

Votre cabinet est un cabinet d’origine allemande et cette agence, si elle voit le jour, serait basée à Francfort. Quelles sont les réactions obtenues à cette proposition de la part de l’UE et des différents Etats-membres jusqu’à présent ?

« Alors nous sommes un cabinet d’origine allemande effectivement, M. Roland Berger est bavarois, mais nous sommes très largement un cabinet européen et global. Le troisième plus gros bureau par exemple est en Chine. Cela dit il est évident qu’en Europe le centre des discussions financières est plutôt en Allemagne, avec la Banque Centrale Européenne en particulier. Deuxièmement ce débat est alimenté par un certain souci d’une orthodoxie budgétaire pragmatique qui est aujourd’hui alimenté par l’axe franco-allemand malgré les péripéties de ce débat… Donc il est naturel que ce débat trouve son origine à Francfort. Il y a un certain nombre de soutiens qui commencent à se déclarer, ce qui est très intéressant : la région de Hesse, Francfort, etc. Il y a aussi un certain nombre d’oppositions, ce qui est aussi intéressant. Nous sommes de l’avis que dans tout village il y a un certain nombre de braconniers et que quand le braconnier commence à dire que la nouvelle loi contre le braconnage va créer des problèmes, c’est plutôt bon signe. Donc nous sommes sereins sur notre message et nous essayons de contribuer au débat, de façon à ce que l’Europe se donne une chance supplémentaire de trouver une solution structurelle à la nécessité de renforcer la stabilité et la transparence du marché financier. »