Projet ELI : un des systèmes de laser les plus puissants au monde prend ses quartiers à Prague
En octobre dernier était inauguré le centre du super-laser ELI Beamlines (Extreme Light Infrastructure) à Dolní Břežany, au sud de Prague. A terme, le complexe mettra à disposition des chercheurs quatre grands lasers, dont l’un, répondant au nom de L4, sera l’un des systèmes de laser parmi les plus puissants au monde. Le projet ELI, largement financé par l’Union européenne, doit également comprendre trois autres centres de recherche, deux en Roumanie et en Hongrie et un troisième qu’il reste à concevoir. A l’heure actuelle, près de 300 personnes travaillent dans le centre tchèque, dont le physicien Daniel Kramer, qui a proposé à Radio Prague une petite visite guidée :
Par volonté de se rapprocher de sa famille en Tchéquie mais aussi et surtout parce que le projet ELI représentait un défi complexe à relever avec des responsabilités plus importantes à la clef, Daniel Kramer a donc décidé de quitter le CERN, où on lui proposait pourtant de s’embarquer sur un nouveau projet, pour venir s’installer à Dolní Břežany. Ce paisible et agréable village de la banlieue sud de Prague, sur le territoire duquel on peut se promener aux alentours de l’oppidum Závist, le plus grand oppidum celte de République tchèque, sur une colline dominant la rivière Vltava, accueille désormais la structure ultramoderne du centre Beamlines, un imposant complexe de quatre bâtiments qui s’élève à deux pas du centre du bourg. Sa construction, pour un coût de 280 millions d’euros, a débuté à l’automne 2012, après que la République tchèque a été choisie pour accueillir l’un des trois centres « piliers » du projet ELI :
« Chacun de ces centres est spécialisé un peu différemment. A Prague, nous devons surtout travailler sur des faisceaux secondaires, des particules, des protons, des hadrons, des électrons ou des rayons X également, pour des applications expérimentales. Les Hongrois visent quant à eux des expériences pas seulement ultracourtes mais extrêmement courtes, de l’ordre de l’attoseconde (10−18 seconde, ndlr), pour étudier la structure des atomes de façon très précise. Et les Roumains sont spécialisés sur la physique nucléaire, donc ils combinent un accélérateur de particule, un accélérateur conventionnel, linéaire, avec des lasers. »
La possibilité de mettre sur pieds un quatrième centre correspond à la volonté d’anticiper l’avenir et de proposer un jour des lasers encore plus performants. Pour cela, les lasers actuellement en phase de conception et d’installation dans les différents centres du projet ELI doivent au préalable faire leurs preuves. A Prague, il s’agira essentiellement de recherche fondamentale ; à l’aide des lasers, il sera par exemple possible de recréer les conditions extrêmes en vigueur dans le cœur des étoiles ce qui peut être bien pratique pour les cosmologistes et autres astrophysiciens. Daniel Kramer et son équipe ont pour charge de faire en sorte que ces chercheurs disposent d’outils fonctionnels et d’une qualité optimale pour leurs travaux :Je fais partie de l’équipe des lasers. On peut dire simplement que je suis en charge des systèmes passifs des lasers. On a par exemple un système de détection de seuil de dommages des optiques, des surfaces. A l’aide d’un laser, on réalise des dommages très bien contrôlés pour voir où ces optiques vont être endommagées pour pouvoir les utiliser correctement dans les gros systèmes. Bien sûr, quand la construction des lasers sera finie, on les préparera pour les mettre à disposition des équipes de chercheurs. Il faut d’abord transporter les faisceaux vers les expériences, les focaliser, et puis les expériences peuvent se dérouler. En lien avec cela, il faut être sûr que l’on dispose d’un système de diagnostic spécifique, parce que sans diagnostic, les expériences ne sont pas très utiles puisqu’on n’a aucune idée de ce qui se passe. »
