« Rêves » de Bedřich Smetana magnifiés par le piano de František Rauch
En 1874, les anciens élèves de Bedřich Smetana organisent un concert pour aider leur ancien professeur. Ces membres de familles aristocratiques désirent réunir une importante somme d’argent pour permettre au compositeur d’aller se soigner chez les meilleurs spécialistes étrangers. A cette époque, Bedřich Smetana est déjà atteint d’une surdité totale et cherche désespérément à échapper au malheur qui a jadis frappé aussi le grand Beethoven. Comme son aîné, Smetana souffre beaucoup de ce coup du sort qui l’atteint dans ce qu’il y a de plus cher à chaque musicien.
Smetana, tout comme Beethoven, ne se laisse pourtant pas briser et tente l’impossible. Il continue à composer sans espoir d’entendre un jour ses oeuvres. C’est d’ailleurs à cette époque-là qu’il produira, malgré son infirmité, quelques unes de ses oeuvres les plus profondes et les plus célèbres. Il créera notamment le cycle de six pièces pour piano intitulé « Rêves » et donnera à la première composition de l’album le titre « Le bonheur éteint ».
Bien que Smetana crée le cycle « Rêves » en signe de reconnaissance à ses bienfaiteurs aristocratiques, ce désir de remercier ses anciens élèves n’est qu’une impulsion qui ouvre les sources profondes de son inspiration. Le recueil de six pièces qui en résulte, est une œuvre inspirée par les grands compositeurs romantiques mais il reflète également la grande épreuve que le compositeur vieillissant vient de subir et l’espoir nouveau qui pointe à l’horizon. Les souvenirs du passé heureux défilent dans cette musique et apportent au musicien le soulagement et la consolation. « Consolation » est d’ailleurs aussi le titre de la deuxième pièce de l’album.
Au XXe siècle, l’oeuvre pianistique de Bedřich Smetana trouvera un interprète congénial en la personne de František Rauch. Né en 1910 à Plzeň, ville dans laquelle Smetana a d’ailleurs passé les heureuses années de sa jeunesse, František Rauch étudiera ensuite le piano au conservatoire de Prague avec les professeurs Emil Mikelka et Karel Hoffmeister mais aussi la composition avec Vítězslav Novák, un des meilleurs compositeurs tchèques de la première moitié du XXe siècle. Dans les années 1930, František Rauch entame une carrière de virtuose international. Il joue dans beaucoup de pays européens mais aussi au Japon, en Indonésie et au Brésil. Il présentera ainsi la musique tchèque à travers le monde et notamment celle de Smetana, son compositeur emblématique. Ses interprétations subjuguent le public moins par leur virtuosité que par une identification profonde avec l’œuvre jouée : la musique de Smetana est pour lui un élément naturel qui lui permet de faire respirer et de faire chanter son piano. Les « Rêves » de Bedřich Smetana sont aussi ses propres rêves. Grâce à un disque réalisé en 1978 dans les studios Domovina à Prague, nous disposons aujourd’hui d’un enregistrement des « Rêves » de Smetana qui est un des sommets de l’art d’interprétation de František Rauch. Cet enregistrement référentiel restera très probablement inégalé. La cinquième pièce du cycle intitulé « Près du château » est une évocation romantique du passé, une scène haute en couleur comme si elle était imaginée par un Walter Scott ou un Victor Hugo. L’inspiration de la dernière pièce du cycle est clairement définie par son titre – « La fête des paysans bohémiens ». La composition a permis au vieux maître de déployer une des plus fortes facettes de son talent. Bedřich Smetana était depuis sa jeunesse un amoureux de la danse. Il a magnifié cette passion dans ses compositions, notamment dans ses polkas dont il a fait une véritable expression de l’âme du peuple tchèque. Et c'est la danse qui domine également la dernière pièce du cycle de compositions pour piano que Bedřich Smetana a initulé « Rêves ».