Résolution du Parlement européen : « un message politique fort adressé à Andrej Babiš »
Les députés européens ont voté en fin de semaine dernière en faveur d’une résolution appelant à introduire des mécanismes en Tchéquie pour prévenir les conflits d’intérêts liés aux fonds de l’UE. Selon le Premier ministre tchèque Andrej Babiš, dans le viseur de cette résolution, il s’agit d’une « ingérence » dans les affaires intérieures du pays. Eric Maurice est le responsable du bureau de Bruxelles de la Fondation Schuman :
« Le vote de la résolution a réuni 510 voix sur 705 députés, donc c’est une majorité assez large, y compris dans le groupe Renew au sein duquel siègent les eurodéputés du mouvement ANO d’Andrej Babiš. Donc on voit une volonté claire du côté du parlement européen, non pas de ‘régler’ le cas Babis parce que ce n’est pas de son ressort, mais en tout cas d’envoyer un message politique fort à propos des soupçons qui pèsent sur le Premier ministre tchèque. »
« Quand on lit la résolution il y a aussi beaucoup de ‘regrets’ sur l’absence de contrôle dans le système tchèque, notamment l’absence de contrôle exercé par la Cour des comptes tchèque. Donc il y a vraiment une situation nationale qui inquiète au Parlement européen et les eurodéputés demandent notamment à la Commission européenne d’être beaucoup plus stricte sur les versements d’aides européennes, sur le contrôle ; ils demandent aussi au Premier ministre tchèque de clarifier sa situation. »
Quelles conséquences concrètes peut avoir cette résolution ?
« Juridiquement il n’y a pas de conséquences – ce n’est pas une loi qui s’applique. En revanche c’est un message politique et c’est une demande du Parlement européen, que la Commission doit prendre en compte. C’est un message politique également dans le débat un peu plus large de ce qu’on appelle à Bruxelles la ‘conditionnalité’ – c’est-à-dire les conditions qui doivent être respectées en termes d’Etat de droit, d’indépendance de la justice, de lutte anti-corruption, pour pouvoir prétendre aux fonds européens. C’est une discussion au centre des négociations sur le prochain budget européen ainsi que sur le plan de relance européen, discuté la semaine dernière et peut-être bouclé au mois de juillet. Cette question de la conditionnalité est mise sur la table par des pays comme la France et l’Allemagne, donc c’est un élément politique dans cette discussion. »
Selon Andrej Babiš, ce vote « peut être perçu comme une preuve de la pression politique et médiatique sur le système judiciaire tchèque et de l'ingérence dans les affaires intérieures ». Il a ajouté : « c’est toujours pareil. Le combat politique est transposé de République tchèque vers le Parlement européen par quelques politiciens et partis politiques ». Cette ligne de défense vous paraît-elle cohérente ?
« Elle est peut-être cohérente du point de vue d’Andrej Babiš, comme du côté de Viktor Orban en Hongrie, c’est toujours assez facile de pointer du doigt Bruxelles et les ‘forces’ étrangères… »
Il faut d’ailleurs souligner que le parti FIDESZ de Viktor Orban a condamné le vote de cette résolution concernant le Premier ministre tchèque…
« Oui et c’est très logique de leur point de vue : politiquement on peut faire feu de tout bois et l’ennemi étranger est toujours utile. En revanche, quand on regarde les faits, c’est difficile de dire que c’est l’opposition tchèque qui apporte le sujet parce que ce dont il est question ce sont les fonds européens, donc un intérêt public européen. C’est du ressort et de la compétence du Parlement européen de surveiller l’utilisation de ces fonds qui sont l’argent des citoyens de toute l’UE, pas seulement des citoyens tchèques. C’est aussi à la Commission de mettre en place des procédures transparentes avec une responsabilité en cas de mauvais usage – et c’est ce qui manque d’une certaine manière en République tchèque. Donc on est totalement dans le bon fonctionnement de l’UE. Les arguments d’Andrej Babiš sont hautement politiques et ne tiennent pas vraiment devant les faits. »
Sur notre antenne, vous aviez indiqué il y a quelques mois que c’était du « jamais vu à Bruxelles, même depuis Berlusconi »… Malgré cette résolution parlementaire, est-ce qu’on n’est pas un peu en train de s’habituer au « cas Babiš » à Bruxelles ?
« La question qui se pose plus généralement à Bruxelles c’est comment on gère les gouvernements de plus en plus problématiques – je pense là aux gouvernements hongrois et polonais notamment. le gouvernement tchèque est un gouvernement de plus avec lequel il faut composer – on sait qu’il y a un problème, il est très clair. La résolution est assez forte d’un point de vue politique. Mais concrètement, même si une des trois options envisagées par la résolution est la démission d’Andrej Babiš pour mettre fin à ses conflits d’intérêts, on sait que personne ne peut le faire démissionner – c’est du ressort de la démocratie et de la constitution tchèques. A Bruxelles, on sait qu’on a ce problème – d’où ces rapports et ces enquêtes de la Commission – mais ce n’est du ressort de personne en dehors de la République tchèque de régler ce problème politiquement ou juridiquement à Prague. »