Si le centre est déjà ouvert, les quatre lasers principaux ne sont donc pas encore opérationnels, ils ne sont pas même installés ni tout simplement réalisés. Certains éléments des lasers L1 et L2, ce dernier étant un laser de pompe, se trouvent à l’Institut de physique, lequel est situé dans le quartier de Ládví à Prague. Les systèmes de laser L3 et L4 sont actuellement conçus aux Etats-Unis, respectivement en Californie et au Texas. Tous devraient progressivement être montés dans les imposantes salles destinées à les accueillir pour finalement être utilisés autour de l’année 2018. D’imposantes salles, vers lesquelles nous nous dirigeons en compagnie de Daniel Kramer. La visite va s’effectuer un casque sur la tête, en gilet de sécurité, et également en présence de Jakub Janďourek, qui nous a rejoints :« Je m’appelle Jakub Janďourek. J’étais depuis le début le responsable pour la coordination entre les différentes équipes que nous avons ici, des équipes techniques, des équipes de chercheurs, de scientifiques et on a aussi beaucoup de fournisseurs qui eux-aussi ont des sous-fournisseurs. Donc depuis 2009, j’étais le responsable de la coordination des équipes internes et externes et avec le temps je suis devenu davantage responsable des différentes technologies qui doivent supporter le laser. »
Dans ce dédalle de couloirs et d’escaliers, il n’est pas aisé pour le visiteur de se repérer. Depuis les bureaux jusqu’aux salles des lasers, on croise de plus en plus d’ouvriers qui s’attellent à la tâche dans le boucan typique d’un chantier. Enfin, on atteint un corridor qui en impose par ses dimensions :« Ici, c’est le couloir principal pour le transport des instruments au niveau des lasers. Il y a là-bas un gros élévateur d’une ouverture de cinq mètres de largeur, la même dimension que ce couloir qui doit faire cent mètres de long. On a quatre chambres de laser ; cela commence par le laser L1 puis, L2, L3 et L4. »
L’organisation de chaque salle est peu ou prou similaire. Des systèmes de ventilation installés au plafond auront pour tâches de filtrer les particules, la poussière pouvant endommager les dispositifs optiques des lasers. Les opérations seront dirigées depuis une pièce aménagée dans un angle des salles et une galerie des visiteurs donnera l’opportunité aux profanes installés derrière une vitre d’assister aux opérations. Pour l’heure, ces salles sont vides mais pas pour très longtemps : Daniel Kramer explique qu’elles accueilleront une ribambelle de tables optiques, de câbles, de circuits de refroidissement, de tuyaux etc. Par un jeu de miroirs, les faisceaux lumineux seront réfléchis dans les salles d’expérience, situées à l’étage en-dessous. Au bout du couloir, on atteint finalement la dernière salle, celle destinée à accueillir le laser L4, dont le faisceau sera ultra-puissant (10 pétawatts) et avec une fréquence de répétition très rapide. Il fait la fierté de Daniel Kramer :
« On espère que cela sera la salle du laser le plus puissant au monde, au moins très puissant. Ici, il n’y aura pas de compresseur. Il y aura seulement la partie amplificateur du laser. Une salle au-dessus sera intégralement remplie de capacités de haute tension. A la fin, ce laser produira un faisceau d’à peu près 650x650 mm, ce qui est assez grand. Au niveau des optiques, c’est assez extrême. Chaque miroir pèsera plus de cent kilogrammes ce qui est très délicat pour le transport. On enverra le faisceau non-comprimé dans la salle du dessous où il y aura un très gros compresseur d’impulsion, une chambre à vide, qui fera une longueur d’environ 18 mètres. C’est à peu près la longueur d’un tramway de Prague. »Jakub Janďourek : « Ce qui est unique ici aussi, ou devrait être unique, c’est le fait qu’on a plusieurs salles de laser, plusieurs lasers. On peut plus ou moins les combiner ensemble. On a six salles d’expérience à différents niveaux, quelque chose que je n’ai jamais vue nulle part. Cela offre plus de possibilité que si vous avez seulement un laser et une salle d’expérience. »
Outre la structure de la matière ou les réactions au cœur des étoiles, les scientifiques devraient pouvoir se servir de ces lasers dans le cadre du développement de nouvelles méthodes de lutte contre le cancer. Rendez-vous est pris dans quelques années pour découvrir les premières expériences menées dans ce pôle technologique qui doit contribuer à faire de Prague une ville importante pour la recherche internationale.