Présidentielle : « Une campagne électorale où l’UE et les idéologies sont absentes »

Entretien avec Eliška Tomalová, directrice du département d'Etudes européennes de l'Université Charles de Prague, à deux jours du deuxième tour de la présidentielle tchèque. RPI lui a d'abord demandé quelle avait été l'importance de l'Union européenne jusqu'ici dans la campagne électorale.

Eliška Tomalová | Photo: Département d'Etudes européennes de l'Université Charles

« L’Union européenne n’est pas un sujet dans notre élection présidentielle, ni au début de la campagne ni maintenant. On ne parle pas de l’intégration européenne ni de la finalité, du rôle de la République tchèque dans l’UE, on parle seulement de certains pays membres qui sont importants au niveau bilatéral, dans les relations franco-tchèques, germano-tchèques ou les relations avec la Pologne et les autres voisins. Mais l’UE comme organisation où la République tchèque devrait jouer un rôle actif en tant que membre qui vient de terminer sa présidence du Conseil de l’UE n’est pas vraiment un sujet présent dans l’espace public actuellement. »

La monnaie unique européenne a été un sujet un petit peu abordé…

Photo: Pixabay,  Pixabay License

« C’est le seul sujet que j’ai récemment remarqué entre les deux tours. Petr Pavel se dit favorable à notre entrée dans l’Eurozone, mais à long terme, tandis qu’Andrej Babiš, parce qu’il suit très bien les sondages dans les régions où il fait de bons scores, se présente comme un candidat qui est contre l’Euro en Tchéquie. »

Mis à part ce sujet de l’adoption de l’Euro par le pays et malgré la ‘faute de carre’ d’Andrej Babiš dans le débat de la télévision publique à propos de l’OTAN, on a l’impression que les candidats sont quand même tous les deux sur une même ligne et fondamentalement pour l’appartenance à l’OTAN et à l’UE.

Photo: Utenriksdept,  Foter.com,  CC BY-ND

« Tout à fait, la rhétorique des deux candidats montre que la République tchèque devrait rester un membre actif de l’OTAN et de l’UE. Personne n’a remis en question notre présence dans ces institutions qui représentent la base de notre politique de défense et de notre politique étrangère. »

« Bien sûr, après, il y a des détails qui diffèrent notamment sur notre engagement dans le cadre de la crise actuelle suite à l’agression russe en Ukraine. C’est un grand sujet de la campagne de l’entre-deux-tours. Mais effectivement, aucun des candidats n’est, disons, ‘antisystème’. »

Sur cette question de l’agression russe en Ukraine, il y a vraiment deux positions distinctes ?

Andrej Babiš | Photo: Patrik Uhlíř,  ČTK

« A. Babiš joue sur les émotions, sur les émotions négatives comme la peur surtout et le mot ‘guerre’ est apparu sur ses affiches partout dans le pays. Son argument majeur est qu’il veut protéger la Tchéquie et ne pas l’entraîner dans la guerre et il joue sur la peur des plus de 50 ans, des parents ou de grands-parents de soldats potentiels. Babiš est ancien Premier ministre et sait très bien quelle est la situation actuelle mais il est très pragmatique et très populiste et il a donc placé ce sujet de la guerre dans le débat public. »

Vu de l’étranger, on pourrait avoir l’impression qu’en lien avec cette guerre la Tchéquie est prête à se doter d’un président anciennement général de l’armée et haut responsable de l’OTAN – pourtant c’est un peu plus compliqué que ça, avec une candidature de Petr Pavel préparée depuis plusieurs années, avant l’agression russe.

Petr Pavel | Photo: Ondřej Hájek,  ČTK

« C’est un candidat qui est présent depuis environ deux ans je dirais. On se doutait que Petr Pavel présenterait sa candidature, il parcourait le pays à la rencontre des électeurs. Des institutions de la république, l’armée a une image plutôt favorable en Tchéquie, ce qui est surprenant. On se rend compte que cela pourrait être surprenant ailleurs en Europe de voir un général être candidat à la présidentielle. Mais il ne joue pas vraiment cette carte. Il utilise son grade et a été critiqué pour cela mais c’est devenu une marque et on l’appelle souvent ‘Général Pavel’. Il a un style qui est plutôt calme, plutôt tendance ‘force tranquille’ dans le débat politique. Avec donc d’un côté son expérience militaire mais en même temps une personnalité calme et forte, avec une autorité naturelle. »

Convention d'Istanbul

Petr Pavel est-il plus progressiste que la coalition gouvernementale qui lui a apporté son soutien ? Il s’est par exemple déclaré favorable à la ratification de la Convention d’Istanbul (Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique).

