Résidences d’artistes croisées – un axe franco-tchèque pour l’art contemporain

Lucia Sceranková, 'De l'autre côté du ciel', photo: L'Institut français de Prague

Depuis 2012, l’Institut français de Prague a initié un programme de résidences croisées entre la France et la République tchèque. Après une première expérience entre les capitales des deux pays « Praha-Paris », cet échange, destiné à la fois aux artistes et aux commissaires d’exposition, a mobilisé en 2013 le centre d’art contemporain pragois de la MeetFactory et des structures similaires à Strasbourg et à Nice. Christelle Havranek, en charge de la Galerie 35 à l’Institut français de Prague, a évoqué au micro de Radio Prague l’organisation d’un projet destiné à favoriser les échanges et la mobilité entre artistes français et tchèques. Lauréats de cette édition, la commissaire d’exposition Fabienne Bideaud et l’artiste Adrien Giros partagent leur expérience, positive dans les deux cas.

Lucia Sceranková,  'De l'autre côté du ciel',  photo: L'Institut français de Prague
L’Institut français de Prague invite régulièrement des artistes français pour présenter leurs travaux à l’occasion de vernissages ou d’expositions, des événements ponctuels, limités dans le temps. Et c’est d’une réflexion sur l’absence de projets plus suivis, avec des séjours d’artistes plus longs, que naît la volonté de monter ces résidences d’artistes croisées. L’Institut français de Paris accepte de subventionner ces échanges, au moins pour les participants français, comme il le fait déjà pour d’autres programmes de résidences. Le projet se met donc en place en 2012 avec un premier échange. Le vernissage à la Galerie 35, à l’automne dernier, d’une exposition de photographies d’une artiste slovaque en résidence à Paris en 2012 illustre bien l’ambition affichée de créer des liens artistiques et culturels dans la durée :

« Il s’agit de Lucia Sceranková, qui était la première lauréate de ces résidences croisées qui ont eu lieu en 2012. Elle a séjourné trois mois à la Cité internationale des arts et nous nous sommes dit que nous pourrions l’inviter un an après à l’Institut français de Prague pour présenter le fruit de sa recherche en France dans la galerie de notre Institut. Donc, il y a une dimension multiple à ces résidences. Ce ne sont pas seulement des séjours d’artistes que nous offrons, mais c’est aussi une continuité, la possibilité pour ces personnes de présenter les choses qu’elles ont créées sur place. »

Christelle Havránek explique également que le contexte tchèque se prêtait bien à la mise en place d’un tel projet de résidences avec l’apparition récente à Prague d’un certain nombre de centres d’art contemporain, à commencer par la Meet Factory de l’artiste bien en vue David Černý. C’est là qu’Adrien Giros, dont le travail s’articule autour de l’espace, du son et des sensations que celui-ci procure, notamment pour ses fréquences les plus basses, a pu disposer d’un espace de 100m2 durant trois mois. Au mois de décembre, il nous y a reçus alors qu’il finalisait son installation « Les Gardes » :

Adrien Giros,  'Les Gardes',  photo: Meet Factory
« C’est un super contexte parce que c’est un lieu qui est très vivant. La MeetFactory, c’est des concerts pratiquement deux fois par semaine… (On entend passer un train…)

C’est le train toutes les cinq minutes…

C’est le train oui, mais cela ne me dérange pas trop. D’ailleurs, la salle de concert est juste en dessous de mon atelier, donc cela vibre pas mal… »

Peu importent le bruit et les vibrations, qui rythment la vie de son atelier et qui sont en même temps la matière première de son travail, Adrien Giros a grandement apprécié l’opportunité qu’à représentée pour lui cette résidence d’artiste :

« Donc, c’est ma première résidence et commencer par ce type de résidence, c’est assez exceptionnel, j’ai beaucoup de chance. Cumuler dans une résidence, le fait de disposer d’un atelier aussi grand, d’être logé, d’avoir une bourse et une expo personnelle, je crois qu’on ne peut pas rêver mieux en sortant des études. Cela s’est bien passé, c’est assez agréable à vivre Prague. J’ai bien aimé. C’est plus calme que Paris et, en même temps, cela reste quand même une capitale, où il se passe pas mal de choses. Il y a beaucoup de galeries, très jeunes. Il y a cette sensation que tout est possible. J’ai l’impression qu’il est assez facile d’exposer à droite à gauche. »

