Qui était Franz Kafka ?
Depuis juin 2005, se tient à Mala Strana une exposition permanente, consacrée à Franz Kafka. L'occasion de revenir sur cette figure incontournable de la littérature tchèque, qui s'est trop souvent résumée à une série de stéréotypes. Retour sur le vrai Kafka, son époque et son succès posthume.
Franz Kafka a eu un fils ! C'est ce que tentait de prouver l'universitaire italien Giorgio Zampa lors d'une recherche parue au début des années 70. La mère du très hypothétique enfant serait Felice Bauer, que Kafka rencontre en 1912 dans la maison de son ami Max Brod. La jeune fille habite Berlin et leur relation, essentiellement épistolaire, prend fin en 1917. C'est la correspondance d'une certaine Grete Bloch, amie de Felice, qui aurait mis Zampa sur la piste d'un enfant. D'une santé fragile, celui-ci serait mort à 7 ans, avant même son père. Franz Kafka, lui, n'en aurait jamais connu l'existence.
La révélation sentait un peu la fausse polémique mais surtout qu'apportait-elle à la connaissance de l'écrivain ? Il faut dire qu'on est souvent passé à côté de Kafka et de son oeuvre. Celle-ci a été tour à tour peinture du système communiste ou bible du désespoir et Kafka un grand nihiliste torturé.
Milan Kundera, quant à lui, faisait une comparaison inattendue en évoquant l'écrivain Jaroslav Hasek, symbole de l'humour et de l'absurde pragois. L'angoisse existentielle de Kafka autour de sa relation au père, de ses fiançailles ratées puis de sa maladie transparaissent dans son oeuvre. Mais ce n'est là qu'une clé d'analyse et elle forme une image incomplète.
Kafka écrit à Felice à propos d'une lecture de La Métamorphose chez Max Brod en ces termes : "Nous avons passé un bon moment et nous avons beaucoup ri." L'oeuvre de Kafka est aussi sombre qu'elle est empreinte d'humour et l'écrivain aura plus marqué son entourage par sa vitalité que par son désespoir.
Ses doutes, il les avait hérités en partie d'une relation difficile avec un père autoritaire. Mais si on met souvent ce point en avant, il ne faut pas oublier la quête idenditaire du jeune Franz. Juif tchèque de langue allemande, Franz Kafka a souvent évoqué ce sentiment diffus de déchirement entre trois cultures. "Le Château," quête éternelle d'un inaccessible, c'est aussi l'état d'esprit de l'écrivain juif dans sa recherche identitaire. Franz Kafka naît en 1883, à un moment charnière pour la communauté juive de Prague, qui prend ses distances avec le nationalisme allemand. De nombreux Juifs se rapprochent des Tchèques. En 1884, l'Association Or Tomid ("Lumière éternelle" en hébreu) travaille à l'introduction de la langue tchèque dans certains passages de la liturgie israélite. En 1893, un avocat juif, Jakub Scharf, crée l'Union nationale tchéco-juive. En 1910, 52 % des Juifs vivant dans le centre de Prague se déclarent de langue allemande. Ils étaient 87 % en 1890 !
Et Franz Kafka est sans doute à l'image de la plupart d'entre eux : s'il écrit en allemand, sa langue maternelle, il s'efforce, dès qu'il le peut, d'utiliser le tchèque. Dans l'une de ses correspondances avec sa compagne Milena, il demande à cette dernière d'écrire en tchèque. Et comme son ami Max Brod, il s'intéresse de près aux revues littéraires tchèques.
Progressivement se développe aussi chez Kafka le désir d'un retour au judaïsme. De nombreuses images, dans son oeuvre, sont sans doute inspirées de sources juives, plus des textes Hassidiques ou liturgiques que de la Bible elle-même. On pense au Procès et à l'échec du narrateur devant la Maison de la Loi. Ne pouvant y pénétrer, il ne connaîtra jamais sa faute. Kafka affirmait lui-même que si le Messie venait un jour, ce serait après la fin du Monde...
Kafka étudiera l'hébreu moderne mais semble ne pas s'intéresser au yiddish. Cela changera brusquement en 1911. Max Brod emmène alors Kafka à une représentation des comédiens juifs de Lemberg, originaires de Galicie, en Pologne. Franz est un habitué mais il note, dans son journal du 14 octobre : « À la fin de la représentation, nous restons encore pour voir l'acteur Löwy, que je serais prêt à admirer à genoux dans la poussière. » Originaire de Varsovie, Isaac Löwy se retrouve à 18 ans à Paris, où il joue en yiddish avec une troupe d'amateurs, avant de monter sur toutes les estrades d'Europe centrale. Kafka ressentait une certaine fascination pour ces Juifs saltimbanques. Mais surtout, sa rencontre avec Löwy et le yiddish sera déterminante pour l'écrivain et sa recherche d'une langue poétique.
Kafka meut en 1924. Neuf ans plus tard, Alexandre Vialatte, découvreur et traducteur de l'écrivain, publie à Paris "Le Procès". Longtemps inconnu du grand public, Kafka n'en influence pas moins les écrivains français des années 40 et 50. André Breton le cite dans son "Anthologie de l'humour noir". Albert Camus publie en 1943 un texte sur "L'Espoir et l'absurde dans l'oeuvre de Franz Kafka", repris dans le "Mythe de Sisyphe". L'existentialisme de Jean-Paul Sartre se sera aussi en partie nourri de l'oeuvre du Tchèque. En Tchécoslovaquie en revanche, il est tout simplement interdit à partir de 1948. Fustigé comme décadent et pessimiste, Kafka n'a pas sa place dans le climat réaliste-socialiste des années 50. En 1963, il revient à la faveur de la libéralisation de la société. Cette année là, se tient au château de Liblice le Colloque Kafka, organisé par un professeur de l'Université de Prague Edouard Goldstücker. Cette réunion, symbole du nouveau cours en Tchécoslovaquie, aura un retentissement mondial. Mais surtout, elle aboutira à la publication en tchèque des oeuvres de Kafka. En cinq ans seront ainsi publiés Le Procès, Le Château, Description d'un combat ainsi que la biographie écrite par Max Brod.
L'écrivain est donc à nouveau lu dans son pays d'origine. Et la normalisation n'effacera plus sa mémoire. En 1983, année du centenaire de la naissance de Kafka, un groupe d'admirateurs vient déposer, sur sa tombe à Prague, une couronne de fleurs.
Récemment, en 2004, c'est une statue de l'écrivain qui a vu le jour, non loin du quartier Juif. Kafka, qui n'avait pratiquement jamais quitté Prague, y a enfin été immortalisé.