Quand la Meetfactory et l’Institut français développent les relations artistiques franco-tchèques
Le programme de résidences croisées organisé par l’Institut Français de Prague et le centre Meetfactory permet depuis deux ans d’initier et de renforcer des liens culturels entre la France et la République Tchèque. Chaque année, un artiste français a l’opportunité de séjourner à Prague pendant plusieurs mois et d’y présenter une exposition. L’artiste français qui a bénéficié du programme de 2014, Thomas Bischoff, présente actuellement au centre Meetfactory l’exposition née de son travail dans l’atelier prêté par le centre d’art contemporain. L’occasion pour Christelle Havránek, responsable de la Galerie 35 à l’Institut français de Prague (IFP), de revenir au micro de Radio Prague sur l’évolution des résidences croisées et sur les fruits portés par ces échanges.
La France et la République Tchèque ont entretenu des liens culturels forts dans le passé. Les maintenir dans le présent est l’objectif des résidences croisées Praha-Strasbourg. Chaque année, un artiste français réside pendant plusieurs mois à Prague, et un artiste tchèque bénéficie de la même opportunité en France. Le programme a été créé à l’initiative de l’Institut français de Prague, pour répondre à une forte demande d’échange, notamment du centre d’art contemporain Meetfactory de Prague qui organisait déjà ce type de résidences avec des artistes hollandais, américains ou allemands. La première résidence croisée franco-tchèque a été lancée en 2012, en collaboration avec la Cité Internationale des Arts de Paris. Christelle Havránek, qui s’occupe de la Galerie 35 de l’IFP, revient sur cette première expérience :
« Ce que l’on a retenu de cette première expérience, c’est le déséquilibre entre la structure parisienne et la structure pragoise. Il y avait un accompagnement des artistes à la Meetfactory que n’a pas trouvé l’artiste tchèque, Lucia Sceranková, à Paris. La Cité Internationale des Arts est un lieu de logement, avec des ateliers, mais pas un lieu avec des personnes qui sont là pour vous accompagner, vous aider à rencontrer les acteurs de la vie culturelle et artistique parisienne. Nous nous sommes mis en quête d’une institution en France, et nous avons eu la chance de découvrir le Centre Européen d’Action Artistique Contemporaine de Strasbourg, avec lequel, dès 2013, nous avons pu commencer à travailler. »
Les deux centres d’art contemporain collaborent avec succès et la machine est lancée. Tous les ans, un artiste contemporain français est invité à séjourner à Prague pendant trois mois après avoir été sélectionné sur la base d’un dossier de candidature. Il bénéficie ensuite d’un logement, d’un atelier ainsi que d’une bourse, et a l’occasion d’exposer dans une galerie de la Meetfactory. Un lieu qui convenait bien au lauréat du programme de cette année, Thomas Bischoff, qui y présente actuellement son exposition Oscillations :
« J’étais déjà venu en avril, j’avais déjà visité la Meetfactory, je n’avais pas vu les ateliers mais je trouvais que c’était un lieu très dynamique et intéressant. Et par chance, ils recherchaient quelque-chose qui correspondait à mon travail, plutôt dans la thématique industrielle et sonore, et cela s’accordait à ce que je faisais habituellement. Et j’étais très heureux de pouvoir travailler là pendant trois mois. »
Ce centre d’art contemporain, fondé par le célèbre et controversé artiste tchèque David Černý, dispose de nombreux ateliers à destination d’artistes en résidence venant du monde entier. Cela donne alors aux artistes la possibilité de nouer des relations et de construire des projets. Thomas Bischoff :
« Comme c’est un endroit qui bouge beaucoup, on rencontre d’autres artistes. J’ai par exemple rencontré un Mexicain qui m’a invité à venir en résidence l’année prochaine, au Mexique. Ce n’est pas encore organisé, mais c’est une opportunité qui s’est présentée. Et j’ai pu rencontrer d’autres artistes, les autres résidents, l’équipe de la Meetfactory, et c’était très enrichissant. »
C’est cette complémentarité entre le lieu et le travail de l’artiste qui pèse le plus dans la balance lors de la sélection des résidents, comme le souligne Christelle Havránek :