Les résidents sont sélectionnés en deux étapes. L’Institut français de Prague fait d’abord un appel à candidatures répondant à certains critères. Les postulants doivent par exemple justifier de leur engagement dans un parcours professionnel. Une première sélection de quatre candidats est ensuite envoyée aux centres d’art qui choisissent alors le lauréat qu’ils accueilleront. Et ce processus a jusqu’alors donné d’heureux résultats si l’on en croit Christelle Havránek :

« Je dois dire que nous avons beaucoup de chance avec nos lauréats. Jusqu’à présent nous en avons eu quatre, français, deux en 2012 et deux en 2013. Et ils sont tous extrêmement enthousiastes. Leur séjour à Prague se passe admirablement bien, à chaque fois. Ce sont des personnalités très différentes mais on voit vraiment des personnes motivées. »

Installée du 19 décembre 2013 au 12 janvier 2014 à la Galerie Kostka, qui jouxte la MeetFactory, l’œuvre « Les Gardes » d’Adrien Giros, inaugurée par une performance avec la contrebasse de Georges Cremaschi, a d’ailleurs particulièrement enchanté Christelle Havránek :

« Adrien Giros a fait un travail formidable. Il est resté trois mois mais il a créé une installation impressionnante, que j’invite tout le monde à découvrir. Parce que c’est vraiment une expérience hors du commun à laquelle il nous invite. C’est quelqu’un qui travaille beaucoup avec le son. La performance est aussi un élément important de son travail mais je ne voudrais pas trop le décrire car c’est vraiment une expérience particulière. »

Aux côtés des résidences destinées aux artistes, il y a également les résidences curatoriales, pour les professionnels. On écoute Christelle Havránek :

« Quelque chose qui se fait de plus en plus dans le monde, c’est de ne pas offrir uniquement cette expérience aux créateurs mais également aux professionnels, qui sont experts dans un domaine. Car eux permettent justement aux créateurs de se faire connaître, ils permettent la diffusion. C’est de cela qu’on parle quand on parle de résidence : c’est l’échange, la diffusion, la mobilité. Et avec un commissaire, on permet à un certain nombre d’artistes d’être visibles. »

C’est de ce type de résidence qu’a bénéficié la jeune historienne de l’art et commissaire d’exposition Fabienne Bideaud. Elle a disposé de six semaines pour découvrir le milieu pragois de l’art contemporain, une découverte menée avec un fil rouge, l’idée de créer un Cabinet d’influence. Elle raconte :

« Mon projet, c’était de faire de la recherche sur la scène artistique culturelle de Prague. C’était ma première visite ici et l’idée était de rencontrer des artistes, galeristes, théoriciens, critiques d’art, tous ceux qui travaillent sur la scène artistique. Lors de mes rendez-vous, je demandais à chaque personne de me donner un élément qui a influencé sa pratique. Cela pouvait être un livre, un texte, un film ou un objet, quelque chose qui a orienté ces artistes vers la pratique de ou donner l’envie de travailler dans l’art contemporain. »

Fabienne Bideaud nous propose une visite de son atelier riche de multiples objets : des livres, partitions, œuvres diverses… tous ayant un jour participé à l’éclosion d’une vocation. Et comment est née celle de Fabienne Bideaud ? Nous le lui avons demandé :

« J’aurais donné deux éléments. Le catalogue d’exposition de František Kupka parce que c’était ma première entrée, ma première approche de l’art contemporain et sur la façon de passer de l’art figuratif à une forme beaucoup plus abstraite et spirituelle. Et le deuxième c’était le White Flag de Jasper Johns qui est à Metropolitan Museum of Art de New-York. Je trouvais que ce tableau était aussi dans l’idée de transfigurer la figuration. Ce sont les deux éléments que j’aurais donnés si j’avais dû contribuer moi-même à mon projet. »

