Raduit de Souches, le plus grand homme de Brno
Au mois d’août dernier, Brno, métropole de la Moravie, célébrait le 370e anniversaire d’un épisode considéré par les locaux comme l’un des plus glorieux de son histoire : la victoire face aux Suédois après un siège de la ville long de 112 jours. Des commémorations qui ont culminé avec la présence d’une délégation venue du port de La Rochelle en France. Et pour cause, c’est un Rochelais, Jean-Louis Raduit de Souches, largement méconnu dans sa ville natale mais surnommé « le plus grand homme de Brno » au XVIIe siècle, qui fut l’artisan de la déconvenue suédoise le 15 août 1645, dans le contexte de la guerre de Trente Ans. Pour évoquer ce destin sur Radio Prague, Jana Amadou, guide francophone et présidente de l’association des Amis de Raduit de Souches, une association nouvellement créée dont elle a d’abord développé les objectifs :
Jusqu’alors Raduit de Souches était plutôt un inconnu à La Rochelle alors qu’à Brno, il jouit d’un grand prestige pour le rôle qu’il y a joué durant la guerre de Trente Ans…
« Il y a une certaine logique au fait qu’il soit méconnu en France et dans sa ville natale, puisqu’il a été obligé de quitter la Rochelle après le grand siège de la Rochelle (en 1629). D’autant plus qu’il était fils cadet et ne pouvait prétendre à un héritage. »
Raduit de Souches s’est donc réfugié en Suède. Il était huguenot, protestant ?
« Oui, il était huguenot. Il ne s’est pas réfugié en Amérique comme beaucoup de ses compatriotes qui ont combattu contre Louis XIII. Il a orienté sa carrière vers le domaine militaire et s’est fait engager dans l’armée suédoise. La Suède était un pays protestant. »Comment s’est-il au final retrouvé à combattre pour les Habsbourg et à prendre le commandement de la ville de Brno, sachant que les Habsbourg étaient des catholiques…
« Comme il était assez instruit pour l’époque, il était sûr de lui et de son instruction, il s’est donc fait souvent des ennemis dans les rangs des officiers suédois. Par deux fois, il a dû quitter l’armée suédoise. La deuxième fois a été définitive. En quittant l’armée suédoise, il s’est dit qu’il allait tenter de passer par Vienne, une très grande métropole à cette époque, où il pourrait peut-être rencontrer quelqu’un. Et Raduit de Souches a eu vraiment de la chance puisqu’il y a rencontré le frère cadet de l'empereur Habsbourg. Le frère cadet de l’empereur Ferdinand III était le maréchal de toute l’armée impériale et il lui a proposé de rentrer au service des Habsbourg. »
On est en pleine guerre de Trente Ans. Peut-on revenir sur le contexte de cette période. Qu’est-ce qu’elle signifie cette guerre de Trente Ans quand on est suédois où quand on est au service de l’Empire des Habsbourg ?
« La guerre de Trente Ans, ce grand conflit, a commencé tout d’abord comme une guerre de religion entre deux camps, les protestants et les catholiques. Evidemment les Habsbourg étaient dans le camp catholique. La Suède, l’Angleterre, étaient dans le camp protestant. Petit à petit, ce conflit religieux s’est transformé en conflit de pouvoir. Il y a aussi le fait que la France, pays catholique, a financé la Suède, contre les Habsbourg. »En 1645, Raduit de Souches, qui s’est déjà illustré plus tôt à Olomouc, est à la tête de Brno. Les Suédois se dirigent vers Vienne et en chemin arrivent sur Brno dont ils organisent le siège. Comment Raduit de Souches organise-t-il la défense de la ville ?
« L’armée suédoise, avec à sa tête Lennart Torstenson, avançait très rapidement via la Moravie du Sud en remportant plusieurs victoires et en assiégeant d’autres villes. Sa direction était Vienne, l’objectif était de conquérir la capitale des Habsbourg. Mais Torstenson a été arrêté par le courant trop important du Danube et il attendait des renforts du prince de Transylvanie. L’aide n’arrivant pas, il a tourné son attention vers Brno. C’était presque la seule grande ville dans les pays tchèques et moraves qui n’avait pas été encore conquise. Brno avait sa forteresse de Špilberk, qui était redoutée. Torstenson a compris que pour conquérir la capitale des Habsbourg, il fallait conquérir Brno avec sa forteresse, parce que c’était la clef pour toutes les opérations militaires futures. »
Donc les deux hommes allaient s’affronter, Raduit de Souches allait lui organiser la défense de la ville, devant un siège qui allait durer plus de cent jours…
« Comme Vienne a su que Torstenson voulait conquérir Brno, Ferdinand III a décidé de nommer Raduit de Souches au poste de commandant de la ville. C’était le 14 mars 1645. Pendant six semaines, il a su préparer la ville de Brno pour se défendre face aux Suédois. Les habitants de Brno étaient d’abord méfiants. Raduit de Souches était un étranger, un Français, un huguenot qui avait été au service de l’ennemi peu de temps auparavant, au service de la Suède. L’empereur Ferdinand III est intervenu en envoyant une lettre à la municipalité de Brno pour dire que Raduit de Souches avait toute sa confiance. Finalement, les habitants de Brno ont perdu leurs derniers doutes quand ils ont vu l’enthousiasme que Raduit de Souches mettait à préparer la défense de la ville. »Les habitants ont eu raison de perdre leurs doutes puisqu’ils allaient sortir victorieux de ce siège. Que représente aujourd’hui ce siège pour l’histoire et pour les habitants de Brno ?
« C’est un grand événement. En fait la ville de Brno considère ce chapitre comme l’un des plus glorieux de son historie. Car toutes les villes dans les pays tchèques et moraves avaient été assiégées et conquises par l’armée suédoise et la ville de Brno est la seule à avoir pu tenir. En plus, le siège a duré 112 jours et les habitants de Brno n’étaient environ que 2 500. Les hommes en armes, les soldats professionnels étaient quelque chose comme 476, même pas 500. L’armée suédoise comptait au début 28 000 soldats puis a bénéficié d’un renfort de 12 000 hommes. Il y avait donc une supériorité numérique énorme. En sauvant leur ville, les habitants de Brno ont sauvé la capitale des Habsbourg. Cette victoire a pu même influencer les négociations de paix après la fin de la guerre de Trente Ans à Osnabrück et Münster en faveur des Habsbourg. L’empereur Ferdinand III le savait très bien et il a récompensé les défenseurs de Brno et donc Raduit de Souches. »