Quand la langue devient un jeu
« Je m'appelle Ester Stará. Je suis mariée et mère de trois garçons, enseignante spécialisée, logopède et de temps en temps j'écris des livres pour enfants. Je vis à Prague. » C'est par ces paroles que se présente sur son site Internet Ester Stará, auteure de toute une série de livres qui ont pour but de divertir les enfants mais aussi de les instruire, de leur apprendre à prononcer correctement leur langue, d'enrichir leur vocabulaire et de développer leur fantaisie.
Une enseignante spécialisée dans une excellente école
Ester Stará travaille dans une école située dans le quartier de Karlín à Prague. Cette institution vénérable construite entre 1904 et 1906 est cependant loin d'être un établissement conservateur. Bâtie dans le style Art nouveau très pur, elle était une des écoles les plus modernes et les plus belles de toute l'Autriche-Hongrie et a eu l'honneur de recevoir, peu de temps après son ouverture, la visite de l'empereur François-Joseph en personne. Depuis ses débuts, elle abritait aussi une école maternelle. Fier de son passé, l'établissement n'en est pas moins une institution du XXIe siècle et se présente aujourd'hui comme une « Smysluplná škola » (Une école pleine de sens). Les instituteurs de cet établissement considèrent leurs élèves comme des individualités et cherchent à donner une motivation intérieure à leur travail. Ester Stará est enseignante spécialisée et son rôle à l'école n'est donc pas seulement pédagogique mais aussi diagnostique, thérapeutique, logopédique et consultatif. Elle travaille avec les enfants ayant des problèmes de diverses sortes et collabore aussi avec leurs familles. Une de ses activités est la logopédie, c'est-à-dire la technique qui a pour but de corriger les défauts de prononciation chez les enfants. Elle constate :« On parle beaucoup de prononciation, et il est vrai que sur 75 enfants qui entrent en cours préparatoire une trentaine a besoin de soins logopédiques. Il ne s'agit le plus souvent que de soins légers parce que ce ne sont pas de graves défauts de prononciation. Je ne vois pas, au cours de la dernière décennie, une augmentation importante d'élèves qui nécessitent ce genre de soins. Par contre en ce qui concerne la faculté de s'exprimer et la richesse du vocabulaire, je dois constater un changement. Formuler une phrase, poser une question juste, utiliser des arguments, raconter une histoire devient pour les enfants plus difficile. Je ne veux pas dire que c'est la faute de l'ordinateur. Mais si les enfants sont laissés à eux-mêmes et si l'on ne communique pas avec eux, ils n'ont pas l'occasion d'apprendre à s'exprimer. Le monde est de plus en plus visuel et ils perçoivent les impulsions par la vue. Donc, ils n'ont pas besoin de s'exprimer verbalement. »Le glissement vers la non-communication
Les enfants laissés à eux-mêmes, c'est-à-dire les enfants auxquels on ne parle pas, sont livrés sans défense à l’audiovisuel et se réfugient dans l'univers séduisant et parfois dangereux des jeux vidéo. Le monde virtuel remplace dans leur vie le monde réel. La langue et le langage deviennent pour eux un moyen de communication secondaire. Ester Stará est aussi écrivaine et une des raisons pour lesquelles elle écrit est donc le besoin de stopper ce glissement irrésistible des enfants vers la non-communication :
« J'ai toujours été attirée par l'écriture. Je vivais des sensations très particulières quand je pouvais me blottir dans ce monde fermé et me laisser emporter par le récit. Puis j'ai abandonné tout cela parce que je pensais que je ferais quelque chose de tout à fait différent. Cependant, quand je suis partie en congé de maternité, j'avais besoin d'une certaine compensation aux activités maternelles que j'adore évidemment, mais je voulais faire encore autre chose. Et comme je suis enseignante spécialisée et logopède de profession, je me suis mis à écrire d'abord des livres sur le développement des facultés de communication, c'est-à-dire les livres plutôt didactiques. Et de là il n'y a eu qu'un petit pas vers la fiction, le récit, le conte de fées. Mais il est vrai que dans mes textes je cherche toujours à résoudre un problème pédagogique. »Des livres à la foi didactiques et amusants
