Pour une médecine qui n’est pas basée sur les rapports financiers
La semaine dernière, le professeur Bernard Charpentier du centre hospitalier universitaire de Bicètre de Paris a reçu à Prague une haute distinction qui lui a été décernée par Štefan Vítko, président de la fondation Karel Pavlík, pour ses mérites dans le développement du programme de transplantations et de dons d’organes. A cette occasion, il a accordé une interview à Radio Prague.
Est-ce pour vous, aussi, une occasion de porter un regard en arrière, sur votre parcours professionnel ?
« C’est effectivement un moment où historiquement à l’âge que j’ai, je ne suis pas très vieux, mais il y a très longtemps que j’ai consacré ma vie à la transplantation d’organes et la néphrologie, de le faire. Il y a effectivement des choses très positives ; les choses positives ce sont clairement les grands progrès dans la transplantation qui ont été faites, progrès chirurgicaux, progrès médicaux, progrès technologiques. Et en même temps il y a une grande peine qui est que malgré l’effort qui est fait par les professionnels de santé, éventuellement par le gouvernement, nous avons un grand défaut du nombre d’organes potentiellement donnés à des receveurs. Ca existe dans tous les pays du monde, certains ont encore des déficits plus importants que d’autres. Je ne comprends pas et c’est un des points noirs de ma vie professionnelle, je ne comprends pas pourquoi les pays développés dans le monde entier ne sont pas capables d’avoir une suffisance d’organes pour la transplantation. Effectivement, quand on est mort, cérébralement mort, il ne sert à rien d’aller au ciel avec deux reins, un foie, un cœur, deux poumons. On peut le donner par un geste généreux aux gens qui en ont besoin d’une façon vitale. Je rappelle qu’en France, il y entre quatre cents et cinq cents morts tous les ans de gens qui n’ont pas pu avoir la transplantation, donc je ne comprends pas comment la société qui devrait être plus généreuse, plus solidaire, dans tous le monde, dans tous les pays européens, ne suit pas cette démarche médicale et en même temps sociétale et éthique ».
Vos liens avec les médecins transplantologues tchèques sont de longue date.
« Mes liens avec des collègues de Prague sont très anciens, très excellents et il y a une manière de pratique de médecine qui est à peu près identique en France et en République tchèque. C’est une médecine qui n’est pas basée sur les rapports financiers. La médecine tchèque, telle qu’elle est enseignée, telle qu’elle est pratiquée, est une médecine qui ressemble beaucoup à la médecine française, dans laquelle les rapports commerciaux ne sont pas aussi puissants que dans le monde anglosaxon. Donc, nous avons une espèce de communauté de pratique médicale avec la République tchèque. »A mon su, vous êtes venu à plusieurs reprises pour le travail, à Prague.
« Nous avons eu beaucoup d’interfaces avec la République tchèque, avec Prague en particulier, dans le passé. D’autre part, depuis de nombreuses années, la République tchèque est inclue dans un mouvement européen, je me réjouis du fait que la République tchèque fasse partie de l’Europe».
Vous semblez créer une véritable communauté…
« Je pense que la communauté existe, à la fois intellectuelle et à la fois géographique. Il faut une heure et quart d’avion pour aller à Prague, il faut une heure et demi pour aller à Barcelone. Donc pour moi, c’est tout à côté. La position très centrale européenne de la République tchèque entre l’ouest et l’est fait que c’est un intermédiaire indispensable entre le monde de l’est et le monde de l’ouest, le monde du nord et le monde du sud. La République tchèque est exactement au milieu de ce triangle magique qui est Budapest, Prague et Vienne. C’est comme tous les triangles magiques, ça donne la vie, ça donne la joie, ça donne le tonus surtout. On a besoin de beaucoup de charisme et de tonus, en Europe. »La fondation qui a remis le prix à Bernard Charpentier, chevalier de l’ordre de la Légion d’honneur, créée en 1992, porte le nom de Karel Pavlik, patient ayant subi, en 1966, la première greffe du rein réussie dans l’ancienne Tchécoslovaquie.