Rencontre avec Catherine Frot et Martin Provost autour du film Sage Femme
« J’ai voulu rendre hommage à la sage-femme qui m’a sauvé la vie », a raconté, voilà quelques jours, Martin Provost devant le public du 20e Festival du film français. A Prague, le cinéaste a présenté son nouveau long-métrage Sage Femme qui sort dans les salles tchèques cette semaine. Ce film intimiste met à l’honneur non seulement la profession en question, mais également deux actrices brillantes : Catherine Deneuve et Catherine Frot. Elles incarnent deux femmes qui sont aux antipodes l’une de l’autre : Claire est une sage-femme qui voit sa vie bouleversée par la fermeture de la petite et conviviale maternité où elle travaille. Elle est tout aussi troublée par le retour de la fantasque Béatrice, l’ancienne maitresse de son père défunt qui se trouve, elle aussi, à un moment charnière de sa vie. Présents à Prague pour l’avant-première du film, Martin Provost et Catherine Frot nous racontent quelques secrets du tournage…
Martin Provost : « Oui, je voulais réunir des contraires. Je voulais essayer de réunir deux actrices merveilleuse et très différentes, les ‘deux Catherine’ comme on pourrait dire. C’était comme une espèce de challenge pour moi et du plaisir. J’aime les actrices… plus que les acteurs (rires) ! Enfin il y en a quand même des formidables des acteurs… »
Catherine Frot : « Olivier Gourmet par exemple. »
Martin Provost : « Olivier Gourmet, Quentin Dolmaire... Mais c’est vrai que je m’entends très bien avec les actrices. Je m’entends bien avec les femmes d’ailleurs en général. Je crois qu’il y a quelque chose de moi qui entre en contact avec elles. J’espère à chaque fois ouvrir quelque chose. C’est mon métier selon moi : ouvrir quelque chose impossible. M’approcher peut-être de quelque chose qu’elles n’ont pas encore montré. Humblement, c’est cela que j’essaie de faire à chaque fois. Et cela recommence, c’est donc que c’est bien ma route. »
Vous auriez dû tourner déjà ensemble le film Violette, n’est-ce pas ?
Catherine Frot : « Il en a été question. M’enfin, ça ce sont les jeux dans le métier. Mais c’était un tort pour moi, parce qu’après, quand j’ai vu Violette, je me suis dit : ‘Mais Catherine pourquoi tu as refusé ce rôle ?’. Et je l’ai dit à Martin… »Martin Provost : « Et c’est venu de là. Le fait que Catherine vienne à moi si simplement et gentiment en disant qu’elle avait vu Violette. Cela m’est resté. Quand j’ai eu cette histoire avec cette sage-femme, j’ai vu Catherine dans une espèce de rêve que je fais. C’était elle et ce ne pouvait être qu’elle. »
Comment vous est venue l’idée du film ?
Martin Provost : « J’ai été sauvé par une sage-femme quand je suis né. Je vais vous la faire brève, parce que sinon on en a pour un moment. Je n’aurais pas dû vivre ; il fallait me changer mon sang, on n’en trouvait pas. A cette époque, c’était plus compliqué. Maintenant, on traite cela directement dans le ventre de la mère. Mon père a couru la ville toute la nuit à la recherche de sang, il n’en a pas trouvé. Et au petit matin, on s’est rendus compte que la sage-femme qui m’avait mis au monde avait le même rhésus que moi. C’est elle qui a pu faire ce qu’on appelle l’exsanguino-transfusion. Je voulais donc lui rendre hommage. Je n’ai jamais retrouvé cette femme. Je voulais lui rendre hommage, et puis à travers elle à toute la profession. Je me suis dit que j’allais faire un film sur une sage-femme. »
Catherine Frot, qu’est-ce qui a été le plus difficile dans ce rôle ? Dans un entretien, vous disiez qu’il fallait surtout être crédible…
Catherine Frot : « Oui, pour moi le plus difficile, dès le début de la proposition de Martin, c’était de faire des accouchements pour de vrai, de ne pas simuler. Car souvent dans les films, ces scènes-là sont simulées. On s’arrange ; les bébés sont un peu plus grands que des bébés qui naissent, tout cela est fait un peu vite fait, etc. Là, Martin voulait qu’on soit proche d’un documentaire. Donc il fallait faire croire que c’était moi. On s’est donc approché de quelque chose de très sensible. Ça, j’en ai eu peur au début. Mais j’ai assisté à des accouchements. La sortie du bébé, dont j’avais peur au début, j’ai trouvé que la tête que j’ai vue, c’était une sculpture. La beauté de la naissance, la création, c’était de l’art. Je me suis donc dit que je pouvais y aller. Après, cela a été. Il a fallu travailler les gestes, mettre un rideau dans ma tête pour ne pas être trop émue et donner la sensation d’avoir l’habitude d’être une sage-femme chevronnée. »Comment avez-vous organisé le tournage pour assister à de vrais accouchements ?