Source: Rosy,  Pixabay,  Pixabay License

« Espérons, parce que ce sujet est prioritaire pour la politique étrangère tchèque, mais nous ne sommes pas consistants sans la ratification de cette importante Convention. Petr Pavel n’est pas le candidat officiel de la coalition gouvernementale mais il a son soutien et il a indiqué qu’il avait voté pour la coalition Spolu (formée par trois partis de droite, ndlr) aux dernières législatives. Il faut dire aussi qu’il a absorbé les électeurs de Danuše Nerudová, troisième du 1er tour de la présidentielle et qui était la plus progressiste, avec des sujets qui intéressent notamment les jeunes : l’environnement, la diversité, ‘gender politics’ et ce genre de sujets qui intéressent plutôt, pour vraiment simplifier, dans les milieux jeunes et urbains. Et Petr Pavel a peut-être compris qu’il devrait aller au-delà du certain conservatisme du gouvernement actuel. »

Dans le contexte régional, peut-on voir ce scrutin présidentiel tchèque comme moins inquiétant que ce qui se prépare en Pologne et Hongrie notamment, avec là-bas vraiment des idéologies qui marquent ces pays ?

« Il n’y a pas beaucoup d’idéologie dans cette campagne. Cela nous manque, il y a des sujets politiques qui devraient être soulevés, comme l’environnement, notre rôle dans l’UE, le modèle social avec les disparités régionales. Il y a beaucoup de sujets qui pourraient être ouverts dans le débat public, mais ces élections jouent plus sur les émotions, sur le changement entre l’ère Babiš et un courant moins populiste. Il y a aussi l’héritage de Havel qui est soulevé par certains électeurs. Il n’y a pas vraiment d’idéologie forte, à mon avis notamment parce que Petr Pavel n’est lié à aucun parti politique et cherche encore son positionnement, tandis qu’Andrej Babiš a son parti mais ne joue pas avec les idéologies, il est très pragmatique et répond aux demandes d’une certaine partie de l’électorat. »

Vous parliez plus tôt des relations bilatérales. On a beaucoup parlé de la réception à Paris d’Andrej Babiš par Emmanuel Macron. Comment expliquer ça ?

« Très difficilement. Les Tchèques ne savaient pas comment réagir. Plusieurs médias ont évoqué ce sujet. Pourquoi avant le premier tour, à un moment politique très important pour le pays, Andrej Babiš va-t-il en France et prend cette photo symbolique avec Emmanuel Macron ? C’était certainement pour A. Babiš très important parce que depuis des années il veut montrer qu’il connaît personnellement les dirigeants des autres pays. Donc il y avait cette valeur symbolique et il y avait des spéculations sur les autres raisons, sur ses intérêts économiques ou les liens au Parlement européen aussi. »

Dans ce Parlement européen, certains ont fait valoir que ‘personne n’attendait Andrej Babiš à Bruxelles’, même si cette phrase a été prononcée par le président d’un groupe opposé à Renew dont font partie les formations de MM. Babiš et Macron…

« Oui c’est important, mais surtout pour la ‘bulle sociale’ des électeurs de Petr Pavel. Pour A. Babiš, ces électeurs ne s’intéressent pas au Parlement européen, ce n’est pas un sujet. »

Les affaires de fonds fiduciaires et de conflit d’intérêts d’A. Babiš sont pourtant montées très haut dans les procédures de la Commission européenne…

« Oui bien sûr et on se pose la question de savoir ce qui pourrait freiner le soutien des électeurs à A. Babiš, étant donné qu’il a déjà dépassé pas mal de limites, au niveau tchèque et au niveau européen. Il joue là-dessus en faisant valoir qu’il a été accusé à tort à différents niveaux et qu’il se défend. »

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