La découverte d’une nouvelle scène artistique, mais aussi l’échange avec des professionnels et créateurs venus d’horizons différents, voilà ce qu’offrent ces résidences d’artistes. D’autant plus à la MeetFactory, grâce à son programme « Artists-in-Residence ». Adrien Giros remarque :

« Il se passe plein de choses, il y a souvent du monde. Il y a eu pas mal de résidents pendant que j’étais là. Cela permet aussi de rencontrer d’autres artistes, qui viennent d’Allemagne, d’Italie, de Hollande, du Mexique, de Pologne, des Tchèques aussi bien sûr. C’est super cool de rencontrer d’autres artistes, de discuter, de partager son travail. »

Cette envie de partager et de faire découvrir est essentielle dans le cadre du travail de curatrice de Fabienne Bideaud. Pour Christelle Havránek, c’est là tout l’intérêt de ces résidences croisées destinées aux professionnels :

« Ce que fait Fabienne Bideaud ici, c’est du repérage d’une scène qu’elle ne connaît pas forcément car elle n’a pas eu l’occasion ni la possibilité d’aller dans cette zone de l’Europe. Et après un mois et demi en République tchèque, elle revient en France avec un bagage important qui va lui permettre de nourrir son travail de commissaire, de préparer des projets incluant de nouveaux artistes et ainsi ces artistes vont acquérir une visibilité beaucoup plus importante. Donc c’est vraiment très efficace une résidence de commissaire. »

C’est donc tout le processus de diffusion de l’œuvre d’art qui est encouragé, et pas seulement sa création. Le Cabinet d’influence de Fabienne Bideaud participe de cette logique en rassemblant tous les acteurs du monde artistique, qu’il s’agisse de l’artiste, du critique ou du curateur, autour de leur intérêt commun :

« Ce qui est intéressant aussi dans ce projet c’est qu’il n’y a pas une œuvre d’art en tant que telle et que tout le monde est mis sur le même niveau. On ne sait pas qui a donné quoi. Cela a aussi bien pu être un galeriste qu’un théoricien, qu’un artiste. J’aime aussi cette idée que ce n’est pas si évident. Bien sûr ici, les gens se connaissent, ils arrivent et voient des choses et des éléments et savent qui a donné quoi, mais ce n’est pas une expo d’art, c’est plus ce qu’il y a autour et comment cela se passe. »

Satisfaite de son expérience, Fabienne Bideaud aurait toutefois aimé disposer d’un peu plus de temps pour concrétiser d’autres des idées qu’elle portait. La question de la durée des résidences est sujet de réflexion pour l’Institut français de Prague, qui conçoit que, là où trois mois sont satisfaisants pour les artistes, le mois et demi proposé aux curateurs est un peu court. Christelle Havránek précise que cette durée est dans une certaine mesure imposée par leur emploi du temps professionnel.

Le projet dénote en tous les cas d’un enthousiasme pour l’échange artistique entre la France et la République tchèque. Et le souhait d’inscrire ces séjours dans le temps long est pour l’heure une réussite. Christelle Havránek :

« Cela fonctionne, nous avons des choses à nous dire. Nous avons des choses à faire ensemble. Et cela s’est révélé totalement vrai puisque les artistes et les commissaires qui sont venus n’ont qu’une envie c’est de revenir. Et c’est la même chose pour les Tchèques qui sont allés en France. »

Cette envie de retour se lit par exemple à travers la volonté de Jean-Marc Avrilla, commissaire français en résidence en République tchèque en 2012, de réaliser une grande exposition durant l’année 2014 à l’Institut français de Prague. Institut qui espère en tout cas continuer l’aventure de ces résidences. Christelle Havránek évoque notamment le désir de voir se poursuivre la collaboration entre la MeetFactory et le Centre européen d’actions artistiques contemporaines de Strasbourg (le CEAAC), la structure alsacienne ayant affiché une belle complémentarité avec son homologue pragoise.