Martin Provost : « Les scènes des accouchements, nous les avons tournées en Belgique, parce qu’en France, on ne peut pas tourner avec des bébés de moins de trois mois. J’ai rencontré des mamans qui venaient de tomber enceintes, nous avons passé des annonces… On a eu beaucoup de gens intéressés. Nous ne leur avons pas proposé de l’argent, mais des images : nous avons fait un montage de chaque naissance. Lorsque le tournage est arrivé, sur les vingt femmes que nous avions retenues, il y en a eu quand même six qui ont accouché à ce moment-là, c’était très improbable ! C’est drôle, mais je n’ai jamais eu de doute sur cela. »
Catherine Frot : « Les sages-femmes dans les cliniques étaient géniales. Elles nous ont énormément aidés. C’était une aventure pour tout le monde : pour nous, pour les sages-femmes et pour les parents. Avec le bébé qui arrive au milieu de tout cela, qui crie… En regardant les scènes tournées, les sages-femmes pleuraient. »Martin Provost : « Oui, nous étions tous en larmes. Lors du premier accouchement que nous avons filmé, Catherine était dans la salle d’accouchement avec le médecin, une autre sage-femme, le chef-opérateur qui avait la caméra et l’ingénieur du son. Nous, tout le reste de l’équipe, nous étions dans le couloir. Au début, je voulais être là pour la soutenir, mais Catherine était très concentrée, c’était éprouvant pour elle. Dans le couloir, on sanglotait en voyant les images qui arrivaient (rires) ! Lors de ce premier accouchement, on voit la main du bébé qui sort… C’était hors du temps… »
C’est un côté du film, l’autre côté, c’est cette relation compliquée entre Claire, la sage-femme, et Béatrice, interprétée par Catherine Deneuve. Comment avez-vous imaginé l’histoire de leur amitié ?
Martin Provost : « Au moment où j’ai imaginé cette histoire de la sage-femme jouée par Catherine Frot, j’ai perdu une amie. C’était une dame pas très jeune, qui avait une vie ‘légère’, comme Béatrice. Je me suis occupé d’elle. J’avais envie d’éclairer le personnage de Claire par un autre personnage qui serait l’inverse, l’opposé mais vraiment radical. C’était pour moi la cigale et la fourmi, deux différences qui vont petit à petit se confronter, s’opposer et se compléter. Catherine Frot et Catherine Deneuve étaient pour moi une évidence. Je savais que cela n’allait pas être facile, mais j’étais sûr qu’on allait y arriver. Et on y est arrivé. »Ce n’était effectivement pas facile ?
Catherine Frot : « Je pense ne pas être quelqu’un de très compliqué. Je cherche une vérité qui va toucher les gens. A partir de là, quelque soit mon partenaire, il doit se passer quelque chose. Catherine Deneuve, avec son mystère, avec son histoire, avec tout ce qu’elle trimbale fait que de toute façon, cela était simple. Il suffisait d’être ensemble, avec notre partition chacune, et cela se faisait. »
Catherine Frot, vous étiez déjà venue en République tchèque pour le tournage du film Marguerite, quel est le souvenir que vous avez gardé de ce film quand même assez important dans votre carrière ?
Catherine Frot : « Oui, un très beau souvenir. J’avoue que c’est un film qui m’a marquée particulièrement. En même temps, c’est une histoire terminée. Je m’aperçois que c’est étrange d’être acteur et de voyager avec ses personnages. Certains restent plus que d’autres. Marguerite, c’était un film en costumes d’époque, un personnage dans une irréalité totale, très romantique. Cela n’a tellement rien à voir avec Sage Femme ! Par contre, ce que je retrouve chez les deux femmes, c’est la générosité et une certaine pureté. »Vous étiez restée combien de temps en Tchéquie pour le tournage de Marguerite ?
« Deux mois et demi. On ne tournait pas très loin de Prague, à une heure de voiture, dans un château. Je n’ai pas eu trop de temps de visiter Prague, mais un tout petit peu quand même. Le dimanche matin, à huit heures, dans le brouillard, je me suis promenée sur le pont Charles, il n’y avait personne. Cela m’a marqué. Je me suis dit que je devais être seule à voir cela ! »