Le cinéaste Martin Provost et sa Violette à Prague
Voici maintenant dix jours qu’a pris fin la dix-septième édition du Festival du film français à Prague et dans plusieurs autres villes tchèques. On peut parler d'un succès puisque la fréquentation est à nouveau à la hausse avec plus de 21 000 spectateurs. Parmi les nombreux films à y avoir contribué, il y a Violette, une œuvre de Martin Provost. Le réalisateur, fort du succès de Séraphine, sept fois césarisé en 2009 et qui a ressorti de l'ombre la peintre Séraphine de Senlis, s'est intéressé pour son nouveau long métrage à une autre artiste, l'écrivain Violette Leduc. Martin Provost est venu présenter ce film dans la capitale tchèque et en a profité pour accorder un entretien à Radio Prague.
Violette, c’est un peu la même chose. C’est la première femme à parler ouvertement de son homosexualité, de sa bisexualité. Elle est la première femme dans Ravage à raconter son avortement, ce qu’est un avortement pour une femme à cette époque, dans une langue incroyable. C’est aussi beau que les tableaux de Séraphine. C’est une langue poétique, inspirée.
Pour moi, ce sont deux femmes traversées, c’est-à-dire qui ne sont pas des intellectuelles. Leur création n’est pas cérébrale, elle vient des entrailles. Il n’y aucun mensonge, aucune tricherie et elles vont d’ailleurs y laisser leur peau. Elles vont toutes les deux mourir d’un cancer du sein. Cela n’est pas anodin. »Est-ce aussi la façon dont vous abordez la réalisation d’un film ?
« Je ne pense pas. Je suis plus raisonné peut-être. Mais je pense qu’à mes débuts, j’écrivais beaucoup, je faisais de la peinture, j’étais acteur, j’étais comme ça. Parce que je me suis jeté dans la vie, j’ai pris une petite valise et je suis parti de chez mes parents à 18 ans. Je me suis débrouillé tout seul et quand j’y repense, je crois que j’ai traversé tout ça. En tout cas, je sais ce qu’elles ont vécu.
Pour un film, c’est différent car on n’est pas seul. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai arrêté de peindre. Même s’il y a une immense solitude pour un réalisateur, il porte son film du début jusqu’à la fin, il passe à travers tellement de gens mais il est seul. Il y a quand même le travail de l’équipe, il y a des producteurs qui sont là, c’est quand même très différent. »Violette Leduc, incarnée par Emmanuelle Devos, n’est pas totalement seule, elle a des soutiens, et notamment Simone de Beauvoir, jouée par Sandrine Kiberlain. Qu’attendiez-vous d’elles ? Vous vouliez que ces actrices soient au plus près de ce que Violette Leduc et Simone de Beauvoir étaient réellement ?
« J’ai écrit le scénario pour Emmanuelle Devos donc je savais que c’était elle. Je n’avais aucun doute. La première fois que je l’ai rencontrée, je lui ai demandé si cela ne lui posait pas de problème de s’enlaidir et elle a eu cette réponse merveilleuse. Elle m’a dit : ‘Mais non, c’est un cadeau pour une comédienne’. Je crois que c’est bien la seule comédienne française à avoir pensé un truc pareil ! Elle a parfaitement joué le jeu. Elle disait qu’en mettant le faux nez, cela l’aidait car elle l’avait l’impression d’être un clown, d’être quelqu’un d’autre. Je dois dire que cela n’a pas été facile tous les jours pour elle.
Emmanuelle ne ressemble pas du tout à Violette. Violette était maigre comme un clou et Emmanuelle a beaucoup maigri pour toute la première partie du film, elle est devenue blonde, enfin elle s’est complètement transformée mais ce n’est pas le même genre de personnalité. Violette était très sèche et très dure. Emmanuelle est une voluptueuse donc le travail a été de l’amener vers cette dureté, vers cette ambiguïté. En même temps, comme elle a été là du début jusqu’à la fin, qu’on a vécu ensemble toute la construction du film, les 25 versions du scénario, toutes les étapes, quand nous avons commencé à tourner, nous étions très amis, très liés. Cela a été une espèce de pas de deux incroyable. Je dois dire qu’ayant été acteur, je suis très à l’aise avec les acteurs, donc c’est un grand plaisir pour moi, et pour eux. Enfin je crois.Pour Sandrine Kiberlain, c’était tout l’inverse car je ne trouvais pas de Simone de Beauvoir. Personne ne voulait jouer le rôle. Toutes les comédiennes m’ont renvoyé mon scénario, cela fait très peur d’incarner un personnage aussi emblématique. Emmanuelle avait tourné une comédie avec Sandrine et m’a dit que je devais la rencontrer car elle était sûre que c’était elle. Je n’imaginais pas du tout Sandrine Kiberlain, avec ces grands cheveux blonds, en Simone de Beauvoir.