« Comme nous connaissons les lieux d’accueil nous orientons notre choix en fonction de ce que les artistes vont trouver sur place. En l’occurrence, la Meetfactory est un lieu industriel où il est possible de travailler des matériaux assez imposants comme le métal, avec les outils nécessaires à disposition. Cela a fait que, jusqu’à présent, on a privilégié les artistes se consacrant à la sculpture cinétique, comme Adrien Gyros et Thomas Bischoff, parce qu’on sait que ce lieu se prête bien à ce type de travaux. On aime bien l’idée que cela puisse être une première résidence, mais ce ne sera pas l’unique critère, évidemment. »
La thématique industrielle chère à la Meetfactory se retrouve dans le travail de Thomas Bischoff, qui se considère lui-même comme un bricoleur. Il travaille autour des énergies, comme le vent ou même le souffle du feu, et sur le mouvement aléatoire. Cette fois, son installation est autonome, et ne fonctionne pas à l’aide d’énergies naturelles mais d’un moteur, s’adaptant ainsi à la galerie de la Meetfactory. Quatre structures identiques sont disposées dans la pièce, chacune comprenant un moteur prélevé sur des ventilateurs, auquel est relié une corde au bout de laquelle est attachée une pièce en forme de toupie en fonte, qui tourne, vacille, monte et descend en heurtant parfois le sol de manière imprévue, en suivant les mouvements de la ficelle. Thomas Bischoff explique :
« Le but, en fin de résidence, c’est de donner une exposition dans cette galerie. Ce que j’ai tout de suite remarqué, c’est qu’elle est très haute, de dix mètres. C’est pour cela que j’ai cherché des idées d’objets qui puissent monter et descendre, qui pourraient habiter l’espace non seulement au sol mais aussi en hauteur. Souvent, c’est de manière empirique que j’arrive à mes objets. Pour ce projet, j’étais parti d’une toupie, et également d’un culbuto. L’idée c’est de partir de la forme de ces objets qui appellent un mouvement spécifique, puis de voir comment on peut faire bouger ces objets de manière différente. C’est une façon d’explorer les différentes possibilités qu’offrent ces formes. »
Comme les autres résidents, Thomas Bischoff a apprécié ce séjour à Prague et espère revenir, ce qui témoigne du succès du programme dans sa capacité à créer des relations et des échanges entre les deux pays :
« Comme j’ai lié des nouveaux contacts ici, c’est devenu un nouveau point d’attache. Ce n’est pas très loin de l’Alsace. La Bretagne ou le sud de la France, c’est déjà plus éloigné. J’ai vraiment apprécié la ville et les gens que j’ai rencontrés, avec lesquels j’ai noué des relations, j’espère pouvoir revenir de temps en temps, pour des projets. Une exposition pourrait s’organiser éventuellement avec l’Institut français, en mai. J’espère aussi que je me suis fait repérer par des commissaires pour une exposition quelque part ici. »
Cet enthousiasme des artistes et les rencontres qu’ils ont faites sur le sol tchèque peuvent être à long terme un moteur des relations bilatérales dans le domaine de l’art contemporain. Christelle Havránek regrette que le programme Praha-Nice, qui permettait des résidences croisées de commissaires d’exposition afin qu’ils puissent découvrir la scène d’art contemporain locale, se soit arrêté faute d’un encadrement suffisant des commissaires tchèques en échange à la Villa Arson de Nice. Ce programme avait pourtant des effets immédiats dans les échanges artistiques entre les deux pays, selon Christelle Havránek :
« C’est une évidence, les commissaires français sont rentrés en France avec un carnet d’adresse très important en lien avec la République Tchèque, ce qui fait que très vite, on a pu voir des effets. Jean-Marc Avrilla (commissaire d’exposition français en résidence à Prague en 2012, ndlr) a par exemple intégré dans ses projets d’expositions collectives des artistes d’Europe centrale, puisqu’il est allé à Bratislava et en Allemagne. Il a pu confronter, dans une grande exposition réalisée en 2013, Ruines Circulaires, des artistes français, tchèques, allemands, autrichiens, tchèques, slovaques, ce qui ne se fait pas vraiment, à vrai dire. »
L’Institut français de Prague espère pouvoir organiser de nouveau ces résidences curatoriales, une fois qu’une structure complémentaire française aura été trouvée, dans laquelle les commissaires tchèques pourraient bénéficier du même encadrement dont disposent les commissaires français à la Meetfactory.
L’exposition de Thomas Bischoff à la Meetfactory sera ouverte jusqu’au 30 janvier. Jiři Thýn, ancien résident au CEEAC de Strasbourg, présente également à la Galerie 35 de l’Institut français une exposition résultant de son séjour en France. Cette exposition intitulée Deux extrémités de la Distance se tiendra jusqu’au 10 février.