Dès son premier livre, Ester Stará a trouvé un collaborateur complice et inspiré dans son mari Milan Starý qui allait être coauteur de la majorité de ses ouvrages. Les illustrations simples, faussement naïves et pleines d'humour de Milan Starý ressemblent aux dessins d'enfant et sont autant d'impulsions qui ouvrent les sources de la fantaisie des petits lecteurs. Il met tout son art au service de sa femme qui travaille quotidiennement avec les enfants et connaît mille façons d'éveiller leur intérêt :« Je suis institutrice et j'aime associer ma profession aux livres. J'ai donc écrit toute une série de livres didactiques. Ainsi par exemple un livre est destiné à apprendre aux enfants à prononcer la consonne ' ř ' qui est très difficile. Quant au livre ‘Žvanda a Melivo’, il est destiné à développer le vocabulaire des petits lecteurs. C'est un livre avec énormément de dessins qui ont pour objectif d'enrichir le langage et la faculté d'expression des enfants. »
Le livre « Žvanda a Melivo » a été publié aux éditions Knižní klub en 2008. On n'a pas l'impression qu'il s'agit d'un recueil d'exercices didactiques. Dans le livre une petite fille, Žvanda, et un petit garçon, Melivo, introduisent les enfants dans le royaume des mots et leur servent de guides. Le livre fourmille de dessins qui suscitent tout naturellement la créativité des enfants, incitent les lecteurs à les commenter et les invitent à parler. Avec beaucoup d'astuce l'auteure cherche à faire participer les enfants aux aventures dans le royaume des mots, à décrire les images, à raconter leurs impressions. Elle multiplie petits devoirs, comptines, formulettes, petites histoires, devinettes et charades qui apprennent aux enfants à jouer avec les mots et leur font aimer la langue. Si les auteurs de ce livre voulaient créer un livre d'exercices, ils ont très bien su dissimuler leur intention première. Un autre livre d'Ester Stará, « Dům za mlhou » (La maison dans le brouillard), est volontairement inachevé et doté de crayons et d'une gomme. Les petits lecteurs sont invités à prendre le crayon et à participer à la création du livre. Ils peuvent achever des illustrations, ajouter leurs propres dessins et devenir les coauteurs de cet ouvrage.Un livre écrit et illustré par les enfants
En cherchant à associer ses élèves au processus de création Ester Stará est allée encore plus loin. Elle a réussi à leur donner envie d'écrire et de dessiner leur propre livre. Cette œuvre collective s'intitule « První věta » (La première phrase) :
« Je n'ai été que la coordinatrice des nombreux auteurs de ce livre. Les enfants ont été divisés en groupes et chaque groupe a reçu cette première phrase d'un récit qu'il devait écrire : 'Vendredi après-midi la porte s'est refermée et l'école pouvait se reposer.' Dans chaque groupe les enfants ont continué à partir de cette première phrase à développer une histoire. Ainsi les enfants ont écrit sept récits différents et ils les ont aussi illustrés. Puis les enfants ont rencontré également l'éditeur et le graphiste pour connaître tous ceux qui participent à la création d'un livre et ils ont finalement réalisé aussi la mise en page de cet ouvrage. Il ne restait alors que faire la composition et l'impression du livre. Les enfants ont donc leur propre livre qui a également son ISBN, c'est-à-dire le numéro international standard du livre, et il peut être donc distribué et acheté dans les librairies. » Aujourd'hui Ester Stará a à son actif une dizaine d’ouvrages dont certains ont été réédités et ont reçu des prix littéraires. Il n'est pas facile d'apprendre aux enfants à formuler leurs idées et à exprimer par les mots leurs sensations, mais elle réussit quand même à le faire de façon simple, amusante et naturelle. Si elle n'était qu'une excellente institutrice dans une école prestigieuse, son influence bénéfique resterait réduite à un cercle d'enfants très restreint. Grâce aux livres, son activité et son influence s'étendent beaucoup plus loin. Ses livres démontrent aux enfants que la langue n'est pas que cette matière rébarbative pleine de règles et de pièges grammaticaux, mais aussi une sorte de jouet, un instrument souple et malléable qui peut être aussi bien la source de loisirs et de rires que de beaucoup d'autres sensations. Et ils apprennent également qu'aimer la langue est très utile pour se faire aimer.