C’est la production qui a insisté pour que je la rencontre parce que je ne le voulais pas. Je l’ai rencontré. Elle avait adoré le scénario, elle était totalement convaincue et elle a réussi à me convaincre. Je me souviens lui avoir dit de travailler à partir de ce moment sa part masculine parce que le père de Simone de Beauvoir disait que sa fille avait un cerveau d’homme. Donc j’ai dit à Sandrine Kiberlain d’essayer de voir cet homme en elle, qui pourrait vivre en elle. Il y a eu un truc déclencheur, comme quoi il suffit parfois d'une phrase pour enclencher le processus de création chez l'acteur, je lui ai dit : 'A partir de maintenant, quand vous êtes en face d'un homme, comportez-vous comme un homme et surtout gardez les jambes écartées. Ne croisez plus jamais les jambes'. Et elle m'a appelé quinze jours après et elle m'a dit : 'Martin, ma vie a changé !'. »Vous évoquez de très nombreuses écritures du scénario. Pourquoi a t-il été aussi difficile d'arriver à cette version finale ?
« Cela a été très dur surtout pour des raisons financières. Le succès de Séraphine ne m'a pas apporté autant de crédits comme je l'aurais voulu. J'avais notamment toute la reconstruction du Café de Flore parce qu'on ne peut y tourner. Je devais entièrement le reconstituer en studio. C'était un film très ambitieux au départ, surtout à Saint-Germain-des-Prés. Il y avait aussi Le Tabou. Et nous n'avons pas eu assez d'argent. Au fur et à mesure, de version en version, j'enlevais et ce n'est pas si facile que cela. En même temps, le film a trouvé sa forme assez tard. A un moment, on s'arrachait les cheveux, il a même été question de ne pas faire le film. Finalement, j'ai écris le scénario en fonction de la somme qu'on avait. Comme quoi, j'ai quand même les pieds sur terre, j'ai coupé 18 décors et c'est le film qui a été tourné. On a d'ailleurs eu plus d'argent pour le faire ensuite. Mais je crois que cela lui a donné sa forme, cette austérité, cette pureté. Le film aurait peut-être été moins fort si j'avais eu tout ce décorum. Il aurait peut-être été plus commercial mais moins fort. »Simone de Beauvoir considère que Violette Leduc a trouvé son salut dans la littérature, dans l'écriture. Peut-on trouver ce salut à travers le cinéma ?« Bien sûr, je pense qu'on l'obtient de toute façon par la création. Je crois qu'il y a deux choses fondamentales dans la vie : aimer et créer. Chacun trouve sa voix, qu'il s'agisse du cinéma, de l'écriture, du journalisme ou autre chose. A partir du moment où on crée, où on innove, surtout où on cherche et qu'on ne reste pas dans les sentiers battus, je pense que la vie s'ouvre à soi et c'est fondamental. Evidemment, écrire, peindre ou faire des films, cela fait rêver tout le monde. Tout le monde ne peut pas y arriver mais quand on est dans ce chemin et qu'on se laisse prendre et guider, qu'on s'y abandonne, il y a de grandes choses qui peuvent se passer, des grandes surprises, comme Séraphine qui m'est tombée dessus, des grandes gamelles aussi ! Mais il ne faut pas avoir peur, il faut y aller.
Je pense que la création fait partie de l'être humain et c'est sa grande chance. Malheureusement, on oublie qu'on a été un jour des enfants, qu'on a su faire un jour des dessins fabuleux, que tout cela était à porter de notre main. La société, pour nous tenir ensemble, nous tue d'une certaine façon. Elle nous apprend à ne pas créer. Quelqu'un disait qu'un poète est un enfant qui ne meurt pas. Il ne faut jamais perdre l'enfant en soi, cela doit être une quête de toute sa vie. »Mais pour créer, il faut parfois un peu d'argent, vous l'avez dit. Violette Leduc a vécu dans une relative misère et a bénéficié de l'aide financière de Simone de Beauvoir. Comment dans le cinéma concilier l'aspect créatif avec l'aspect industriel ?
« C'est très difficile dans le cinéma. Cela devient de plus en plus difficile puisqu'on vous demande aujourd'hui des comédies, surtout en France. Il y a le diktat des comédies. Pascale Ferran avait fait une sortie formidable lors des Césars 2007, suite à son film Lady Chatterley. Il avait été géniale, d'un courage infini puisqu'elle avait dit : 'Bon, quand est-ce que cela va s'arrêter ?'. Et puis les comédies en France ne sont vraiment pas terribles. En même temps, elles remplissents les caissent du CNC. Il y a des films comme cela qui marchent, qui font des tas d'entrées, et qui permettent à d'autres, comme à moi, de faire des films sans doute plus ambitieux, plus difficiles. Mais ces films existent, ils font l'identité du cinéma français et ce sont eux qui resteront.Evidemment, il faut rester humble et tant que j'ai ma place, me maintenir et dire ce que j'ai à dire, tout va bien. On a la chance en France d'avoir un système de financement exceptionnel. »